Un thriller de science-fiction, ça commence bien souvent comme ça : tout se passait bien dans cette petite bourgade reculée, jusqu’à ce qu’un phénomène étrange se produise. Quelle en est la cause ? Peut-on y trouver une explication rationnelle ? Et si on ne le peut pas, cela ne remet-il pas en cause tout ce que nous pensions savoir ?
C’est typiquement ainsi que, sur le papier, la série finlo-suédoise White Wall se présente : tout se passait bien dans une petite bourgade (anciennement ville minière) du Nord de la Suède, près de la frontière finlandaise. Mais la découverte dans une cave d’un étrange mur va tout chambouler… Rien que de très ordinaire, donc. Toutefois, rien qu’à voir de quelle région elle est originaire, vous aurez deviné que White Wall va être un peu plus compliquée que ça.
Eh oui, White Wall nous vient de Scandinavie (où elle a été lancée cet automne), la région du monde qui a érigé la « double histoire » en modèle absolu. Alors naturellement ce modèle s’applique particulièrement bien aux séries policières (…ce que persistent à ne pas comprendre nombre de copycats non-scandinaves), mais il s’avère qu’il fonctionne aussi dans le cas de la science-fiction. Pour rappel, la « double histoire » (un procédé popularisé par la chaîne publique danoise DR, et plus particulièrement son directeur de la fiction du début des années 2000, Ingolf Gabold) consiste à développer une intrigue complexe par elle-même, tout en prenant en même temps le soin de développer des thèmes plus abstraits. Ainsi un meurtre de prostituée n’est jamais « seulement » un meurtre de prostituée, c’est l’occasion d’explorer les mécanismes et conséquences humaines/sociales du trafic humain ; la disparition d’une petite fille n’est pas « juste » la disparition d’une petite fille, c’est le révélateur de tensions raciales pré-existantes ; la découverte du cadavre d’une adolescente n’est pas « simplement » la découverte du cadavre d’une adolescence, c’est l’occasion de comprendre comment fonctionne une communauté religieuse repliée sur elle-même. Bon je vous rassure la « double histoire » peut aussi faire des victimes masculines, même si ce n’est pas vraiment l’option prévalente…
White Wall se déroule donc dans une petite ville dont le « seul » point notable est d’avoir été choisie pour héberger la construction d’un centre de gestion pour déchets radioactifs. L’endroit est actuellement en fin de construction par la société ECSO, mandatée par le gouvernement. On est dans la dernière ligne droite du projet, alors que les premiers déchets devraient bientôt commencer à être enterrés mais que l’inauguration n’a pas encore eu lieu. C’est une période charnière pour la compagnie, donc, et ça explique qu’il y ait du remue-ménage autour de ses activités, avec notamment des militants anti-nucléaire qui régulièrement tentent de pénétrer dans l’enceinte du site, ce qui en soi est déjà une préoccupation conséquente vu les risques que cela représente. Alors que des travaux sont conduits dans l’une des caves qui doit bientôt accueillir les déchets nucléaires pour (eh oui) les 100 000 prochaines années, une explosion tue plusieurs ouvriers, et en blesse d’autres. Le directeur du site, Lars Ruud, est donc chargé par sa hiérarchie de déterminer ce qui en est la cause. A sa grande surprise, il découvre au fond de la mine un mur très étrange.
Vous l’avez donc, la « double histoire » : White Wall n’est pas « que » le mystère qui entoure ce mur, c’est aussi un conte moderne sur les conséquences de politiques nucléaires, aujourd’hui et pour bien des générations à venir. Cela veut dire que même si on ne se fascine pas pour la question surnaturelle (et il faut le dire, dans ce premier épisode elle reste TRÈS discrète), on a quand même largement de quoi s’intéresser à ce que la série raconte.
D’autant qu’elle ne fait pas semblant de le raconter : son monologue d’ouverture, mais aussi une conversation entre le dirigeant d’ECSO et l’une de ses conseillères, établissent de façon claire qu’il ne s’agit pas de balancer des éléments d’intrigue comme ça histoire de, mais bien de regarder en face un véritable problème. La « double histoire », c’est d’ailleurs un procédé qui n’a rien du prétexte à rajouter des minutes à l’épisode, mais est au contraire profondément ancré dans l’exploration intransigeante de son deuxième sujet, et la remise en question de ce qui nous a collectivement conduits à vivre dans une société où ledit sujet est une réalité. White Wall, très frontalement, nous invite à nous questionner sur un point dont on aime bien ne pas trop s’embarrasser, qui est de se demander comment l’énergie nucléaire « propre » est produite et gérée en notre nom, et si au final elle est si propre que ça.
Et je vous le demande, combien de séries parlent de ce sujet ? Bon, oui, ça planait au-dessus de nos têtes pendant Chernobyl, mais à peu près tout. Eh bien c’est ça la force d’une série comme White Wall, qui va d’autant plus développer cet angle que l’autre, le « vrai », celui de son pitch, est un mystère dont la révélation se doit d’être plus progressive (il y a une raison pour laquelle les séries policières se prêtent si bien à la « double histoire » !).
En mélangeant ces deux aspects, qui n’ont peut-être rien à voir si ce n’est un concours de circonstances (mais bien malin qui peut le deviner dés ce premier épisode), White Wall se garantit d’avoir toujours quelque chose à dire, sans essayer de meubler ses épisodes avec des intrigues secondaires/tertiaires sans saveur ou des dialogues de remplissage, et sans, non plus, se reposer entièrement sur son ambiance (bien que celle-ci soit pour le moment assez réussie). D’ailleurs au stade de cet épisode introductif, l’aspect thriller est très timide, la série n’essayant pas particulièrement d’insister sur les questions pour le moment sans réponse. C’est pas Lost ici.
Tout ça en proposant en plus une série moderne, élégante, et internationale (le scénariste et certains acteurs/personnages de la série sont finlandais, et c’est coproduit avec YLE), et vous comprenez pourquoi il est hautement recommandé de faire de la place à White Wall dans son planning téléphagique.
« Bon je vous rassure la « double histoire » peut aussi faire des victimes masculines, même si ce n’est pas vraiment l’option prévalente… » Ah, ouf, tu me rassures, parce qu’en lisant ton énumération, je commençais à désespérer, haha.
Bon sinon, le thème de la série a l’air intéressant, d’autant que je n’ai toujours pas vu Chernobyl donc pour moi ce serait une première. J’admets que, cette année, j’ai en grande partie fait un rejet des séries à sujets sérieux (et des films à sujets sérieux) pour me concentrer sur beaucoup de fluffl, mais un jour il faudra bien que je regarde autre chose que du fluff à nouveau. OR WILL I ?
Oh, une série suédoise et sur la SVT en plus, il va falloir que j’aille regarder ça de plus près, ce sujet m’intéresse bien.