Pendant l’année 2020, je me suis montrée un peu mauvaise élève quant à la fiction québécoise, en dépit du fait que je maintiens qu’il s’agit de la meilleure fiction francophone au monde. Ah mais c’est même pas la peine d’essayer d’argumenter, amies téléphages, c’est la vérité, rien que la vérité. Alors on va essayer d’arranger ça en parlant aujourd’hui du premier épisode de Contre-offre, la dernière comédie en date de la plateforme Noovo.ca.
Je n’en ai jamais parlé parce que je n’ai vu aucune autre série originale de Noovo.ca, et surtout pas Le Killing qui à tort ou à raison me donnait de sérieuses vibes de Wet Hot American Summer: First Day of Camp. Brrr.
Contre-offre se déroule dans l’univers étrangement peu prisé par les séries de l’immobilier, et plus précisément d’agents immobiliers (on dit apparemment « courtiers » au Québec, on en apprend tous les jours). On aurait aisément pu voir ce contexte professionnel transformé en machine à gag pour shortcom française ; je n’ai trouvé trace d’aucune série historique sur les années 80 dans laquelle un groupe de femme aurait trouvé l’indépendance financière en vendant des maisons ; ç’aurait pu faire un drama du câble US avec un anti-héros masculin broyant du noir alors qu’il essaie de vendre des demeures au-dessus de ses moyens et/ou en y conduisant quelque trafic illégal ; je ne comprends même pas qu’il n’existe pas une série japonaise high concept où chaque épisode révèlerait la complexité de la nature humaine via des détails cachés dans les recoins intimes de nos appartements. Je sais pas, le truc est riche pourtant, j’ai mal cherché, ou…?
Toujours est-il que Contre-offre fait le choix d’être une dramédie en single camera, qui, même si elle a définitivement des passages comiques, ne repose pas que sur l’humour.
Tout commence pour Contre-offre lorsqu’Alain, le fondateur de l’agence familiale Lévesque, décide de tout plaquer. Il a créé sa propre société il y a 20 ans, avec son meilleur pote Marcel, et ça signifie 20 années à supporter les pires vendeurs et les pires acheteurs des environs. Là c’est la goutte qui fait déborder le vase : lors d’un échange de trop avec un client dont le bien est super difficile à vendre mais qui vient en plus de refuser une offre pourtant décente, Alain pète les plombs. Dans la foulée, il annonce au personnel de l’agence qu’il vient de travailler pour la dernière fois, et part prendre des vacances. Ou sa retraite. C’est pas clair. De toute façon dans les deux cas, on ne risque pas de les voir de sitôt.
Or, les employés de l’agence sont, précisément, ses proches. Et notamment, il travaille(-ait ?) avec deux de ses trois filles, pour qui la nouvelle n’est pas que professionnelle. Christine et Daphnée, qui bossent donc également à l’agence, vont se trouver à un carrefour, et doivent décider de la suite de leur carrière. Quant à Jade, qui a jusque là essayé d’éviter la prophétie familiale et tenté le coup comme comédienne, elle est également confrontée à ce changement soudain, et doit réévaluer certains choix. Que va-t-il advenir de l’agence Lévesque en l’absence d’Alain ? Que va-t-il advenir des filles Lévesques ?
L’inconvénient majeur de ce premier épisode est que Contre-offre passe beaucoup de temps sur l’exposition de ses personnages et de son contexte immobilier (notamment en se focalisant sur la vente difficile d’une maison remplie d’objets phalliques)… mais sans vraiment nous délivrer les informations les plus importantes. Ou pas clairement, en tout cas. Jusqu’à ce qu’Alain annonce son départ, je n’avais personnellement pas saisi que certains personnages étaient des membres de sa famille. Pire : quand je l’ai compris, je ne savais pas s’ils l’étaient tous (mais, non, il s’avère que Marcel n’est pas un frère mais bien un ami). Vu que l’événement perturbateur intervient si tard dans l’épisode, j’aurais trouvé normal de l’avoir déjà amplement compris. Alors, vous me direz, il n’est pas à exclure que je sois passée à côté de cette information au détour d’un dialogue… Mais le fait que j’ai froncé les sourcils pendant l’annonce du départ d’Alain, alors que ce qui se tramait était justement le départ et aurait dû m’occuper émotionnellement à autre chose, est quand même un mauvais signe.
