D’ordinaire je renâcle à parler des séries japonaises les plus bizarres : le cliché m’agace, et je n’ai pas envie de lui donner du crédit. Oui, il y a des séries japonaises au concept (et/ou à l’exécution) complètement out there, tout comme il y a parfois des séries américaines, ou britanniques, ou peu importe, qui vous font écarquiller les yeux en vous demandant quel genre de drogue ses créateurs ont consommé. Mais parce que, de base, la culture japonaise nous est généralement moins familière que d’autres, ce qui est « bizarre » au Japon semble toujours valider l’idée que « hihi les Japonais ils sont trop bizarres« . Pendant ce temps ça fait quasiment deux décennies que je regarde des séries japonaises et pour moi, dans la majorité des cas, c’est le summum de l’émotion, le royaume de la chronique douce, le berceau de la fiction slow TV. Quel autre pays nous fournirait des séries nous broyant autant le cœur que Dakara Kouya, nous chatouillant autant les sens que Mousou Shimai, nous interrogeant autant sur les rôles sociaux que Saka no Tochu no Ie, nous invitant à partager l’intimité la plus banale que Shinya Shokudou (d’ailleurs le Japon a inventé à lui seul tout un genre entièrement dédié à parler de notre rapport aux repas ! comment ça ne parle pas à un public français, ça ?). Je refuse d’entrer dans ce jeu qui consiste à faire persister l’idée que les Japonais sont « bizarres » alors que leur fiction a tant d’âme. Ces clichés me donnent la nausée, ils prennent leur racine dans quelque chose qui dépasse largement le seul domaine télévisuel, et je ne veux pas les nourrir, jamais.
…Bon, cela étant, il n’est pas bon non plus d’ignorer volontairement que, parfois, il y a effectivement des séries japonaises « bizarres » (y compris aux yeux des Japonais, au passage). Des séries de niche, même si de niche il ne va pas exactement être question aujourd’hui, des séries créées pour un public minuscule avec lequel on peut s’autoriser un truc tout-à-fait dingue parce que, quelque part, on est entre amis, on peut se faire des private jokes. Bien souvent ces séries sont des fictions au budget inférieur à votre facture d’électricité, expérimentales ou adaptées d’un manga avec un public pré-existant mais numériquement limité, et diffusées en troisième, quatrième ou cinquième partie de soirée quand il n’y a vraiment que les fidèles parmi les fidèles pour apprécier. Bah oui, les séries « bizarres », c’est mainstream nulle part, les amis. Et ces séries, quand je les trouve intéressantes d’un point de vue ou d’un autre, bah je vais pas faire comme si elles n’existaient pas. Parce qu’il arrive une fois de temps en temps que cette bizarrerie me touche quand même. Vous savez quoi ? Moi aussi parfois je suis bizarre, on l’est tous.
Alors vautrons-nous dans la bizarrerie aujourd’hui avec Kyou no Nekomura-san, une série dont le héros est un chat qui commence un nouveau travail comme employé de maison. Et qui est interprété par un humain.
En même temps j’avais prévenu.
Le premier épisode de Kyou no Nekomura-san donne le ton d’emblée : la série s’ouvre sur une scène contemplative pendant laquelle Neko Nekomura (oui c’est le nom complet du chat, sachant que « neko » signifie précisément « chat », et que Nakamura est un nom de famille plutôt courant) marche avec un petit panier dans sa main, traversant la ville dans un but clairement précis, mais pour le moment inconnu. En fait il est tellement déterminé qu’il passe devant la poissonnerie sans même jeter un regard à l’étalage ! Il arrive finalement devant une petite maison, devant laquelle un panneau indique que la famille Murata cherche un employé de maison. Il se présente et obtient à peu près la même réaction que Tony Micelli : « mais, vous êtes un chat, je ne vais quand même pas embaucher un chat comme employé de maison ».
Vu que Neko Nekomura est un chat, il entre quand même, et décide de prouver qu’il sait passer l’aspirateur, aérer une couverture, et préparer le thé. Bon, tiède le thé, parce qu’il peut pas boire chaud (rapport au fait que c’est un chat), mais il s’avère que le thé est bon quand même. La famille Murata est ébahie, et en plus il connaît un magasin où faire les courses est très économique, donc il est embauché. Satisfait, il se roule par terre dans le salon et s’endort. Idéalement il aurait bien grignoté un rat là tout de suite, mais bon globalement il est content.
Et. C’est. L’épisode.
