Si vous avez le moral aujourd’hui, attendez-vous à ce que ça ne dure pas en lisant cette review.
Si vous n’avez pas le moral aujourd’hui, je ne vais strictement rien faire pour arranger ça.
Proposée depuis cette semaine par ICI TOU.TV (la plateforme de VOD de la télévision publique francophone au Canada), Je voudrais qu’on m’efface est déjà tout un programme rien qu’à son titre. Il s’agit de l’adaptation d’un roman de 2010 se déroulant dans une barre d’immeuble de logement social, racontant le quotidien du point de vue de 3 adolescentes qui vivent au même endroit, mais ne sont pas très proches.
Ma première réflexion a été devant ce premier épisode de froncer les sourcils. C’est difficile de ne pas ressentir une méfiance naturelle devant ce type de sujet à la télévision ; la vie dans les milieux défavorisés a une énorme tendance à la caricature dans la fiction.
Enfin, je vous dis ça comme si ça arrivait tous les quatre matins alors que la fiction, précisément, n’aime pas trop se pencher sur les conditions de vie des plus précaires. Elle laisse ça aux programmes documentaires et/ou d’information. Les scénaristes et/ou les exécutifs des chaînes n’aiment pas trop parler des pauvres, c’est pas très aspirationnel. Et puis les pauvres ils ne sont pas toujours blancs et on n’aime pas trop ça, dans les bureaux des chaînes (ou alors on les aime mais seulement présentés d’une très spécifique façon). Enfin, quand ça se produit, c’est souvent avec un regard misérabiliste pour ne pas dire infantilisant qu’on les décrit.
En fait, c’est peut-être justement parce que les séries dramatiques ne foutent jamais les pieds dans ces endroits-là qu’il y a de quoi être méfiante, d’ailleurs.
Il y a des ingrédients dans le premier épisode de Je voudrais qu’on m’efface qui n’ont pas tout-à-fait apaisé mes craintes encore (sur les 3 adolescentes observées, la famille la plus blanche est celle qui est la moins dysfonctionnelle par exemple). Cependant, pour l’essentiel, la série fait un plutôt bon boulot à essayer de décrire un quotidien tristement banal pour quiconque a vécu ou vit en logement social, comme c’est mon cas (et encore, je m’estime heureuse). Et si elle y parvient, c’est parce que son premier épisode prend des airs de teen drama avant tout.
Mélissa, Eddy et Karine vivent donc dans le même immeuble. S’ils se connaissent de vue, ils ne se fréquentent pas : le bâtiment est grand, et le collège aussi. En outre chacun a trop de préoccupations pour avoir l’énergie de s’intéresser aux autres.
Mélissa est l’aînée de 3 enfants, et vit avec son beau-père. Celui-ci écope de leur garde lors de ce premier épisode, mais il n’est pas spécialement enchanté par l’idée, et à peine plus par les responsabilités que cela représente au quotidien. Mélissa tente comme elle peut de faire tourner la barraque en veillant à ce que son petit frère et son demi-frère ne manquent pas de l’essentiel, à défaut de mieux. Parce que les choses sont encore fraîches, elle a retourné son incompréhension et son sens de l’injustice contre son beau-père, qu’elle déteste avec énergie (il faut admettre qu’il le mérite, de toute façon).
Eddy est un introverti, un silencieux. Vivant dans un appartement qui est largement un dépotoir, dans des vêtements qui n’ont pas été touchés par un quelconque savon depuis des lustres, et tentant autant que possible d’ignorer les violences dont sa mère est victime, il se réfugie dans la musique.
Karine est forte en gueule, et elle a une relation plutôt tendre avec son père célibataire. Elle a une jolie chambre avec de jolies lumières, et elle se débrouille bien en classe (faisant la fierté de son père, dont elle ignore qu’il ne sait pas lire). Mais au collège, elle ne tarde pas à avoir des ennuis lorsqu’elle se défend face à une bully.
Ce sont trois gosses très isolés dont le quotidien se dévoile devant nous. Ils n’ont pas d’amis, déjà ; mais leur famille est distante, violente et/ou préoccupée par d’autres choses. Il n’y a personne à qui se confier, et pas vraiment la capacité à verbaliser ce qui ne va pas. Et pourtant, ça ne va pas. Composer avec l’adolescence n’est déjà pas facile, mais le faire dans un bâtiment qui vrombit constamment de la musique et des cris des voisins, sans rien avoir ou presque, sans source de joie qui ne soit entachée par quoi que ce soit, sans espoir…
Je voudrais qu’on m’efface semble vouloir précisément parler de cet espoir, ou absence de. Parler de ces voies qui apparaissent sans issue. Evoquer ces mauvaises nouvelles qui ne font que s’empiler, comme le prouve la fin de l’épisode. Et en creux, poser la question : pourquoi personne ne s’intéresse au sort de ces gamins ? Pas juste dans leur entourage, mais au-delà aussi. Je voudrais qu’on m’efface est l’une des rares à parler de ces trajectoires, et à s’y essayer avec bonne volonté plutôt que paternalisme ; regarder ce premier épisode ne fait que souligner combien d’ordinaire la société ne fait que détourner le regard.
Inutile de préciser que Je voudrais qu’on m’efface n’est pas le genre de visionnage qu’on lance pour se marrer, quand bien même ses épisodes plutôt courts (la saison compte huit épisodes d’une vingtaine de minutes) peuvent éventuellement alléger un peu la charge ressentie… et encore.
Je ne connais pas le roman d’origine, mais il semble que plusieurs changements aient été introduits par la série. Certaines protagonistes ont été modifiées, par exemple, y compris les 3 héroïnes. Mais le plus frappant est celui du lieu où se déroule l’action ; dans le livre, il s’agit apparemment du quartier de Hochelaga-Maisonneuve, quand dans la série cela se déroule dans le quartier de Saint-Michel. Deux explications à cela : d’une part, le réalisateur Éric Piccoli est lui-même originaire de Saint-Michel… et, d’autre part (beaucoup plus impressionnant), ces dix dernières années « Hochelag » a vraisemblablement connu une gentrification galopante qui rend en quelque sorte caduque le propos de la série. Le problème étant que lorsque des cités comme celle-là disparaissent, hélas, cela ne signifie absolument pas les choses s’améliorent pour tous ceux qui y ont vécu…
Et sur ces bonnes paroles je pense que je vais boire, ce soir, moi.
…
Eh bé.
Rien qu’autre titre, j’avais déjà le moral sapé et ton intro n’a pas menti: ça ne s’est pas arrangé avec la lecture…
Ca a l’air intéressant, et comme tu dis, assez rare, mais j’ai pas le moral assez solide là tout de suite, je pense…
Pas sûre que je jette un jour un œil à cette série, mais elle a le mérite d’exister. Avec tout ce qu’il se passe en ce moment en France avec leurs histoires de bande, je repense et redis l’importance d’éducateurs spécialisés dans ces quartiers. Quelqu’un pour leur parler, quelqu’un pour les occuper et leur donner un espoir de mieux. Dans mon quartier (un quartier de ZEP (même si ça ne va plus exister comme appellation alors que les problèmes sont toujours là et les besoins aussi)) quand je me balade pour aller au pain, je passe à côté du centre d’action jeunes et il y a toujours des jeunes à discuter avec les éducateurs. Il en faut plus et il faut mieux les payer. C’est le meilleur moyen de redonner de l’espoir à ces jeunes parce que j’ai connu ce sentiment et ce n’est vraiment pas la joie.