A la limite je suis presque étonnée que si peu de séries aient tenté le coup ces quatre dernières années. D’ordinaire quand une série trouve le succès comme This is Us l’a trouvé, plusieurs autres s’engouffrent dans la même brèche en essayant de répliquer la formule sans en avoir trop l’air. En trouvant juste la bonne nuance pour sembler unique tout en réutilisant les ingrédients ayant réussi à la série originale.
Ce n’est pas un équilibre facile à trouver, et la plupart des grands succès d’audience, à plus forte raison sur les networks américains qui ne rêvent que de répliquer des phénomènes d’audience lorsqu’ils en trouvent enfin, ont une bonne dizaine de copycats dans l’année qui suit la révélation de leur popularité (…en comptant ceux qui échouent lamentablement et se font annuler avant de tomber dans l’oubli pour toujours). Quand les grandes chaînes américaines trouvent un truc qui marche, elles ne le lâchent pas !
Le cas This is Us semblait juste un peu trop difficile à copier. Honnêtement, hors A Million Little Things, elles sont rares les séries à avoir tenté de s’engouffrer dans la fameuse brèche.
Fort heureusement, s’il y a bien un producteur sur lequel on peut compter décliner à l’envi un concept qui marche (quitte à le vider de toute substance pour en arriver là), c’est Jerry Bruckheimer. Le voilà qui débarque justement avec Council of Dads, la nouvelle série tear jerker de NBC qui va faire du This is Us sans faire du This is Us. Enfin si mais pas trop. L’idée ? Simplissime : un père de famille meurt d’un cancer particulièrement agressif, et laisse à trois de ses amis les plus proches la charge de soutenir ses enfants et son épouse après son décès. C’est bon, vous êtes en train de pleurer là ? Non… Et maintenant ? Et là ?!
Ce qui est bien c’est que personne n’est dupe d’un bout à l’autre de ce premier épisode de Council of Dads, et qu’au moins on ne nous prend pas pour des jambons. Oui, on va vous faire pleurer toutes les 7 minutes et 12 secondes de la série, c’est ouvertement attendu, et l’épisode introductif est mené tambour battant pour bien cocher toutes les cases du cahier des charges en ce sens. Vous accrochez, ou pas ; mais s’il y a bien une chose dont on ne peut pas accuser Council of Dads, c’est de prendre son public en traître ou de prétendre avoir la moindre ambition autre que celle-là.
Voilà précisément la raison pour laquelle ce premier épisode s’emballe et semble se précipiter aussi bien dans la timeline de ses événements que dans la succession de ses scènes. Il est impératif que vous soyez ému, et donc qu’on ne vous délivre que des moments « importants » (parce que, eh bien, la clé dans This is Us et les séries comme elle, c’est qu’il n’y a pas de moment gratuit). Tout ce que vous voyez est émouvant parce que plane le sentiment omniprésent que cela aura de l’importance plus tard. Le « plus tard » de Council of Dads, c’est évidemment quand le personnage-clé de ce concept sera mort ; et cette importance sera bien entendu émouvante. Logique circulaire, certes, mais qu’importe : on regarde Council of Dads pour avoir des garanties. Tout dans la construction de cet épisode tourne autour de cette promesse. Personne ne pense réellement que ce père de famille va survivre à son cancer au moment d’écrire ou tourner ces scènes. La seule chose qui importe, c’est la naïveté des protagonistes d’y croire, quand tout nous indique que plus tard les choses seront tristes et feront pleurer, plus tard.
Parce que, plus tard, le père de famille atteint d’un cancer sera mort, vous entendez ? Mort ! Là, c’est assez triste pour vous, ça, la mort ?! Eh bien voilà, il est mort, mort pour de bon, et maintenant sa famille doit continuer sans lui. C’est hyper triste. Je sais pas comment faut vous le dire.
En d’autres circonstances, ce procédé racoleur agacerait.
