Le commandant John de Koning pensait avoir laissé tout cela derrière lui. Loin du déploiement sur le terrain dans des zones de combat, il est aujourd’hui chez lui, aux Pays-Bas, et assure la sécurité de dignitaires étrangers pour le compte de la diplomatie néerlandaise. Il ne parle plus trop à ses anciens camarades de combat : en-dehors du jeune Simon, qui travaille avec lui, les autres sont restés dans l’armée active et plus ou moins coupé les ponts. Après tout, cela fait déjà trois ans…
La série Commando’s, dévoilée en avant-première pendant l’atypique Séries Mania de 2020, n’est pas encore arrivée sur les écrans français, mais d’autres n’ont pas été si lents à la détente, et c’est ce qui me permet aujourd’hui de vous parler de son premier épisode. Mais, parce que la série se déroule sur fond d’intervention militaire, de liens avec Boko Haram, et de potentiels crimes de guerre, j’aime autant vous prévenir, ça ne va pas être de la rigolade.
C’est aussi un peu pour ça que je ne retiens pas mon souffle jusqu’à une diffusion française…
Que s’est-il passé voilà trois ans, au juste ?
Le premier épisode de Commando’s multiplie les allusions, mais pour le moment l’ampleur des choses ne nous est pas révélée. John et son ancienne équipe sont terrifiés que cela se sache, et cette paranoïa s’étend aux spectatrices de la série, auxquelles on en dit le moins possible. Le peu que l’on comprend, pourtant, est déjà bien lugubre.
Postée au Nigéria, l’unité dirigée par John de Koning reçoit l’ordre d’assister les Américains dans une mission de type « special ops« , consistant à extraire Obadiya Zuberi, un dignitaire nigérian kidnappé par Boko Haram… Il apparaît cependant que Zuberi est traité plus comme un invité que comme un prisonnier, et qu’il profite de son séjour aux côtés du groupe jihadiste pour violer des petites filles.
Ces faits remontent donc à trois années, et l’on pourrait penser que, bien qu’atroces, ces faits appartiennent donc au passé. Mais ils hantent encore clairement John, Simon, et probablement les autres. Les cauchemars de John, quand bien même nous n’en comprenons pas les points de détail, montrent qu’il souffre d’un syndrome post-traumatique (…sa fille aussi, et on ne sait pas pourquoi à l’heure actuelle). Cela explique certainement son nouveau choix de carrière. Simon, dont le visage a été brûlé lors de cette opération, se lance de son côté à cœur perdu dans sa relation naissante avec une jeune femme du nom d’Isabella. Il n’a pas l’air bien non plus.
Au milieu de tout cela, Zuberi refait surface. Pendant les trois années qui se sont écoulées, il est devenu ministre au Nigéria ; pendant une visite diplomatique aux Pays-Bas en apparence anodine, il exige que John gère sa sécurité. John pressent que la demande n’est pas si anodine et les faits vont lui donner raison : Zuberi non plus ne veut pas que quelqu’un parle de ce qui s’est passé à l’époque, et il est prêt à tout pour que le silence soit préservé.
A partir de ces ingrédients, Commando’s essaie de nous inquiéter : pour John et sa famille, que les menaces à peine voilées de Zuberi mettent en danger, et pour Simon, que la venue de Zuberi rend plus fragile que jamais. Pourtant, dans le même temps, il faudrait que nous nous inquiétions nous aussi que la vérité ne sorte pas. L’épisode est écrit (et, je le suppose en tout cas, la série en général aussi) de façon à faire de John le protagoniste. Ce que le protagoniste veut, c’est ne plus penser à tout cela et tourner la page. Or, bien spuvent quand il s’agit de fiction, ce que le protagoniste veut, c’est ce que nous voulons.
Alors, moi je veux bien, mais j’aimerais connaître les clauses en petits caractères : qu’a-t-il donc fait ? Quelles décisions, en tant que commandant de l’unité, a-t-il prises ? Quels ordres a-t-il donnés à son unité, dont ils ont tant honte aujourd’hui ? Pourquoi la seule chose qui pourrait les réunir aujourd’hui, c’est de maintenir le secret ? Et pourquoi cette brève scène dans laquelle on apprend qu’un charnier rempli de cadavres féminins a été retrouvé récemment au Nigéria ?
A ce stade évidemment, on n’en sait rien. Mais l’imagination cavale et ne donne vraiment pas envie de traiter John, ou même ce pauvre Simon, en victime des circonstances. L’odeur de crimes de guerre qui se dégage de Commando’s pue bien trop. J’espère me tromper, mais comment à ce stade expliquer la réaction de cette unité que les faits passés ont séparée, et leur insistance à préserver le secret ? Trop de questions désagréables.
Remarquez que ce serait une entreprise futée, sur le principe. Commencer la série en posant le « héros » comme un héros militaire, le genre de personne qu’on nous apprend à respecter pour ses sacrifices et la difficulté de son métier… poursuivre l’intrigue avec des spectatrices acquises à sa cause, parce qu’il est le protagoniste et parce qu’il a peur (et puis, ne l’a-t-on pas menacé ?)… et finir à un moment, peut-être, par nous révéler que tout du long, nous avons fait preuve d’empathie pour un monstre qui a commis des atrocités bonnes pour La Hague.
Ce serait une démonstration assez implacable de la façon dont les crimes de guerre sont si souvent couverts, limite acceptés, lorsqu’ils sont commis par des troupes européennes en territoire étranger. Ce serait très puissant. Ce serait aussi un propos très rare pour une série européenne…
Cependant, comme l’ambiguité de John et de toute son unité est indiquée très tôt dans Commando’s, je ne sais pas vraiment si c’est ce qui se passe ici. D’où mon sentiment de malaise.
Remarquez que le sentiment de malaise peut aussi être intéressant en téléphagie. Si on devait ne regarder que des séries qui nous mettent à l’aise, on n’en verrait pas beaucoup qui aient de l’importance. Et, malgré l’ambivalence générée par le premier épisode de Commando’s, il reste en effet l’impression qu’il se passe quelque chose d’important…
Oh, je serai curieuse de savoir dans quel sens la série va. J’espère que c’est ce que tu penses et pas autrement. Il y a malheureusement trop d’œuvres de fiction qui ne voient pas le problème à rendre héroïque des personnes qui sont bien tout le contraire.