Avez-vous déjà écrit à un magazine ou appelé une libre-antenne dans l’espoir que quelqu’un puisse vous donner de bons conseils ? En France, on appelle parfois cela le courrier du cœur, mais ailleurs on parle aussi d’advice columns ou d’agony aunts, et la tradition reste vivace même sur internet (par exemple sur Slate, avec Dear Prudence, ou Kotaku avec Ask Dr. Nerdlove). La tentation est grande d’essayer de faire appel à un tiers, que l’on suppose neutre et objectif, en cas de préoccupation interpersonnelle avec un proche (on pourrait aisément arguer que r/AmITheAsshole est une autre expression de ce besoin), dans l’espoir d’obtenir à la fois une solution pratique et une réaffirmation émotionnelle.
Mais qui est vraiment capable de répondre à ces questions ? Qu’est-ce qui qualifie quelqu’un pour vous dire comment gérer les attaques mesquines d’un beau-parent détestable ou quelle attitude adopter face à une amitié qui s’effrite ? Nul n’a des relations idylliques en toutes circonstances. Mais étrangement, il y a des personnes qu’on écoute comme si elles avaient toujours la clé pour tout… et le pire c’est que bien souvent, elles l’ont.
Parce que c’est tellement plus facile d’aider les autres que de s’aider soi-même.
Agony est une comédie britannique qui s’appuie amplement sur ce paradoxe, et qui suit Jane, une agony aunt qui travaille à la fois pour un magazine et une station de radio, et vient en aide à quiconque la contacte en quête d’un conseil avisé. Mais devinez quoi : elle aussi, parfois, aurait bien besoin d’un coup de pouce.
L’épisode inaugural d’Agony commence légèrement alors que Jane, qui a mal dormi la nuit passée (son mari parlait dans son sommeil, et s’est même mis à chanter à un moment…), débarque au magazine Person le lundi matin. La journée va être longue, d’autant que comme sa radieuse assistante Val le lui apprend, elle a toutes sortes de rendez-vous toute la matinée, qui s’annonce chargée jusqu’à ce qu’elle se rende à la station Happening Radio 242 pour prendre des appels en direct.
C’est un démarrage plutôt classique pour un premier épisode de sitcom, les personnages se succédant pour dévoiler les multiples relations, personnelles ou professionnelles, que Jane entretient au quotidien : son étouffante mère, son psychiatre de mari, la directrice de Person qui ne rêve que de la relooker pour que Jane ressemble plus à sa prédécessrice, ou le présentateur de l’émission de radio qui ne se lasse pas de lui faire des avances. Sans parler des rencontres plus brèves, par exemple avec un homme qui lui a écrit plusieurs fois mais refuse pour le moment de lui parler du problème qui le préoccupe, les courriers auxquels elle répond avec l’aide de Val, ou les gens qui appellent pendant la libre-antenne. Pas étonnant que Jane soit épuisée, on le serait à moins. Tous sont là à la fois pour présenter l’univers dans lequel évolue l’héroïne, et la présenter, elle : on apprend donc qu’elle a un mère, qu’elle est mariée, qu’elle est juive, qu’elle est peu intéressée par les apparences, qu’elle est progressiste… C’est un épisode d’exposition, et d’exposition on ne va pas manquer.
Avec quelques répliques bien senties, un rythme qui ne faiblit pas, mais surtout beaucoup de bonne humeur, cet épisode introductif semble donc banal. Pas désagréable, hein ; mais banal. C’est inoffensif et distrayant, sans plus. Comme un vieux sitcom. Après tout Agony date de 1979.
