Samedi dernier, j’ai fêté mes [compte sur les doigts] 38 ans. Cela dit, à ce stade, ça fait déjà de nombreux mois que j’arrondis, pour dire que j’ai quasiment la quarantaine. Franchement qui a le temps de faire le calcul à chaque fois ? Pour être honnête, je n’ai jamais compris le problème que beaucoup de gens ont avec le fait de vieillir, et en particulier, à l’âge adulte, avec les anniversaires. L’approche de la quarantaine ne me fait pas peur, non plus. Je n’ai pas hâte exactement (ça c’était pour la trentaine), j’ai juste, euh… écoutez, c’est pas mal si j’arrive jusqu’au big 4-0 ! J’aurai doublé mon espérance de vie.
Je ne sais pas. Peut-être que ça aide de n’avoir aucune nostalgie de ma jeunesse. Peut-être que j’ai l’impression que mon niveau de satisfaction ne dépend pas de mon âge, ou plus largement de la « phase » supposée de ma vie. Peut-être que quand on n’a pas passé un certain nombre de seuils (mariage, enfants, emploi stable), il est difficile de ressentir l’angoisse teintée de lassitude qui semble caractériser la crise de la quarantaine. Peut-être que quand on n’a rien, on n’a pas envie de se plaindre d’avoir trop de confort. Peut-être que vivre plusieurs décennies avec une dépression carabinée vous vaccine un peu contre une petite crise de rien du tout. Peut-être aussi que si on en reparle dans 5 ou 10 ans, je chanterai une autre chanson.
Toujours est-il que j’ai du mal avec cette notion de crise de la quarantaine. Intellectuellement je pense plus ou moins la comprendre, mais ça ne m’émeut pas particulièrement, et je ne me sens pas concernée le moins du monde.
Les séries, elles… ma foi, c’est une autre histoire. Un bon paquet d’entre elles sont fascinées par la midlife crisis, et c’est particulièrement vrai pour les séries sur des hommes dans la quarantaine. La dramédie israélienne Nehama est de celles-là, mais avec un twist.
Créée et interprétée par le scénariste et comédien Reshef Levi (auquel on devait précédemment le crime drama HaBorer), Nehama porte le nom de son personnage central, Guy Nehama, un comédien raté qui n’a jamais réalisé son rêve et, à la place, est devenu vendeur de solutions informatiques. Il est également frustré par sa vie familiale extrêmement prenante, même si c’est pour l’essentiel son épouse Tamar qui s’occupe de leur 5 enfants au quotidien. Il est aussi puissamment hypocondriaque, et toute la famille est désormais habituée à ses crises de panique et ses visites fréquentes aux urgences.
La série commence justement par l’un de ces accès d’hypocondrie, alors que Nehama se réveille d’un cauchemar si stressant qu’il lui a donné une douleur dans le torse. A droite. Mais comme il est convaincu que son cœur est à droite, il insiste pour que Tamar le conduise à l’hôpital séance tenante. Au terme d’une longue journée d’examens, il n’a rien, bien-sûr, et son cœur est bel et bien à gauche ! Mais puisque sa docteure lui a fait un check-up complet, une petite grosseur a été repérée dans son pancreas et, forcément, Nehama est convaincu qu’il est dans le petit pourcentage de gens pour qui cela annonce un cancer (spoiler alert : il n’a pas de cancer). Lorsque lui et Tamara rentrent de l’hôpital, il est surpris par tous ses proches qui l’attendent pour une fête d’anniversaire surprise. Une soirée à laquelle Assi, un comédien de stand-up célèbre, a même trouvé le moment de participer rapidement.
Nehama combine intelligemment cet enchaînement pour montrer à quel point son protagoniste est préoccupé à la fois par la mort, et par l’échec. Une inquiétude amplifiée par l’anniversaire qu’il doit fêter.
D’un point de vue extérieur (et plusieurs personnes le lui feront remarquer), il a tout pour lui : une femme aimante, une large famille, une vie plutôt agréable. Et la santé ! Alors, il n’a jamais réussi dans la comédie, certes ; mais en-dehors de ça, tout va bien. Nehama, bien entendu, ne voit pas les choses ainsi : il est frustré, éminemment jaloux d’Assi (il a la carrière de ses rêves, une voiture de sport avec chauffeur, et des conquêtes féminines qu’il décrit comme quotidiennes), et dans l’ensemble, incapable d’apprécier ce qu’il a. Bref il nous fait une belle petite crise de la quarantaine et, dans les jours qui suivent, il va s’acheter une nouvelle voiture, décréter qu’il veut reprendre le stand-up, et finalement plaquer son boulot. Tamar l’encourage et le soutient… enfin, jusqu’à cette histoire de démission ; elle panique à l’idée que leur famille soit désormais sans revenu, du jour au lendemain. Qu’il ait des rêves, c’est une chose, mais qu’il mette en danger 7 personnes ? Une grosse dispute s’en suit, et Tamar prend la nouvelle voiture pour se rendre chez sa mère.
C’est la dernière fois que Nehama la voit.
C’est difficile de regarder, disons, la première demi-heure de Nehama, sans être prise de violents flashbacks de HaTasritay, une autre série israélienne écrite par et sur un comédien quarantenaire désabusé. Les mécanismes sont très similaires, et très franchement dépassent largement les frontières d’Israël : les séries sur la crise de la quarantaine reposent un peu toujours sur la même idée. Celle-là même qui me pose tant de difficultés.
