My way

13 mars 2021 à 23:05

Il y a deux mois et demi maintenant, j’ai pris ma retraite. A bien des égards ça m’amuse beaucoup de le dire, alors que je viens de fêter mes 39 ans, et pour le moment je me régale des réactions que j’obtiens (c’est encore plus drôle sur internet où les gens laissent échapper un « mais je savais pas que t’étais aussi vieille » qui me fait rire sous cape ; j’ai acheté une cape spécialement pour l’occasion). Sûrement qu’avec le temps ça me passera, ainsi, bien-sûr, que le choc souvent suscité.
Dans le même temps, être à la retraite à 39 ans, et plus encore sans avoir fait fortune avant (qui est le second cliché qui vient généralement à l’esprit dans ce genre de situations), ça reste quand même un peu compliqué à m’expliquer à moi-même. Je n’avais pour ainsi dire aucune représentation de ce que cela pourrait représenter que de m’arrêter de travailler à un si jeune âge, quand bien même, il est vrai, j’avais été en long congés maladie précédemment (et au chômage de longue durée plusieurs années avant ça).

Instinctivement je me suis donc tournée vers les séries en espérant y trouver quelque inspiration quant à ce que les décennies à venir pourraient me réserver. A quoi ressemble la vie dans une société où tout tourne entièrement autour du travail ? Quelles sont les options ? Ca a toujours été ma fenêtre ouverte sur l’ailleurs et l’autre, alors j’ai essayé de trouver quelque chose, n’importe quoi, qui parle spécifiquement du virage de la retraite.
Voilà comment j’en viens à vous parler de bouffe une fois de plus aujourd’hui, avec Nobushi no Gourmet, une série originale que Netflix propose à l’international sous le titre Samurai Gourmet.

Jusqu’alors j’avais pas mal fait l’impasse sur Nobushi no Gourmet, parce que… bon, pour être honnête, je n’avais pas confiance en Netflix.
La série avait été mise en ligne dans un relatif anonymat en 2017, mais fleurait bon l’opportunisme parce que Netflix, tout comme moi, a bien compris l’intérêt des séries d’appétit pour le public japonais. Or donc, comme la plateforme essaie d’acquérir le moins possible de séries déjà produites (faut payer d’autres gens pour les obtenir, après faut renégocier les droits régulièrement, on risque de perdre une partie du catalogue avec le temps… bref, c’est le bordel), l’idée était de produire la même série qu’ailleurs, mais en Netflix Original. Quand vous regardez la majorité des productions de la plateforme ces dernières années, c’est le principe essentiel qui anime Netflix dans ses commandes, ainsi que la meilleure explication à ses 712 nouvelles sorties par semaine.
Procédé peu inspiré, donc. Et puis sur le principe, je me méfie toujours quand des exécutifs américains commencent à employer le mot « samurai », ça n’augure de rien de bon.

A cela faut-il encore ajouter que la genèse de la série d’appétit japonaise se situe, sans jeu de mots, aux antipodes de ce que fait Netflix. De ce qu’EST Netflix.
La série d’appétit, c’est traditionnellement une série peu chère, contemplative, sans enjeu. La formule est sensiblement la même de série en série (même si j’ai eu l’occasion, par exemple avec Konya wa Konoji de, de vous parler d’exceptions au fil du temps). C’est assez répétitif, chaque épisode commençant par une longue phase d’appétit, pendant laquelle les protagonistes ont faim et fantasment sur ce qui pourrait être mangé et/ou cuisiné… et un dernier quart d’épisode dédié à voir un ou plusieurs personnages enfin manger les plats auxquels on a rêvé pendant les 15 minutes précédentes (les épisodes sont généralement d’une demi-heure maximum). C’est une fiction qui est produite en s’inspirant d’un manga donné (pour le coup effectivement il y a un manga à l’origine de Nobushi no Gourmet) et essentiellement pour faire plaisir à son lectorat fidèle, souvent parce qu’il y a identification ; ainsi qu’aux fans du genre éventuellement. Les séries d’appétit sont généralement diffusées tard dans la nuit, dans des cases un peu bouche-trou, et/ou sur des chaînes désargentées. Très peu trouvent le succès, et si elles mettent en bouche, en revanche le bouche-à-oreille fonctionne très peu pour elles ; Kodoku no Gourmet est une exception à cette règle.
Les variations sont introduites par la personnalité et/ou la nature du personnage central : parfois un VRP, parfois une étudiante, parfois un mafieux, parfois un couple, parfois un garçon timide… Chacun a ses préférences, son style de vie, ses moyens financiers, son histoire. C’est ce qui va déterminer ce qui est mangé, comment, pourquoi… et quel genre d’expérience résultera de chaque festin. Il n’y a aucun suspense, juste un moment à partager. C’est un sous-genre où l’on ressent de la faim par procuration et, si la série est bien faite, on se trouve rassasiée par procuration à la fin, aussi. Je l’ai dit et je le redis : je ne comprends pas qu’on n’ait pas de série d’appétit en France, c’est pas comme si on n’avait pas la culture culinaire pour, merde.
C’est procédural, c’est niche, c’est de la slow TV, c’est intimiste. C’est tout ce que Netflix n’EST pas. De quoi se mêle donc Netflix à se lancer dans ce genre de séries ?

