With a twist

6 février 2021 à 23:57

Easton West est un chef. Et comme tous les chefs, il est soucieux du moindre détail, attentif à la bonne marche de sa cuisine, et méticuleux dans la gestion de ses collaborateurs.
Bref c’est un connard avec un ego énorme.

Jusque là, les choses ont plutôt bien marché pour lui. Il tient l’un des restaurants les plus en vue de Beijing, il est étoilé, on le reconnaît partout. Certes son établissement perd de l’argent chaque jour et il ne s’est fait que des ennemis dans l’industrie, mais ce sont les risques du métier. Mais un jour il pique la colère de trop, celle qui est capturée par un smartphone et devient virale. C’était la dernière chose dont il avait besoin pour ruiner sa carrière, et c’est ainsi que débute la dramédie australienne Aftertaste.

Deux semaines après cette débâcle, Easton West retourne dans sa ville natale d’Adelaide, auprès d’une famille qu’il n’a pas vue depuis des décennies : son père Jim, un vieil ivrogne bougon chez qui il retourne vivre ; sa sœur Denise, qui lui tient rigueur d’années de silence ; et sa nièce Diana, dont il ne connaissait même pas l’existence. C’est vous dire si l’accueil est chaleureux. La question qui se pose, bien-sûr, c’est : et maintenant ?

Aftertaste semble tourner autour d’un personnage qu’on a l’impression d’avoir rencontré cent fois, dans la fiction et ailleurs. Ce chef sûr de lui jusqu’à l’excès, irascible, détestable vraiment, mais talentueux, qui se contrefiche complètement des sentiments de son entourage. La série semble le plonger dans un trope dont je suis peu friande, celui du retour au bercail, qui généralement prédit une réalisation plus ou moins rapide que le protagoniste avait tout pour être heureux dés le début, qu’il a voulu tenter sa chance dans le monde et qu’il a échoué, et que revenir à la case départ va lui faire comprendre ce qui est vraiment important. En l’occurrence le matériel promotionnel de la série (c’est-à-dire deux photos et demies prises sur fond monochrome, la télévision publique australienne se serre la ceinture) laisse imaginer que sa nièce Diana va jouer un rôle là-dedans.
Pour toutes ces raisons, sur le papier, Aftertaste ne m’excitait pas vraiment.

Il faut regarder le premier épisode pour comprendre ce que la série apporte de neuf : Aftertaste en a autant marre que nous, de cette figure du chef insupportable. Ce mec (c’est toujours un mec) blanc (c’est toujours un blanc) colérique (c’est toujours un colérique) qui croit que son talent dans une cuisine est un don des dieux qui lui confère tous les droits sur autrui, il a largement fait son temps. Il y a même une réplique de cet épisode qui explicitement confronte le personnage à cette réalité : « bullying, abuse, sexism, generally just being a dick […] people are over the white guy shtick !« , et Aftertaste semble vraiment vouloir travailler là-dessus. Le pire c’est que de son propre aveu, Easton pense que c’est ça, sa vraie personnalité, ce n’est pas un personnage qu’il joue, il se pense authentique (…quand bien même son vrai prénom est Jimmy et qu’il vient d’Adelaide au nom du ciel). Aftertaste veut redéfinir cette authenticité. D’abord pourquoi est-il tellement en colère tout le temps, ce type ? Qu’est-ce qui justifie cette colère ? Est-ce qu’il ne peut pas s’en passer ?

Effectivement, cette remise en question passe par Diana. Pas seulement parce qu’elle est jeune et qu’elle apporte une perspective nouvelle à la vie d’Easton… il ne s’agit pas de créer une bête buddy comedy, mais de parler de ce qu’elle apporte, elle.
Parce qu’elle est passionnée de pâtisserie. Parce qu’elle recrée, depuis des années, les recettes de la mère d’Easton/Jimmy, avec sa propre personnalité. Parce qu’elle s’inscrit dans l’histoire familiale de passion pour la cuisine. Qu’elle a ses propres fragilités et son propre parcours. Qu’elle a un avenir. Mieux : cette adolescente grosse qui tente de toujours rester joviale (et que sa mère préfèrerait voir à l’université qu’aux fourneaux) est l’avenir de la cuisine.

Si Aftertaste, au-delà de son premier épisode, continue d’explorer cet aspect, je passerai aisément l’éponge sur le reste, qui pourtant m’affole peu. Je crois même qu’il y a moyen pour que cette comédie réussisse à transcender ses clichés et ses tropes, pour raconter quelque chose d’intéressant sur les mutations du monde de la haute cuisine… et très franchement, sur le monde en général.
Il est temps de passer le flambeau.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

9 commentaires

  1. manon dit :

    Je trouvais que Easton était vraiment bizarre comme non… j’avais vu juste haha.

