L’enfer, c’est les potes

21 mars 2021 à 23:30

C’est triste à dire, mais j’ai regardé deux séries se déroulant en France ce weekend, et j’ai l’impression d’avoir atteint le summum de l’exotisme.
La bonne nouvelle, c’est que si je ne suis pas encore sûre de reviewer la première, sur la seconde en revanche je n’ai quasiment que des compliments à faire. Parfaitement, vous m’avez bien lue. Ce soir, je dis du bien d’une série française. Ou plutôt d’une mini-série, Escape ; la première série dramatique de W9.
Je fais le choix de parler d’une série ici, parce que bien que diffusée d’une traite le mois dernier, et malgré sa durée de téléfilm, Escape est bel et bien structurée par deux épisodes distincts. L’un porte clairement sur une exposition, et l’autre sur une résolution. Il y a même un cliffhanger au milieu. Pour moi, Escape répond donc aux critères d’une mini-série, même si je comprends que d’autres puissent faire le choix d’y voir un téléfilm en raison de son mode de diffusion. Ils ont tort, mais je les comprends.

Trigger warning : viol, suicide.

Je mets les trigger warnings au risque de spoiler un peu, mais je vous promets de ne pas dévoiler la résolution en question dans la suite de cette review.

Escape commence de façon très légère alors qu’une bande de potes se réunit devant le bâtiment d’un escape game appelé « Le Château », pour fêter l’anniversaire de Vladimir, l’un d’entre eux. Cependant, les dialogues nous révèlent très tôt que tout n’est pas parfait entre les personnages.
Vlad, qui n’est pas spécialement de bonne humeur, est un restaurateur égocentrique qui aurait préféré que cette célébration ne tombe pas pendant le coup de feu du vendredi soir. Ce qui déjà donne bien envie de lui fourrer ses cadeaux d’anniversaire au fond de la gorge, mais passons. Son épouse Hélène, dont on perçoit rapidement la frustration, essaie de lui changer les idées, non sans peine. Les copains de toujours sont là aussi : Steph, un célibataire un peu grincheux qui se fait chambrer à longueur de temps et qui a fondé le restaurant avec Vlad ; et Thomas, le vieux beau, qui semble avoir pris de la distance avec le groupe récemment. Comme Thomas a récemment commencé une relation avec la serveuse Céline, celle-ci est exceptionnellement présente aussi, même si typiquement elle ne fait pas réellement partie du groupe d’amies. Ne manque à l’appel que Pauline, la soeur de Vlad.

Le premier épisode réussit vraiment bien son exposition des personnages et de leurs dynamiques. On s’aperçoit rapidement qu’il n’y a pas de dialogue inutile dans Escape : tout ce qui est dit l’est à dessein. Ce qui ressemble à des petites querelles ou des piques entre potes révèle vite quelque chose de plus profond sur les interactions tissées au fil des années, et qui sont plus tendues qu’il n’y paraît. Tout le monde essaie de se mettre dans l’ambiance du Château, et résoudre les énigmes autour du viol perpétré par le roi de France à la cour de Versailles, mais ce n’est pas gagné d’avance, les habitudes ayant la vie dure. Les fêtes d’anniversaire n’effacent pas les conflits du reste de l’année ; pire, elles peuvent les souligner.

Sauf qu’à mesure que les énigmes se succèdent, il apparaît justement que le mystère de Versailles veut dire quelque chose sur les joueurs en présence. Le Château n’est pas n’importe quel escape game, il semble s’adapter aux personnes qui tentent de résoudre ses puzzles… Il ne s’agit pas de trouver des indices. Il s’agit d’utiliser la personnalité des amies présentes dans la pièce ce jour-là. En cela, le côté huis clos fonctionne à merveille.
Sous ses airs de thriller, Escape est donc avant tout une série profondément dramatique ; pendant un moment j’ai pensé à toutes ces séries high concept japonaises dont j’aime tant vous parler, et je me suis demandé s’il n’y avait pas un peu de Soumatou Kabushikigaisha là-dessous. Le jeu aurait eu une capacité quasi-surnaturelle à révéler les gens et les secrets, et en plus c’est toujours ça de gagné si jamais on veut renouveler la série (ce qui apparemment n’est pas totalement écarté par les exécutifs de W9). Bon, en fait j’étais en tort, et ce n’est pas ainsi que fonctionne la série ; mais il n’empêche que pour que j’aie eu cette impression, c’est qu’il se passe quand même quelque chose d’intéressant.

Cela ne fait que se confirmer dans le second épisode, qui après avoir établi qui les protagonistes peuvent être dans toute leur complexité (révélant plus de défauts que de qualités, même), décide de mettre la pression et forcer les vérités les plus dérangeantes à sortir. Et des vérités dérangeantes, après des décennies de relation, ce n’est pas ça qui manque.
Escape ne fait pas forcément des choses originales (cependant on les voit plus souvent au cinéma qu’à la télévision), mais elle les fait bien. Les choses que l’on apprend ont du sens grâce à tout ce que l’on a appris sur les protagonistes, il n’y a, là encore, pas de twist pour le plaisir de surprendre, mais une réelle cohérence dramatique. A cela s’ajoute l’impression grandissante qu’il y a un vrai enjeu dans cet escape game, qui, quand bien même on n’en connaît pas encore la raison, met vraiment en danger les personnages. Cela a pour effet naturel de les pousser dans leurs retranchements, ainsi que de nous mettre à cran… et c’est savoureux.

On aurait pu craindre qu’une série structurée autour d’épisodes si brefs (le premier épisode dure une demi-heure, le second trois quarts d’heure) aurait dû sacrifier des choses sur le ton ou la complexité, mais pas du tout. Il se dit des choses très fines par moments, tout en faisant monter les enchères de façon spectaculaire. J’ai poussé des réels cris vers la fin, d’abord dans la scène-pivot du deuxième épisode, et puis à la toute fin ; pour des raisons différentes. Il n’y a pas un trait qui dépasse dans cette fiction écrite au cordeau, et la conclusion, glaçante, offre une résolution avant tout dramatique, au lieu de jouer uniquement sur l’aspect thriller. Même si je n’ai pas apprécié toutes les performances du cast de la même façon (ce serait ma seule vraie critique), le résultat est excellent, la conclusion satisfaisante, et le contrat rempli.
Escape est une percée plus que convaincante pour W9 ; même si la chaîne devait décider de ne pas la renouveler (ce serait dommage, mais compréhensible), il faut en tout cas poursuivre les expériences dans cette voie, bien plus que dans la shortcom. C’est le genre de politique de fiction française derrière laquelle je peux me ranger.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Oh, je ne regarde pas du tout la télé française (ou si peu) même si j’y suis en ce moment, mais je suis contente de voir qu’il y a des choses qui commencent à se faire, surtout sur des chaînes secondaires comme W9 (ça change des redifs de M6)

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