Parce que ce que je ne vous ai pas dit, c’est que Kyou no Nekomura-san est un « mini-drama », soit une série dont les épisodes durent 6 minutes publicité incluse, le mercredi soir à 00h52 (et pas une minute plus tard, comme vous le savez) et sur plusieurs plateformes de catch-up et streaming. Donc voilà, c’est tout, revenez la semaine prochaine à la même heure pour connaître la suite des aventures domestiques du chat ! Très franchement à la fin de ce premier épisode, mon premier réflexe a été d’en vouloir encore. J’étais totalement sous le charme.
Pourquoi ? Parce que justement il y a une raison pour laquelle j’emploie ici le terme de mini-drama (qui est celui que TV Tokyo a choisi) plutôt que celui, plus compréhensible pour vous spectateurs francophones, de shortcom. C’est dans cette nuance que se joue toute la série.
Certes, il y a un aspect de toute évidence absurde et une poignée de gags légers, comme par exemple la figure surprise du poissonnier, mettons. En outre on ne va pas nier que voir Yutaka Matsushita, l’un des visages les plus connus de l’audiovisuel japonais (Kyou no Nekomura-san, lancée début avril, est déjà sa 3e série cette année…), un type de presque 60 ans avec une carrière longue comme le bras, se trimbaler dans un costume de chat géant avec un petit panier en osier (un petit panier en osier !) est un peu hallucinant. Toutefois, le fait est que la série traite son sujet avec un ton pince-sans-rire, tenant pour naturel que tous voient là un chat, donne une force insoupçonnée à l’ensemble. La première réaction de la jeune femme qui ouvre la porte, c’est « bah, vous êtes un chat, qu’est-ce que vous voulez ? ».
Il faut d’ailleurs préciser que dans le manga, c’est un vrai chat qui interagit avec les humains de la maison et accomplit les corvées du quotidien (dans un style plutôt épuré, comme vous pouvez le constater). C’est donc plutôt normal que la série ignore totalement qu’elle a employé un acteur humain plutôt qu’un acteur chat, parce que ce n’était pas le propos de base, en fait. Ca n’a jamais été le but. Dans le fond, tout ce que fait Kyou no Nekomura-san, c’est repousser les limites de la suspension d’incrédulité ; mais une fois qu’on tient pour acquis que c’est à un chat qu’on a affaire, alors ce n’est plus étrange du tout. Ou disons, pas plus que prétendre que l’un des héros d’une série de science-fiction est vraiment né jaune avec des oreilles pointues. Bah, non, pas vraiment, mais c’est pas grave, c’est de la fiction. On emploie les acteurs qu’on a pour raconter une histoire, et c’est là que tout se joue (…même si effectivement, des chats comédiens, ça existe aussi, et il y en avait un très bien dans une autre série japonaise, la délicate Gu-Gu Datte Neko de Aru, un autre exemple d’excellente fiction japonaise d’ailleurs).
Et par-dessus le marché, Kyou no Nekomura-san est aussi tout simplement pleine de douceur. C’est une tranche de vie ! Une simple chronique domestique où, oui bon bah d’accord, effectivement, un chat est employé de maison, certes… mais au-delà, c’est très simple. C’est la banale intimité qui se crée avec un animal qu’on pourrait qualifier de doublement domestique.
Le fait est qu’en 6 minutes publicité incluse, Kyou no Nekomura-san utilise toute une palette de nuances subtiles que son seul pitch et/ou son matériel promotionnel ne retranscriraient jamais. Comme toutes les séries, vous me direz. Eh bien voilà. Justement c’est bien ça l’idée : s’autoriser à constater à quel point ce qui est « bizarre » vu de loin… est en réalité, une fois apprivoisé, complexe, drôle et touchant.
Cette bizarrerie, ma foi, elle fait du bien ! Kyou no Nekomura-san est simple, et douce, et apaisante. Elle met du baume au cœur et nous rappelle que très franchement, qui n’a pas besoin d’un peu de bizarrerie de temps en temps ?
« Satisfait, il se roule par terre dans le salon et s’endort. »
J’avoue, j’ai ri.
Et puis, dans la foulée, parce que ton article décrivait un drama tout doux, je suis allée regarder l’épisode 1, et je sais pas si c’est parce que j’ai quasi pas dormi hier soir, mais quand l’épisode commence, avec la chanson et Neko Nekomura qui fait son chemin, j’avoue, ça m’a verser une larme, parce que… bah, je sais pas… c’est joli. Du coup, je vais attendre que le drama soit terminé pour regarder tous ces petits épisodes^^