Si vous savez quoi que ce soit sur mes goûts téléphagiques, vous n’ignorez pas que je suis fascinée par tous les moyens que trouvent certaines séries pour nous fourguer de la camelote. Aujourd’hui on ne va pas, hélas, avoir le temps de parler de la longue et merveilleuse histoire du product placement, mais par la grâce du Dieu de la Téléphagie, on va à tout le moins en observer un magnifique exemple. Qui, hasard ou coïncidence, nous provient une fois de plus du Japon, et qui entre en collision avec le monde fabuleux des idols.
Je le dis sans une once d’ironie, je me délecte d’avance de vous en parler. Regardez-moi ce matériel promotionnel prometteur :
Parlons donc du premier épisode d’Aikatsu Planet! (c’est son nom) en lui-même.
Tout commence alors qu’une jeune fille appelée Mao découvre, ébahie, la popularité d’une idol animée appelée Hana. Elle en avait vaguement entendu parler, de nom quoi… mais la vraie fan dans cette affaire, c’est sa meilleure amie Shiori, qui connaît tout du monde animé d’Aikatsu Planet et ses idols. Hana s’avère être la personnalité la plus populaire de cet univers (le terme de « top idol » est même employé), mais évidemment tout le monde sait, au fond, que derrière ce personnage se cachent les talents artistiques d’une vraie personne. Shiori, qui décidément est incollable, sait que c’est en réalité une chanteuse et danseuse du nom de Meisa Hinata qui se cache derrière l’aspect coloré de Hana. Elle ignore qu’elle est en train d’exposer une grande partie de l’intrigue à notre héroïne !
Ignorant tout ce qui les attend, les deux adolescentes se rendent en cours, où des camarades de classe supplient Mao de les aider à créer une danse pour une quelconque activité extrascolaire ; comme Mao a fait de la danse classique, elle est la seule en mesure d’aider cette bande de pieds gauches à aligner deux pas. Désireuse de tenter de nouvelles expériences, Mao accepte, et imagine bientôt toute une chorégraphie qu’elle leur enseigne dans la cour de son école. La petite démonstration n’échappe pas à l’oeil entraîné d’Izumi Watanuki, manager de la compagnie Starlet, qui jusqu’à présent gérait l’emploi du temps d’une autre idol, Ruri Tamaki. Celle-ci endosse une identité secrète de l’idol animée Ruli dans le monde d’Aikatsu Planet.
Plus tard à son bureau, Izumi Watanuki apprend que l’interprète de Hana, cette fameuse Meisa Hinata, a décidé du jour au lendemain de jouer plutôt la fille de l’air. L’agence Starlet est bien embêtée : il n’y a donc personne pour faire chanter et danser Hana, et celle-ci a des activités promotionnelles prévues cette semaine ! Le suspense est de courte durée : Izumi repense à la jeune Mao, et à ce qui se dégageait d’elle lorsqu’elle dansait à l’école. Elle lui propose donc ni une ni deux de devenir la nouvelle interprète de Hana. Mao va-t-elle accepter de devenir une idol du jour au lendemain ? Le suspense est intolérable.
Dans l’univers d’Aikatsu Planet!, les idols sont systématiquement animées, un peu comme Miku. Leurs gestes sont, toutefois, créés en temps réel par des actrices qui elles, font le véritable travail d’idols, simplement elles le font en coulisses pour ne pas dire en secret.
Cela permet à la série d’avoir plusieurs ressorts, dont celui (habituel dans les séries pour la jeunesse) de la double-vie qu’il ne faut pas laisser découvrir, à plus forte raison pour Mao qui remplace au pied levé une autre idol dans le rôle de Hana. Il y a aussi le fait que, même si elle rencontre des avatars animés, Mao ne saura pas nécessairement qui est la personne qui se cache derrière.