Donc je me suis assise sur mes épisodes depuis 2017, et je n’y ai plus pensé. Ce n’est que fin décembre que tout d’un coup, alors que j’étais en pleine négociation du virage de la retraite, elle m’a accidentellement été évoquée par une inconnue sur Twitter. J’ai eu le déclic : je vais tester Nobushi no Gourmet. Pas pour la série d’appétit, mais pour la question de la retraite.


Takeshi Kasumi a passé toute sa vie au travail et le voilà qui pour la première fois de sa vie n’a pas besoin de s’y rendre. C’est le premier jour de sa vie à la retraite et euh… bah merde alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Il est tellement habitué à être attendu ailleurs que ce jour-là, il s’est levé en panique quand il a vu l’heure ; il a fallu que sa femme Shizuko lui rappelle qu’à 60 ans maintenant, il est tout naturellement à la retraite. La retraite à 60 ans ? Hahaha, on est un late bloomer, hein ?
Alors qu’est-ce qu’on fait quand on n’a rien à faire ?

Eh bien heureusement que Shizuko est là. Elle lui donne un peu de structure pour cette première journée d’oisiveté… en lui donnant quelque chose à faire (arroser les plantes) et lui posant une deadline (elle sera de retour en fin de journée). C’est déjà quelque chose.
Dans la note qu’elle lui laisse en son absence, elle rappelle aussi à Takeshi de manger quelque chose pour le déjeuner. Aaaaah, nous y voilà.

Toute cette journée inaugurale va être ressentie comme telle. Takeshi est confronté à toutes sortes de premières fois (la première fois qu’il a pu faire la grasse matinée, par exemple). La première fois qu’il a traversé son quartier résidentiel entièrement vide, lui rappelant que désormais il vit hors du monde. La première fois qu’il a pu se balader dans le parc du coin, où d’ordinaire il marchait d’un pas pressé pour aller prendre son train. La première fois qu’il a regardé passer les trains au lieu d’être dedans avec un endroit où aller. La première fois qu’il a dû décider d’où manger dans son propre quartier qu’il ne connaît pas, faute d’y avoir passé une seule minute ces 15 dernières années qu’il y habite.
Où est-ce qu’on va quand on n’est attendu nulle part ?

Takeshi finit par trouver une petite échoppe traditionnelle, pas loin de la gare où d’ordinaire il se dépêche de se rendre. L’endroit ne paie pas de mine et les prix sont à l’avenants. Mais, devant le menu simplissime, soudain Takeshi réalise qu’il n’a aucune habitude (d’ordinaire à la cafét’ du boulot, il commanderait toujours le même menu). Il n’a rien de prévu ensuite, non plus. Il n’y a, en somme, aucune contrainte qui puisse déterminer par avance ce qu’il va commander.
Que déguste-t-on quand on peut manger tout ce qu’on veut ?

La réalisation de Nobushi no Gourmet accompagne Takeshi alors que, perplexe, il se heurte non pas à des difficultés, mais à ses propres barrières intérieures. Tout ce qui lui semblait évident et acquis, et qui dirigeait sa vie pour lui, a disparu. Ni boulot, ni patron, ni collègues pour juger ce qu’il va commander. Pas de travail à accomplir après le déjeuner. Aucune conséquence. IL EST TOTALEMENT LIBRE. Comme un… comme… voyons qu’est-ce qui pourrait représenter une totale indépendance pour un vieil homme un peu conservateur ? Un nobushi !
Oui parce que, comme d’habitude le titre traduit de la série nous fait perdre en subtilités : un samurai est normalement à la solde d’un daimyou, et tout noble guerrier soit-il, il est l’employé d’un autre. C’est même étymologiquement la raison d’être du terme « samurai » ! Mais le nobushi, lui, est un homme qui ne répond de ce qu’il fait à personne, qui décide pour qui travailler (c’est souvent un mercenaire), qui choisit son destin.

En prenant sa retraite, Takeshi est devenu un nobushi. Fort de cette réalisation soudaine mais splendide, il décide de commander une bière avec son repas. Parfaitement, une bière à la mi-journée !!!
Et pour conjurer le courage de commander la boisson qui, en pleine journée mais aussi en plein été, lui fait tellement envie, il imagine un nobushi qui commanderait, dans une échoppe similaire à celle-ci, son repas sans jamais laisser quiconque lui imposer ou même lui reprocher quoi que ce soit.

Que choisit-on quand on n’est plus obligé de rien ? Mais ce qu’on veut, mes amies, très exactement ce qu’on veut, absolument tout ce qu’on veut ! La vie n’est pas finie au moment de la retraite, elle ne fait que commencer. Pour la première fois, Takeshi est totalement libre. Aucune entrave, aucune contrainte, aucune règle. La voie du nobushi est entièrement ouverte.
Et du coup la mienne aussi.
Tout ce que j’ai à faire, c’est décider de ce que je vais manger au prochain repas… pas vrai ? L’espace d’un épisode (ou deux, ou trois) de Nobushi no Gourmet, en tout cas, j’arrive à le croire.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    J’ai commencé à regarder cette série il y a quelques semaines parce qu’elle m’avait été suggéré par quelqu’un après que j’avais mentionné que j’avais regardé l’autre série avec Machida Keita dont je t’avais parlé et dont tu avais parlé il n’y a pas longtemps. J’ai commencé à la regarder donc et je la regarde quand je cuisine ou quand je fais à manger. La longueur est juste ce qu’il faut et puis avec un sujet pareil, ça donne envie de manger.

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