Dissection

15 décembre 2020 à 21:12

Levons le voile quelques minutes sur le making of de ces colonnes. Ces derniers jours, j’ai eu les yeux plus gros que le ventre (et ce n’est pas peu dire), puisque je me suis attelée à deux reviews de saison ET fait des recherches pour un autre article de fond, plus abstrait. J’avais essayé de me concentrer là-dessus en me disant : surtout, tu finis ce que tu as commencé avant de toucher à quoi que ce soit d’autre (d’autant que l’une des saisons commençant à dater, j’avais souvent besoin de revenir sur certaines scènes pour me rafraîchir la mémoire). Je tenais même le bon cap, quand bien même c’était lent. Et là, patatras. Pour dîner, ce soir, j’ai mis le premier épisode de The Wilds.

The Wilds commençait comme une série assez banale, dans l’ensemble, étant donné tous les Khweng, les The I-Land, toutes ces variations autour de Lost, qui se ramènent régulièrement sur nos écrans. L’idée d’isoler des personnages du monde, dans un contexte qui ne fait qu’à moitié sens (tout le monde comprend le concept d’échouer sur une île ou plage déserte, mais ça n’est pas facile à appréhender pour autant), n’est pas franchement neuve.
Le problème c’est que comparer The Wilds à ces séries est simpliste. Erroné, même. C’est s’attacher aux points communs les plus superficiels que d’emprunter ces raccourcis. Dans les faits, The Wilds est plus proche de Dare Me que de toute autre série.


Parce que ce qui intéresse The Wilds, c’est l’expérience de l’adolescence. Et plus particulièrement, d’en découper la chair au scalpel, d’en épingler les membres sur la table, et d’exposer à la lumière du jour ses entrailles pour mieux les observer. Il n’y a pas de complaisance, et malgré la voix-off fournie par Leah, l’héroïne de 16 ans de la série, il n’est pas vraiment question d’elle. The Wilds est là pour parler de ce que représente l’adolescence en général… et en particulier l’adolescence féminine.
La thèse de The Wilds est explicitée très tôt dans ce premier épisode : l’adolescence féminine est un trauma.

Aussi lorsque l’intrigue commence à mettre ces jeunes filles dans un avion, à être secouées par des turbulences, à se réveiller (souvent blessées) dans l’eau ou sur une plage humide, The Wilds ne considère pas que les ennuis commencent maintenant. Sa situation, elle la voit moins comme un événement déclencheur que comme un révélateur, et la nuance est importante parce que c’est de ça que sont faits les meilleurs human dramas (ce n’est pas sale). En fait c’est à un tel point que très tôt dans l’épisode on commence à flairer le coup fourré, qui nous est confirmé juste avant le générique de fin (au pire, un peu de media literacy : on n’obtient pas Rachel Griffiths au générique pour la montrer uniquement dans une B-roll, soyons logiques), et que pourtant on sait que ce n’est pas le nerf de la guerre. Ce n’est pas là que les choses se jouent. Et d’ailleurs à bien y réfléchir, je me dis que si quelqu’un a été surpris du tour qu’ont pris les choses sur ce plan, ils en arrivent exactement au même point malgré tout, qui est qu’on va observer ce traumatisme et ses manifestations. Même dans un contexte aussi particulier, avec cette storyline à suspense, avec ce high concept qui se trimbale dans le fond de l’intrigue, c’est bien cet angle qui prime.

Et alors, vous me connaissez, moi, dés qu’il s’agit de traumatisme, je réponds présente. Exactement comme pour Dare Me, j’ai eu ce sentiment de fascination viscérale (et pour une autopsie ça tombe plutôt bien) parce que même si je n’ai pas eu la même expérience que Leah, ou qu’une autre adolescente de la série, je retrouve en filigrane quelque chose de similaire dans le ressenti. The Wilds prend aux tripes.
Il y a quelque chose de fondamentalement brutal dans la façon dont les deux séries dépeignent l’adolescence et en particulier l’adolescence féminine. D’ailleurs sur ce point, les 5 premières minutes de ce pilote sont une masterclass d’exposition à la fois des personnages et de la thèse de la série, tout en posant une ambiance et un discours implacables à leur sujet. Être une adolescente, c’est ça le trauma. Dans le fond il n’y a qu’une adolescente qui oserait dire des choses aussi dramatiques… et pourtant en tant que féministe, si je n’ai pas lu ces mots exacts, en tout cas ils résument bien certaines choses qui sont dites sur le parcours initiatique qui mène à la féminité. Ce ne peut être un hasard, d’ailleurs, que la destination des adolescentes, à laquelle en théorie elles n’arrivent jamais, soit une retraite féministe.
Est-ce que vous la sentez, la teenage angst ? Non mais pas juste, « ah oui je me souviens », vraiment, est-ce qu’elle vous attrape les boyaux comme il y a 5, 10, 15 ou, dans mon cas, 20 ans ? Des séries comme Dare Me et maintenant The Wilds proposent de vous la faire revivre, en mieux parce que désincarné, mais en pire parce que transcendé par la fiction. Comme si regarder ces personnages imaginaires au vécu différent du vôtre vous donnait des flashbacks. C’est violent à revoir parce que ce n’est pas vous, mais ça fait appel à votre expérience de la plus intime des façons. Ca va chercher la vous d’alors et ça la fait hurler dans votre tête toutes les choses qu’avec l’âge vous pensiez avoir oubliées, parce que qui veut se rappeler des pires expériences de l’adolescence ? Les meilleures peut-être, et encore elles s’émoussent avec le temps, mais les pires ?! Et pourtant The Wilds est là, à vous déballer les intestins sur la table juste pour le plaisir. Parce que, le plus absurde, c’est que c’est une série, quelque chose que supposément vous regardez pour le plaisir ! C’est quel genre de masochisme, ça ?
Bah c’est le masochisme de quelqu’un qui est passé par un trauma. Je valide totalement la thèse de The Wilds.

Le contexte lostien de The Wilds est là pour chirurgicalement tout découper autour de l’adolescence féminine. Retirer la société, retirer les adultes, retirer les adolescents masculins, retirer les portables, retirer tout. Chaque millimètre de peau, chaque tendon, chaque nerf, chaque boule de graisse, finement prélevés pour ne laisser que la chair, saignante, à observer sur la table d’autopsie.
Du coup, merci pour rien, hein ! Je vais devoir commencer une troisième review de saison. On n’est pas aidés.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Très intéressant de voir comment un concept déjà utilisé peut réussir son pari et apporter quelque chose de nouveau.

  2. Piou dit :

    J’étais déjà tentée de tester la série mais ta review m’en a convaincu (un peu masochiste aussi visiblement ^^)

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