Le héros de Nehama a plein de choses positives dans sa vie… et c’est grâce à elles qu’il a le luxe de se plaindre. S’il n’avait pas un revenu via ce job qu’il méprise (et entre vous et moi, je peux comprendre que ce soit le cas, son patron est effectivement un connard), ses velléités artistiques il se les carrerait au cul pour pouvoir survivre. S’il n’avait pas une femme et des enfants (qu’au passage il aime sincèrement), il se plaindrait de la solitude et essaierait de rencontrer des femmes pour la rompre. Vous pensez qu’il ne serait pas jaloux d’Assi et sa super voiture multi-cylindrée si Nehama gagnait péniblement son pain à coup de 10 à 15 minutes de stand-up quelques soirs par semaine ? Notre protagoniste oublie que les choix qu’il a faits (et qu’il est si prompt, aujourd’hui, à imputer à sa femme : « TU as voulu 5 enfants, TU as voulu qu’on achète, TU m’as fait arrêter le stand-up »), ce sont précisément ses choix à lui. Ou plutôt un continuum de choix qu’il a faits pour avoir la vie qu’il a aujourd’hui. Toute imparfaite soit-elle.
Ce serait intéressant si Nehama interrogeait cela, peut-être en s’interrogeant sur la norme sociale à laquelle Nehama a voulu se conformer, les choix qui n’en étaient pas… mais ce n’est pas vraiment ce qui se passe ici, et à voir ce premier épisode, je n’ai pas l’impression que ce soit l’intention non plus.
La série essaie plutôt d’exposer, dans ce premier épisode, tout ce que Nehama a, sans qu’il l’apprécie. Pour mieux le lui ôter. Pendant leur dispute finale, Tamar glisse que s’il n’avait pas d’épouse à la maison, notre héros serait totalement perdu et ne survivrait pas 5 minutes. C’est précisément ce que prévoit d’explorer la série, et cet exercice de pensée n’est pas une mauvaise idée, surtout au regard de l’aspect semi-biographique de Nehama qui ne lui donne que plus de saveur. C’est une invitation à explorer la crise de la quarantaine sous un angle qui n’est pas dénué d’intérêt.
Soyons honnêtes. Il n’est pas possible de revenir dans le passé, ni de faire un bond de quinze ou vingt ans en arrière pour revenir à une « intersection » fantasmée, un moment qui aurait tout déterminé. Quels que soient les changements opérés à la quarantaine, ils ne changeront rien aux choix de jadis, ils viennent juste s’y additionner. Dés lors il n’est pas réellement possible de tout recommencer, de reprendre sa carrière à zéro, de changer toute une dynamique familiale, ni rien d’autre. Dans ce contexte, Nehama est une menace sourde : que se passerait-il si vous perdiez ce que vous aviez envie de plaquer… parce que c’est la seule option possible à cet âge-là ? Et j’aime bien cette idée.
Après avoir assisté au discours d’auto-apitoiement typique des séries sur la crise de la quarantaine, en particulier pour des personnages masculins (genre HaTasritay, donc, mais aussi de nombreuses autres), Nehama prend donc une orientation bien différente, et s’attelle à une véritable remise en question. Nos interrogations sur ce qui aurait pu être, notre frustration quant à un potentiel que peut-être nous estimons avoir gâché, nos regrets à propos des responsabilités qui parfois pèsent au quotidien… tout cela vaut-il vraiment la peine de rebattre les cartes ? Si nous n’avions pas le confort permis par nombre de ces choses qui nous lassent, nous n’aurions pas nécessairement l’énergie de tout changer. C’est ce qui permet la crise de la quarantaine qui devrait aussi nous inciter à lui résister.
Pour Guy Nehama, bien-entendu, il est trop tard : quand finit l’épisode inaugural, il a perdu ce qu’il considérait comme acquis. Ce qui lui permettait d’avancer, c’est-à-dire la patience, le soutien, l’amour inconditionnel de Tamar, eh bien il va devoir s’en passer pour affronter ce qu’il va vivre de plus difficile dans sa vie. Bien plus difficile que de n’être pas devenu Assi.
J’étais au départ excédée par Nehama, et j’ai fini, au fil de son premier épisode (et la durée d’une heure aide bien, je dois dire), par vraiment adhérer à son approche d’un sujet pourtant cent fois rebattu. Nehama n’a pas cette complaisance pour la crise de la quarantaine, qui m’irrite dans bon nombre de séries dans lesquelles des quarantenaires multi-privilégiés se plaignent à longueur d’épisodes. Il y a en outre une écriture très fine dans l’articulation des divers ingrédients de cet épisode (comme le rôle, en apparence anodin, de son frère), qui vraiment me donne bon espoir ; et les deux séquences fantaisistes absurdes de cet épisode sont, par-dessus le marché, hilarantes.
En dépit des apparences, comme beaucoup d’autres choses, Nehama se bonifie avec le temps, et j’ai hâte de voir ce que les épisodes suivants donneront.
Oh si tu as regardé/regarderas la suite, je serais curieuse de voir ce que ça donne. L’angle de la série me semble intéressant !
J’ai continué mais pas encore fini la saison, mais je posterai une update sur Twitter promis 🙂
(j’ai malheureusement pas trop de place dans mon calendrier d’articles pour le moment)