Car cela va même plus loin que ça encore : la série nous explique en fait que les idols sont des avatars virtuels vivant dans un monde animé ! Elles ne sont pas dessinées par une équipe, non, elle vivent sur Aikatsu Planet, comme si c’était un monde parallèle. Il faut simplement se synchroniser avec l’une d’entre elles pour pouvoir entrer dans le monde d’Aikatsu Planet et pouvoir y chanter et danser (…ou y faire partie du public). Il y a toute une mythologie autour de leurs performances. L’exemple le plus flagrant concerne les costumes de scène : là encore, ils ne sont pas conçus par des équipes artistiques, non, ça serait trop prosaïque. A la place, ils viennent d’être magiques appelés des Dressia ; ces créatures peuplent Aikatsu Planet et ont le pouvoir d’investir leur personnalité dans des cartes spéciales, Aikatsu Cards, qui donne à quiconque les utilise la possibilité d’endosser cette aura… et donc de porter un vêtement magique représentant les Dressia. Vous avez suivi ?
Dans le premier épisode, Mao va devoir tenir sa première performance en tant que Hana, elle va donc à ce titre devoir se synchroniser avec le personnage animé, se rendre sur Aikatsu Planet, partir à la recherche d’un Dressia magique, obtenir son pouvoir dans une Aikatsu Cards, et finalement pouvoir se produire dans une battle musicale devant tous les fans de Hana.
Bon, là comme ça, ça a l’air un peu compliqué pour pas grand’chose. Mais quand on considère POURQUOI la série Aikatsu Planet! existe, tous ces ingrédients ont du sens. C’est là que le régal commence.
A l’origine, Aikatsu Planet! n’est pas une série : c’est un jeu conçu par la société Bandai. Eh oui, La compagnie est, certes, connue pour ses jouets, et notamment ses produits dérivés pour d’autres séries (il suffit de regarder la page d’accueil de son site internet !), mais elle a amplement étendu ses activités au-delà des propriétés intellectuelles d’autres compagnies, et a des produits originaux aussi. « Aikatsu » est, en particulier, une franchise remontant à 2012, et qui lui a permis de s’étendre jusque dans les salles d’arcade et de jeu grâce à une invention géniale : le Data Cardass (ci-contre ; je sais pas si, même comme ça, j’ai su vous donner une idée de la taille du truc). Il s’agit d’une technologie prenant la forme d’une borne de jeu dans laquelle on peut insérer des cartes (les fameuses Aikatsu Cards), lesquelles contiennent des données permettant de déterminer le jeu. Meilleures sont les cartes, meilleurs sont les résultats, bien-sûr, donc collectionnez-les toutes ! Au fil des années, la franchise Aikatsu s’est accompagnée de plusieurs séries animées diffusées par TV Tokyo. Au fil des saisons, elles se sont succédées dans les grilles avec succès (la série animée qui a tout démarré, en 2012, simplement intitulée Aikatsu!, a donné lieu à des films, des adaptations dans d’autre media : manga, roman, et même jeu video pour Nintendo DS…) dans les grilles de la chaîne, chaque nouvelle série s’accompagnant de la sortie de nouvelles cartes, et même de nouvelles bornes Data Cardass, qu’on trouve parfois aussi dans les magasins de jouet. Aikatsu Planet! est en cela parfaitement dans la lignée des séries précédentes.
Depuis le début de la franchise, les Data Cardass fonctionnent donc avec ces cartes spéciales, qui représentent chacune une tenue différente. La tenue que porte un personnage est capitale pour ses performances en tant qu’idol, et il lui faut évidemment être la plus mignonne possible. Toutes les séries de la franchise reposent sur ce principe, et cela fait donc quasiment une décennie qu’à travers le Japon, des petites filles espèrent trouver la robe ou les chaussures de leurs rêves dans le prochain paquet de cartes.
Alors en quoi Aikatsu Planet! est-elle innovante dans ce contexte ? Eh bien dans plusieurs choses. D’abord, à cause de ces fameuses cartes : la nouvelle collection Data Cardass (qui dit nouvelle série dit nouvelle borne, et donc nouvelles cartes) ne porte plus exactement sur les mêmes choses. La série introduit les Dressias, vous savez, ces fameuses créatures vivant sur Aikatsu Planet ? Même si leurs pouvoirs magiques se traduisent toujours par des vêtements, qui figurent au dos de la carte, il faut quand même bien admettre que désormais les cartes à collectionner évoquent plutôt Pokemon qu’autre chose.
Et surtout, Aikatsu Planet! est la première série de la franchise à n’être pas une série animée, mais une série hybride, mélangeant des scènes en live action avec des activités animées dans le monde virtuel d’Aikatsu Planet.
