Striking oil

17 mai 2020 à 23:45

A force de persistance, on finit par en voir, des séries historiques scandinaves. Et du coup au fil du temps il est possible d’en tirer des conclusions, d’en comprendre les ressorts, d’en deviner des préférences nationales. Parce qu’encore une fois (affrontant bravement le risque de me répéter), les séries scandinaves, on n’en voit que certaines, c’est-à-dire celles incluant un ou plusieurs meurtres glauques et aussi modernes que possibles. Les séries historiques, en revanche, on s’en tape collectivement le coquillard ; comble de l’ironie c’est souvent l’exact inverse qui se passe pour la fiction allemande, à quelques kilomètres de là.
Ecoutez, si vous vouliez de la cohérence, fallait pas vous intéresser à l’exportation de séries.

Du coup, quand je réussis à chopper un Krøniken, un Badehotellet, un Mercur ou un Vår tid är nu, il ne faut pas me le demander deux fois. Ou, tiens : un Lykkeland.

Il s’avère que les period dramas scandinaves reposent la plupart du temps sur une même poignée de principes : il s’agit d’ensemble dramas représentant grâce à leur distribution pléthorique plusieurs catégories socio-professionnelles, dont les trajectoires individuelles sont écrites de façon à refléter aussi largement que possible les mutations de l’époque choisie. Le cœur de la mission de ces séries, c’est raconter un passage-clé de l’Histoire du pays. L’idée de départ vient de la période dont il est question, pas des personnages qui apparaissent presque comme secondaires (le mot que je voudrais employer est afterthought mais je n’arrive pas à le traduire précisément). Cela ne veut pas dire que les personnages sont traités par-dessus la jambe, au contraire ce sont leurs intrigues personnelles qui permettent d’illustrer le déroulé de l’Histoire. En revanche il est clair que le pitch central de la série, ce n’est pas sur les spécificités de chacun qu’il repose, mais sur le contexte historique en premier lieu.
On est très, très proche de la formule qui est depuis longtemps celle des dramas historiques britanniques grand public (pensez Upstairs, Downstairs). Cela n’a rien d’étonnant quand on connaît la disponibilité et même l’omniprésence de la télévision britannique sur les écrans scandinaves depuis des décennies, mais c’est l’une des rares influences qui s’exprime encore dans la fiction de la région de nos jours. A noter d’ailleurs que contrairement à beaucoup de productions historiques de la planète, ces period dramas scandinaves ne sont généralement pas adaptés d’oeuvres littéraires appartenant au patrimoine national (ils n’en sont pas moins onéreux).
Cette règle a évidemment ses exceptions, comme par exemple le cas 1864 qui était adaptée de bouquins, mais lorsqu’il est question de séries on peut difficilement parler de règle sans exception.

En cela, Lykkeland est très fidèle au cahier des charges, et propose effectivement dans son épisode d’ouverture quelque chose qui s’inscrit pleinement dans cet héritage.
La période que s’est choisie la série correspond à la fin des années 60, dans la ville de Stavanger, lovée sur les côtes du comté de Rogaland. L’intrigue commence précisément en 1969, alors que les compagnies pétrolières du monde entier se retirent de Norvège, pensant qu’il n’y a plus de pétrole à en tirer (…je me demande si elles ont raison ?). Le problème c’est que Stavanger a besoin de quelque chose, n’importe quoi, pour survivre, et le départ des compagnies notamment nord-américaines (Shell, Esso, Phillips…) serait le dernier clou dans son cercueil économique. Toutes les autres industries sont à la dérive : les eaux n’ont plus de poisson (ce qui met en danger à la fois les professionnels de la pêche, de la conserverie et de la construction navale), le chômage bat des records, le départ des compagnies étrangères vide les commerces et les hôtels… A ce rythme, il ne va rester debout que les nombreuses églises de cette région très conservatrice.

Je vous accorde que c’est un peu sombre comme point de départ (j’espère que ça va s’arranger !), mais c’est en réalité là que se joue la plus grande originalité de Lykkeland : dans cette volonté de parler du pire. Beaucoup des séries historiques en son genre adoptent résolument un point de vue optimiste ; il s’agit, après tout, de productions se voulant grand public et espérant une certaine longévité, chose qui s’obtient difficilement en poussant ses spectateurs à la dépression. D’où le choix pour plusieurs d’entre elles de se concentrer sur l’après-Guerre, plus favorable à cet état d’esprit. Qui plus est, il s’agit généralement de séries diffusées par la télévision publique, dont la mission de divertissement se mêle à une autre plus complexe, qui… bon, je ne veux pas employer le mot « propagande », ni même nécessairement le mot « nationalisme », qui sont des termes exagérés, mais enfin, les chaînes publiques ne sont pas là pour vous dégoûter de votre propre pays non plus, hein.
Il n’y a pas beaucoup d’espoir pourtant dans Lykkeland (je suis curieuse de savoir si la roue va tourner !), et c’est plutôt nouveau. C’est également vrai à un niveau individuel, plusieurs des personnages rencontrant au cours de ce premier épisode des obstacles conséquents, certains voyant même leur vie dérailler complètement.

De toutes les séries historiques scandinaves que j’ai eu l’opportunité de voir, Lykkeland est probablement celle qui est la plus « actuelle ». Certes, elle raconte un tournant de l’Histoire nationale norvégienne, comme tant d’autres comme elle, mais elle renvoie aussi aux crises économiques plus modernes. En fait, la série permet d’aller au-delà d’une forme de… appelons ça « escapisme pédagogique », si vous voulez, et qui est souvent de mise dans ce type de fiction. A la place, elle reflète des préoccupations réelles des spectateurs. On y trouve assez peu de nostalgie, aussi ; à tout prendre, on ressentirait presque du soulagement à ne pas vivre dans le Stavanger de 1969.

C’est un équilibre fragile, et il faudrait pour bien faire voir sur le long terme comment le ton de la série va évoluer. Ca tombe plutôt bien, contrairement à la plupart des autres period dramas scandinaves, BBC Four a fait l’acquisition de Lykkeland et il est possible en ce moment de dénicher les épisodes avec de jolis sous-titres anglais (sauf pendant les quelques dialogues eux-mêmes en anglais, même si je pense qu’il faut empêcher légalement les acteurs britanniques d’imiter le Southern drawl).
Mais étant donné que la série est écrite par Mette M. Bølstad (Kampen om TungtvannetNobel…), que sa première saison a été couverte de récompenses lors des Gullruten et de CANNESERIES, et qu’une deuxième saison est prévue dans les prochains mois, je suis plutôt confiante. Vous devriez l’être aussi.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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