Pourtant, en elle-même, cette histoire de maison remplie de pénis n’est pas inintéressante. Elle est le moteur de plusieurs passages drôles (et clairement Contre-offre tient à ménager ceux-ci), mais aussi le révélateur de certaines dynamiques entre deux des filles d’Alain (Christine est un requin, Daphnée a moins d’expérience et pédale un peu), et même un moteur d’une intrigue secondaire (par laquelle la compétition de l’agence Lévesque nous est présentée). Mais vraiment ce n’était pas le sujet pour ce premier épisode que de passer autant de temps sur les bites qui pourraient gâcher une vente lucrative. Il aurait fallu laisser ça à un épisode ultérieur.
Surtout que les épisodes de Contre-offre durent moins d’une demi-heure et qu’il n’y avait pas une minute à perdre.
Pour autant, malgré cet inconvénient propre aux dangers d’un épisode introductif, je ne crois pas que Contre-offre soit mauvaise. Son démarrage bordélique n’empêche pas des personnalités intéressantes de se révéler, avec un cast majoritairement féminin qui plus est (détail amusant dans ce contexte : à l’accueil de l’agence Lévesque, on trouve un personnage masculin émotif et quasi-muet que j’ai interprété comme un genderswap en bonne et due forme des clichés de réceptionniste). L’attachement des personnages pour l’agence est réel, et il y a quelques petites choses qui m’ont fait ressentir, si ce n’est un attachement similaire, au moins une certaine forme d’affection pour ces trois filles qui doivent considérer si le patrimoine familial mérite d’être sauvé. Et qui vont sûrement différer quand il s’agira de décider comment.
Christine, qui possède de toute évidence la personnalité la plus adaptée à cet univers, et qui en plus a l’expérience nécessaire pour être une excellente euh courtière, est celle qui a le plus à gagner de ces changements : pour elle, le défi professionnel va sûrement être intéressant, mais il va être temps de s’interroger sur le reste de sa vie. A l’inverse Daphnée, qui semble toujours stressée (et pas que parce qu’elle est mère célibataire et jongle avec les responsabilités), a peut-être ici trouvé l’opportunité d’enfin acquérir une forme de contrôle et donc d’équilibre. Concernant Jade, il n’y a pas vraiment de mystère, tout le monde sauf elle semble savoir que l’immobilier est une carrière faite pour elle, je suis sûre qu’en dépit de ses velléités artistiques, elle prend la bonne décision en revenant au bercail (la vraie question étant de savoir si la pub qu’elle a tourné dans le premier épisode aura des conséquences là-dessus).
Je vois plein de choses pour ces trois femmes-là (et, sans nul doute, sur certains points j’aurai tort). Que je sois capable de me projeter ainsi est un plutôt bon signe pour cette mise en place.
En outre et si j’en crois le matériel promotionnel, Alain ne va pas totalement déserter la série, et ses interactions en tant qu’ex-chef d’entreprise avec sa famille vont probablement causer des remous. Je mets ma main à couper qu’après 20 ans à la tête de l’agence Lévesque, il ne va pas lui être si facile que ça de raccrocher entièrement les gants. Même s’il en a marre des clients et du bullshit en général, bah lui aussi, il y tient, à cette agence familiale, j’en suis sûre. Et on ne laisse pas les commandes si facilement.
Pour une dramédie, c’est déjà pas mal de réussir à mettre tout ça en place ! C’est juste que ce n’était pas forcément super bien amené.
Et encore une fois, je suis très étonnée que si peu de séries s’intéressent au monde immobilier (…j’ai lu que l’interprète de Jade avait bingewatché les 3 saisons de Selling Sunset pour se préparer à son rôle, c’est dire si les choses sont désespérées). Il y a clairement du potentiel pour plein de choses.
D’ailleurs à ma grande (et agréable) surprise, il ne s’agit pas dans ce premier épisode pour Contre-offre d’en profiter pour nous fourguer une guest excentrique, mais vraiment pour nous montrer ce que la maison dit de sa propriétaire ! C’est une approche que j’aime beaucoup, amusante mais sans lourdeur, et j’ai hâte de voir si elle se répète dans les épisodes ultérieurs.
Tout n’est donc pas à jeter, loin de là, et peut aussi prendre de la valeur avec le temps.
Tiens, c’est vrai que c’est original comme sujet de série. En plus, vu le succès des émissions de Stéphane Plaza sur M6, il y aurait clairement de quoi ramener du public.