Dans les circonstances présentes, pourtant… je n’ai pas vraiment versé de larme devant Council of Dads, mais je l’aurais fait de bonne grâce si l’occasion s’était présentée. J’y étais disposée parce que, la vérité, c’est que ce mois-ci, j’ai essayé de regarder des séries pour me remonter le moral, des séries pour me changer les idées, des séries pour réfléchir à ce qui se passe, et même pas de séries du tout… Rien de tout cela n’a marché. Je me sentais toujours mal. Bien-sûr aucune série ne va magiquement me soigner de mes angoisses, ni dans le contexte actuel ni jamais. Le fait est, cependant, qu’en plus du reste, je ressens en ce moment une étrange culpabilité à ressentir autre chose que de la tristesse et du désespoir. Comme si j’avais besoins de ça ! Franchement je me passerais bien de ce genre de ressenti ; mais le fait est que, si je ris, je m’en veux de sourire quand tant de choses vont mal, pour le monde et pour moi ; et si je pense à autre chose bientôt mes idées reviennent à l’épidémie de coronavirus, honteuses.
Dans ce contexte, une série qui essaie à intervalles réguliers d’être triste est exactement ce qu’il me faut. Il importe peu qu’elle n’y parvienne pas (à la rigueur, je lui en suis reconnaissante parce qu’à un moment même moi j’ai mes limites). L’essentiel c’est qu’elle ne cherche à rien faire d’autre que me tirer des larmes. Ne rien attendre d’autre de moi est précisément ce que j’attends d’une série en ce moment.
Council of Dads cumule, rapidement (sûrement trop), les photographies de moments émouvants, télégraphiés pour qu’on se sente triste, oui, mais à propos d’autres gens. Pas de soi. On est tellement focalisés sur la tragédie qui se joue, et qui est tellement tragique (parfaitement, une tragédie tragique, n’ayons pas peur des mots), et sur toute l’émotion qu’on est supposés ressentir devant ces enfants qui perdent leur père et cette femme qui perd son époux, qu’on en vient à… Pas à pleurer, non. Mais à avoir une excuse si jamais on est d’humeur à pleurer.
La vérité c’est que j’ai tellement envie de pleurer en ce moment… mais j’ai aussi, eh bien, l’envie de ne pas céder à mon anxiété. Si je pleurais à cause du coronavirus et des problèmes multiples que ça a engendré (pour moi et pour d’autres), j’aurais l’impression de perdre pied. La feinte, c’est donc que Council of Dads, par son obstination à être émouvante (tellement émouvante qu’elle ne l’est plus vraiment) à propos d’une suite de scènes sans finesse mais tristes, me donne une excuse pour pleurer sans perdre pied.
Du coup je n’ai pas aimé Council of Dads, pas une seconde. Objectivement son premier épisode est pitoyable et ses efforts totalement vains, parce que dénués d’authenticité (et même incapable de faire semblant d’avoir cette authenticité), il manque des transition fluides entre les scènes, la plupart des personnages de cette famille semble détachés les uns des autres… Il n’y a tout simplement pas d’âme. Je n’ai pas aimé Council of Dads, mais je lui suis reconnaissante de me donner une excuse. Je n’irai pas chercher les épisodes suivants, parce qu’on a trop peu de temps sur cette planète pour en perdre à regarder des séries qu’on trouve pitoyables, mais le temps de cette review de pilote, j’ai eu le juste milieu entre une catharsis et une échappatoire.
C’est déjà pas si mal, par les temps qui courent.
Apparemment, j’ai eu raison de la zapper celle-là. Le chantage à l’émotion est quelque chose que je goûte peu, ça pue le ou la scénariste qui n’a pas confiance en sa technique et qui s’appuie sur des tropes faciles. Tant qu’à parler d’une parentalité de subtitution, j’ai préféré Everything’s Gonna Be Okay (meilleure feel-good série de ce début d’année, remplie d’audaces et d’ambition).