No rain can get the rainbow

29 janvier 2021 à 19:53

« Cet article existe grâce au soutien des contributrices sur Tipeee« .

J’ai beaucoup pensé au soutien ces derniers mois. Essentiellement parce que j’ai eu tant l’impression de ne pas le mériter (et je crois que mon récapitulatif de 2020 le soulignait plutôt bien). Au juste je ne saurais pas dire comment je pourrais le mériter ; même quand en 2019 j’ai écrit parfaitement régulièrement, je n’ai pas eu l’impression que c’était le cas. Et au-delà de la question du soutien financier, je n’ai absolument jamais le sentiment de mériter du soutien émotionnel de toute façon, ne nous berçons pas d’illusions. C’est tout le contraire. Je me sens coupable d’avoir besoin d’autres pour survivre et avancer, et plus encore, d’oser leur demander.
Avec le temps, il semble même que cela empire. Le fait que ma condition psychologique, affective, financière, administrative (et maintenant légale !) semble se complexifier avec les années n’arrange pas ce sentiment de toujours recevoir plus que ce que je devrais attendre. Plus la pluie tombe dru, plus j’estime que je devrais m’en sortir seule, mais… mécaniquement, bien-sûr, moins je le peux. Objectivement ça va de soi, demander de l’aide est humain (et souvent salvateur). Dans les faits je me sens coupable de demander tant aux autres quand je me sais incapable de faire autant en échange, ou même moitié moins, sur quelque plan que ce soit. Le plus dur c’est d’accepter que je ne pourrai jamais payer de retour de façon « équivalente » le soutien qui m’est apporté ; me considérer endettée me fait me sentir vulnérable. Je suis un fardeau.

Et pourtant. Pourtant cette vulnérabilité est belle, sous un certain angle. Elle indique que je suis en confiance, et que je sais encore, une fois de temps en temps, ouvrir mon cœur et ma vie à d’autres, en un sens. Peut-être que c’est ma façon de rationnaliser ma faiblesse, mais d’un autre côté il est humain d’être faible. Encore plus dans un monde parfois si inhumain. Bon sang, regardez autour de vous, qui ne s’est pas senti faible au moins de temps à autres ces derniers temps…? Le temps a été mauvais pour tout le monde, et chacun à notre façon, nous espérons une embellie qui bien souvent ne peut provenir que de nos pairs, tant il ne faut pas compter sur le système.
Surtout, cette vulnérabilité démontre que je suis bien entourée. Ce qui n’a pas toujours été vrai (et je me demande souvent combien de temps ce le sera), mais est tellement important. Quand je regarde le soutien que j’ai reçu ces derniers mois, sous tant de formes, je vois tous ces visages (quand bien même ce sont souvent des avatars) qui, à leur façon, m’accueillent chaleureusement dans leur vie, sans traiter ma vulnérabilité comme un obstacle, un défaut, une tare.

J’essaie d’apprendre à mieux chérir la façon dont je suis ainsi accueillie dans le cœur de celles qui m’apprécient voire peut-être m’aiment, même de loin. C’est un long parcours, toutefois il en vaut la peine. En tout cas, c’est ce que je me dis les rares jours sans pluie.

Forcément, le premier épisode de Nijiiro Karte (l’une des nouvelles séries de la saison hivernale japonaise, lancée la semaine dernière) m’a atteinte en plein cœur. Il a su toucher la corde sensible.
Il s’agit d’un human drama (ce n’est pas sale) dans lequel Masora Kureno, une jeune docteure en médecine, apprend qu’elle est atteinte d’une maladie si grave, qu’elle ne peut plus exercer. L’hôpital tokyoïte où pourtant ses services ont paru si appréciés jusqu’à présent… refuse tout simplement de continuer de l’employer. Parce qu’elle est passionnée par son métier, mais aussi plus prosaïquement parce qu’elle a encore des prêts étudiants à rembourser, elle est absolument désespérée. Par le plus grand des hasards, dans ce premier épisode, elle croise le chemin de Kei Kirigaya, l’un des employés de la mairie de Nijino, un petit village de province qui cherche désespérément à survivre. Comble du hasard, Nijino cherche tout aussi désespérément à recruter un docteur en médecine.
Entre gens désespérés, on se comprend : Masora décide de postuler et de quitter Tokyo pour ce petit bled perdu dans les montagnes.

Une fois sur place, Masora Kureno est accueillie avec tous les honneurs. Nijino est un endroit chaleureux et accueillant, où certes on ne compte que 170 âmes (…enfin, sûrement 171 maintenant), et où on ne trouve qu’un seul magasin qui fait aussi office de salle des fêtes, mais où tout le monde est ravi d’avoir trouvé une nouvelle docteure. Elle vient en effet compléter l’équipe médicale composée d’un chirurgien et d’un infirmier, dans la petite école transformée en clinique de montagne, et désormais les villageoises ont tous les services médicaux dont elles peuvent avoir à disposition sans se lancer dans un long voyage sur la grande route tortueuse de montagne qui sépare Nijino du reste du monde.
C’est une aubaine qui donne des espoirs à chacune de peut-être, un jour, redynamiser le village plutôt que le voir dépérir.