Pourtant impossible de ne pas hausser un sourcil surpris lorsque, pendant son émission radiophonique, Jane prend l’appel (entre autres) d’un interlocuteur d’extrême-droite, et lui rive le clou en direct. Difficile de ne pas relever quand elle discute avec ses deux meilleurs amis, un couple gay qui est ensemble depuis 3 ans, avec une bienveillance évidente. Difficile de ne pas écarquiller les yeux quand un joint circule dans son salon après le travail…
Mon Dieu, on a tendance à oublier, pas vrai ? Qu’une série de 1979 peut parfaitement ne pas sembler dépassée, dans son propos comme dans sa forme, pour les spectateurs d’aujourd’hui. Pour une étrange raison, on se met en tête que ces séries seront forcément datées, et pourtant le premier épisode d’Agony est là, tranquille, à sonner tellement actuel. Et, ce faisant, à se montrer incroyablement apaisant à regarder. Je refais cette découverte régulièrement, comme une idiote.
Ma surprise n’était pourtant rien comparée à celle suscitée par le twist qui intervient dans le dernier tiers, et qui a soudain transformé non seulement l’intrigue, mais le ton de l’épisode tout entier. Le cœur en miettes, j’ai réalisé qu’Agony se refusait à être un simple sitcom.
Je n’ai rien, bien au contraire, contre les comédies qui se focalisent exclusivement sur l’humour ; j’ai moi-même des amies qui en sont. Cela étant, force est de constater que peu de choses me font autant fondre qu’une série qui sait faire rire ET pleurer dans le même mouvement. Ou, pas forcément pleurer, mais au moins s’autoriser à être à fleur de peau. Agony, c’est une ode à la vulnérabilité et la tendresse, qui sont indissociables dans sa vision des choses.
Jane n’est pas là uniquement pour balancer des punchlines et guider les autres (ce qu’elle fait extrêmement bien pourtant). Elle se présente à nous comme quelqu’un de désireux de s’ouvrir aux autres autant qu’ils s’ouvrent à elle, et au final, de partager des moments sincères. C’est sa force. En montrant combien Jane aime les gens, aime être à leur écoute (elle fait d’ailleurs remarquer à sa patronne que, s’il est vrai que la personne qui tenait le poste précédemment avait plus de decorum, les gens osaient moins lui faire part de ce qui les troublait vraiment), aime leur ouvrir son cœur (et sa porte… son appartement est un vrai moulin !), Agony prépare un énorme pay off : on découvre vouloir pour Jane ce qu’elle veut pour les autres.
Le lien qui est construit pendant la progression de cet épisode inaugural est immédiatement intime et sincère. Les bons mots et l’esprit vif de Jane ne sont rien comparé au fait qu’elle a construit avec les spectateurs une relation de confiance et d’affection, qui nous fait prendre de plein fouet ce qui lui arrive en plein épisode, pour mieux l’encourager à le surmonter.
Non, la vie des gens qui savent nous conseiller (y compris dans des attributions professionnelles) n’est pas toujours simple, pas plus que ne l’est la nôtre. Tout le monde a son lot à gérer. L’idée n’est pas de se trouver des role models à la vie parfaite pour les copier (ça ne marcherait pas même si une telle personne existait, de toute façon), cela n’apporterait rien. Ce qui importe, c’est d’être écoutées par des personnes qui veulent notre bien, et de le leur rendre. Rien qu’en s’ouvrant à la possibilité que d’autres soient aussi vulnérables que nous le sommes, nous augmentons radicalement nos chances de résoudre bien des problèmes.
« Mon Dieu, on a tendance à oublier, pas vrai ? Qu’une série de 1979 peut parfaitement ne pas sembler dépassée, dans son propos comme dans sa forme, pour les spectateurs d’aujourd’hui. Pour une étrange raison, on se met en tête que ces séries seront forcément datées, et pourtant le premier épisode d’Agony est là, tranquille, à sonner tellement actuel. Et, ce faisant, à se montrer incroyablement apaisant à regarder. Je refais cette découverte régulièrement, comme une idiote. » *hoche la tête* Moi aussi c’est quelque chose que j’oublie constamment, et j’aime bien quand je reçois une claque de rappel.
Ce que tu dis ensuite, en particulier les mots « ode à la vulnérabilité et la tendresse » sont ce qui donne le plus envie, cela dit 🙂 J’ai un faible pour ces odes-là^^
C’est toujours un plaisir d’entendre parler de séries plus anciennes, mais qui ont tout autant à nous en dire par ici !