    Ton avis est plein d’espoir, mais combien de fois on s’est brulé les ailes en espérant que allez, cette fois-ci cette série va renverser les genres…

  2. Piou dit :

    Ouh tentée de voir ce que ça donne, pareil à la base voir une énième série avec un mec imbus de sa personne etc non merci, mais là de ce que tu en décris du personnage de sa nièce ça peut être sympa ! ( et de la cuisiiine)

    • ladyteruki dit :

      Il y a un passage où il lui assène un propos super grossophobe et j’ai cru que j’allais envoyer mon ordinateur passer la nuit sur le balcon, mais non en fait la série relève bien la merde du propos, et c’est le genre d’indice qui me donne bon espoir.

  3. Mila dit :

    C’est amusant comme, quand j’ai lu l’introduction, j’ai tout de suite pensé à des images réconfortantes… et après j’ai lu la suite, et me suis dit « non, mais elle a raison ». Faut dire que je venais de sortir d’une scène de « What did you eat yesterday ? » (un drama japonais) que je revoyais (parce que j’ai regardé un drama coréen où il y avait de la bouffe et par association d’idées) et même s’il n’y a pas de chef dans ce jdrama, un des personnages cuisine énormément et bref dans ma tête j’étais en mode « gens qui font à manger = bienveillance et amour ».

    Mais bref, donc, j’ai lu la suite, et j’ai dix milles versions pas très éloignées les unes des autres qui me sont venues en tête :’D (bon et après j’ai dérivé et commencé à penser à Dr House)

    Je ne sais pas si c’est une série qui m’intéresse (enfin si, un peu, mais j’ai tellement de choses à voir que je n’aime jamais m’avancer) mais en tous cas j’ai apprécié de te lire, comme toujours, et j’espère que ton optimisme et le bénéfice du doute que tu laisses à cette série seront récompensés 🙂

    • ladyteruki dit :

      J’ai bien aimé Kinou Nani Tabeta ? et ça fait partie des séries que j’ai regretté de ne pas finir de reviewer en 2019 je crois, mon brouillon est encore dans les limbes. Le problème venant moins de la série elle-même que du fait que je me suis dit « oh mais ya plein d’autres séries auxquelles faire référence que j’ai pas reviewées non plus », du coup j’ai commencé une review de pilote de Otouto no Otto, et d’une troisième série qui là tout de suite ne me revient pas, et du coup je me suis moi-même donné un burn-out de reviews. C’était à la période où je t’ai demandé de me rappeler qui était la personne qui avait écrit un récap de toutes les séries asiatiques BL, parce que je voulais la créditer, pis au final bah j’ai absolument rien posté. Un jour j’aimerais bien finir au moins une des trois reviews.
      En fait je pensais aussi à des personnalités comme Gordon Ramsay quand j’ai écrit le début de la review d’Aftertaste. Au-delà des personnages fictifs, il est certainement l’une des personnifications les plus connues de tous ces travers, et il est même célébré pour ses outbursts, et j’ai vraiment beaucoup pensé à lui pendant ce pilote. J’espère qu’il regarde Aftertaste, quelque part, entre deux crises de nerfs sur TikTok.

      • Mila dit :

        Oui, c’est vrai, impossible de ne pas penser à Gordon Ramsay, et il m’est venu en tête aussi.

        Et ha, je suis triste de ne pas avoir pu lire ta review de Kinou nani tabeta ? alors, mais néanmoins si tu étais en burn-out, je suis contente que tu aies fait le choix de ne pas te forcer^^ !

        • ladyteruki dit :

          L’avantage c’est que je n’efface jamais rien. J’ai à l’heure actuelle 191 brouillons (bon, certains sont des reviews commencées en prévision de ce mois-ci, mais l’immense majorité date de bien plus) donc qui sait, un jour peut-être que j’en finirai certains. Des fois il suffit de pas grand’chose : un revisionnage, un tweet, un commentaire…

  4. Tiadeets dit :

    C’est vrai qu’on en a déjà assez de ce type de personnages dans la vie réelle alors dans la fiction encore plus. J’espère que le reste de la série amènera vraiment un renouveau et pas juste une tentative pour faire genre et au final ne rien de nouveau, on ressort les mêmes tropes sans vraiment les challenger.

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