Vous allez me dire : « oui, euh, okay lady, tout ça c’est très bien, mais quel est le conflit ? ». Parce que dans une série, surtout le premier épisode, il y a toujours un conflit, n’est-ce pas. On ne peut pas écrire de fiction dans laquelle il n’y a pas de conflit, tout le monde sait ça. Il faut que quelqu’un veuille quelque chose qui n’est pas réalisable immédiatement, voire pas du tout, ou incompatible avec ce que veut quelqu’un d’autre. Il faut qu’un événement négatif soit déclenché, qui aille à l’encontre du bonheur de quelqu’un. Il faut un problème à résoudre. Je sais pas, moi, il faut… quelque chose ! Dans ce cas fort bien, je vais vous le dire : dans le premier épisode de Nijiiro Karte, le conflit c’est que Masora n’a pas dit qu’elle était malade. En fait, elle a menti quand elle a postulé, et que la question lui a été posée. Voilà, vous avez un conflit. Vous êtes contentes ? Alors revenons à ce qui est important.
Ce qui est important, c’est justement cette chaleur que ressent Masora immédiatement. Et que, précision majeure, les spectatrices ressentent aussi. Une chaleur qui en fait symbolise l’espoir.
Elle est d’autant plus primordiale, cette chaleur, que depuis les premières minutes de l’épisode, Nijiiro Karte nous a mises à fleur de peau. Je m’avancerais même jusqu’à dire qu’il est physiquement impossible de ne pas avoir eu le cœur serré (et, me concernant, la larme à l’oeil, que certes j’ai facile) dans les dix premières minutes de cet épisode introductif. La joie que Masora ressent à l’idée de pratiquer la médecine, suivie de la déception de ne plus pouvoir le faire, et l’impression que sa vie s’arrête au moment où la maladie se déclare… rien que ça devrait vous chavirer l’âme. Ce qui naturellement rend d’autant plus incroyable la joie ressentie par cette même Masora lorsqu’elle arrive à Nijino, et tombe dans les bras grands ouverts de ses habitants.
Quand bien même c’est une joie amère, à cause de son mensonge par omission.

C’est le moment où je vous dois quelques explications de texte : le mot « niji » en japonais signifie arc-en-ciel.
Effectivement, le village où elle vient d’atterrir (Nijino pourrait se traduire grossièrement par « de l’arc-en-ciel ») est extrêmement fier de son étymologie. Il y a des couleurs partout ! Des arcs-en-ciel à tous les coins de rue ! Quand bien même le village est si petit qu’il n’y a pas de rue ! En-dehors de ça, c’est un village vraiment quelconque (c’est pour tout dire ce qui fait son charme). Il n’a vraiment rien d’extraordinaire, le chemin pour s’y rendre est jalonné de repères complètement oubliables, et en-dehors de la montagne environnante et son épaisse forêt, il n’y a vraiment rien à dire ce qu’il y a en-dehors du village… ce qui ne fait que souligner l’importance de cette communauté arc-en-ciel, avec toutes ses personnalités hautes en couleurs et ce décor assorti. De son côté, le titre de Nijiiro Karte pourrait quant à lui se traduire par « Dossier médical* aux couleurs de l’arc-en-ciel » ; la série va vraiment jouer au maximum sur cette idée d’embellie après que Masora soit passée par la pire intempérie de sa vie. En fait il semble qu’il y ait tout un vocabulaire autour de cette idée dissimulé dans les noms propres de la série, du nom de famille de Masora (« kure » renvoie à une couleur écarlate) à un protagoniste se prénommant Taiyou (« soleil »).
*Fun fact : Karte est un mot emprunté à l’allemand, comme un grand nombre de termes médicaux japonais, parce que pour résumer, à l’ère Meiji, les tous premiers docteurs japonais formés à la médecine occidentale ont été formés par des Allemands. En anglais, on utiliserait le mot « chart« … vous saisissez l’idée générale.