Cette virtualité n’est d’ailleurs pas accidentelle non plus : chaque joueuse peut se créer un avatar sur les bornes de jeu. Une partie de l’écran des Data Cardass est en effet tactile, et permet de jouer un peu comme… un peu… genre… ça ressemble un peu à une Nintendo DS géante, étrangement. Mais ce n’est sûrement qu’un hasard. En tout cas, cela permet de donner l’impression d’être face à des avatars animés grandeur nature, et donc de vivre soi-même ce qui se produit dans le monde parallèle d’Aikatsu Planet. Le génie est donc de faire en sorte que certains des outils narratifs de la série retranscrivent cela, avec une partie de l’intrigue en animation, et l’autre en live action.
N’importe qui peut devenir une idol, nous promet Aikatsu Planet!, il suffit de se synchroniser avec un personnage animé, se rendre sur Aikatsu Planet, partir à la recherche d’un Dressia magique, obtenir son pouvoir dans une Aikatsu Cards, et finalement pouvoir se produire dans une battle musicale. Tous les éléments du jeu se retrouvent dans le premier épisode (et a priori les suivants).
Personnellement, je ne vous recommanderai JAMAIS ce genre de série en tant que spectatrice. Je ne me la recommande même pas à moi-même, pour tout vous dire.
Mais je suis et reste fascinée par les mécanismes qui contrôlent son intrigue. A ce stade on est loin des mécanismes dont j’ai pu vous parler par le passé : d’underwriting ici, ou de séries créées en coopération entre plusieurs compagnies afin qu’elle s’entre-promeuvent. Non, à ce stade ces techniques ne sont plus qu’un vague point sur l’horizon dans le rétroviseur. Ici, on a une série qui est un produit dont le but tout entier est de vendre d’autres produits. Mieux que ça : chaque articulation de l’histoire correspond à une indication sur comment consommer ces produits.
Et ce, sans faux-semblant. La compagnie qui a créé le Data Cardass est la même compagnie qui a créé les cartes, et c’est la même compagnie (du moins, une filiale de la même compagnie, en l’occurrence Bandai Namco Pictures) qui produit la série. Pas d’intervenant extérieur, pas d’interférence. Pas de partage du magot. Si Bandai avait sa propre chaîne de télévision, elle diffuserait Aikatsu Planet! sans avoir à passer par TV Tokyo, vous pouvez me croire.
Non, ce ne sera jamais de la grande télévision. Mais c’est aussi grâce à ce genre de procédés que TV Tokyo peut se remplir les fouilles en diffusant à moindre frais, chaque dimanche matin, une série à succès auprès d’une cible très profitable… et ainsi financer, le soir en énième partie de soirée, des séries high concept audacieuses dont le public adulte pourra se régaler (et qui permet à Netflix de savoir quelles séries financer).
Ce n’est pas de la grande télévision, mais c’est aussi comme ça qu’on fait de la télévision.
Je connais des séries « prétextes » de ce genre-là, mais un tel degré d’opportunisme, je l’avais encore jamais vu. Je me demande si c’est aussi répandu que ça au Japon. En tous cas, bravo pour cette étude aussi éclairante que drôle !
C’est TRES répandu pour les séries pour enfants (et je sais pas si tu as lu cet article mais c’était un exemple un peu différent d’un certain nombre de mécanismes similaires, sauf qu’au lieu d’être le fait d’une seule compagnie, c’était une gigantesque synergie). Pour ce qui est des autres séries, « pour adultes », c’est en général moins éhonté, même si certaines pratiques inhérentes au fonctionnement de l’industrie japonaise du divertissement font qu’il y a quand même un peu toujours quelque chose à vendre. Grosso-modo la chanson d’au moins un des deux génériques est presque toujours à vendre, et la plupart des séries (surtout dans les cases horaires les plus prisées) ont toujours au moins un acteur ou une actrice qui a d’autres activités à côté, et donc in fine quelque chose à vendre. Si tu ne l’as pas lu, je recommande cet article certes un peu vieillissant : Et avec ça ? Vendre un dorama (et plus si affinités) au public japonais.
C’est toujours passionnant de lire tes analyses sur des séries et des phénomènes qui n’arrivent pas jusqu’à nous autrement. Une telle série produit, c’est tout de même assez impressionnant.