De la même façon qu’il est impossible de ne pas avoir le cœur serré au début de l’épisode, il est impossible de ne pas le sentir se remplir d’amour par la suite. Même si Nijiiro Karte n’est pas filmée avec de gros moyens, elle a de la suite dans les idées. En particulier, la série porte une attention soutenue à la façon dont, dans la plupart des scènes à Nijino, les villageoises se bousculent dans les plans, épaule contre épaule, s’approchant les unes des autres lorsqu’elles prennent la parole, leurs voix se chevauchant dans un joyeux bordel où l’on se sent parfois perdues, mais dans le bon sens. Plus l’épisode avance plus cet effet prend de l’ampleur, démontre combien ces quelques âmes se serrent les coudes et sont aptes à ne former qu’un corps contre les difficultés, tout autant qu’elles sont capables de faire la fête ensemble. Ensemble est d’ailleurs le maître-mot de la vie à Nijino, vu que Masora partage également son lieu de vie avec le chirurgien et l’infirmier, logeant tous les trois dans une aile de l’ancienne école leur servant aujourd’hui de clinique (Masora dort dans les combles, là où jadis on trouvait le clocher). Il est donc physiquement impossible de s’y sentir isolée ! Ce qui est tellement dingue quand on considère combien Nijino est, à l’inverse, géographiquement isolée du reste du monde…

Voilà donc pourquoi l’épisode introductif de Nijiiro Karte était si fabuleux à regarder. Parce qu’il y a des séries où le conflit prime, et dont l’intrigue à venir va dépendre. Et il y a des séries où franchement l’essentiel est ailleurs, et c’est tant mieux. On est là pour ressentir des choses aussi intimes que la sensation des gouttes de pluie tombant sur nos joues ou, au contraire, les premiers rayons de soleil commençant à nous réchauffer la peau.
Par plusieurs aspects, Nijiiro Karte m’a évoqué Ruri no Shima, et cette évocation n’a fait que m’émouvoir plus encore (même si ça fait mal au cœur que les problématiques plus larges sur la mort des périphéries rurales japonaises soient toujours inchangées en une décennie et demie). Mais même si vous n’avez pas la référence, je vous mets au défi de ne pas tomber en adoration devant ce qui se dégage de ce premier épisode (et a priori des suivants), parce que nous avons tous besoin de trouver une communauté chaleureuse qui nous accueille à bras ouverts.

C’est moi-même ce que j’ai trouvé, tout au long de l’année dernière par exemple, mais encore en ce mois de janvier. Malgré mes problèmes. Malgré mon désespoir. Malgré ma maladie. Ce qui pour d’autres ferait de moi un fardeau est accepté, embrassé, accompagné, quand bien même je ne pense pas le mériter. Certaines villageoises d’internet sont têtues, ignorent l’opinion que j’ai de moi-même, et essaient de m’offrir leur aide, leur chaleur, leur amitié. Leur soutien.
J’ai regardé Nijiiro Karte en songeant à la chance que j’avais de les avoir dans ma vie. Quand bien même je formule souvent mal, et insuffisamment, ma reconnaissance pour ce soutien déborde. Avec ma mise à la retraite le mois dernier, on aurait pu croire que ma vie s’arrêtait pour de bon cette fois, que les choses étaient sans espoir, et que mon cas était désespéré. Toutefois, le soutien que je continue de recevoir depuis me rappelle que je ne suis pas finie. Pas avec un entourage comme celui-là.


Thank you for being my rainbow.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Mila dit :

    « Vous allez me dire : « oui, euh, okay lady, tout ça c’est très bien, mais quel est le conflit ? ». »
    C’est là qu’on sent que tu t’adresses à un public large parce que j’ai regardé suffisamment de Jdramas pour ne pas du tout m’être posé la question :’D

    En tous cas, ça a l’air d’être un très joli drama, et si tu commences à citer Ruri no shima… comment ne pas être d’autant plus convaincue !?

    Bon mais je tergiverse pour ne pas dire que j’ai la larme facile et que je chialerais probablement méchamment devant ce drama, parce que même l’article m’a mis plusieurs larmes aux yeux, alors… On sent bien tout l’amour que tu as eu pour ce premier épisode, et le bien qu’il t’a fait, mais aussi, il y a tout ce dont tu parles à propos de toi-même, et c’est surtout cela qui m’est allé en plein coeur même si c’est dur de pas l’écrire maladroitement. Même si j’aimerais que tu te voies plus comme nous te voyons, je suis heureuse de lire le reste. Argh, pardon je ne sais pas trop comment commenter sans juste répéter l’article ;;

    Pour te résumer la chose: ♥

  2. Tiadeets dit :

    <3 C'est un très bel article que tu nous offres par ici. Les dramas japonais arrivent plus que d'autres que j'ai pu voir à offrir des histoires toutes douces et pleines de réconfort et je suis contente que tu aies pu en trouver par le biais de cette série qui t'a rappelé aussi les gens qui t'entourent.
    Je ne lis pas souvent tes articles lorsqu'ils sortent et je fais un tir groupé un jour où j'ai le temps pour pouvoir pleinement en profiter. Et à chaque fois que je regarde une série qui sort de l'ordinaire, je pense à toi et à chaque fois que je regarde une série que tu as conseillé, je pense à toi et je suis contente d'être tombée sur ton blog il y a toutes ces années lorsque je trainais sur le twitter série alors que j'étais encore au lycée (que le temps passe !)

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