Ramper. Ramper laborieusement, pendant plus d’un mois, pour finir une saison de 6 malheureux épisodes. Les coudes en sang, le souffle court, arriver au bout de la dernière demi-heure en se disant, plus jamais ça. La peau du torse écorchée, tenter de s’asseoir un instant et de se demander si tout cela en valait la peine.
J’aurai mis pas loin d’un mois à venir à bout de Hjem til Jul, une série norvégienne pourtant courte, lancée par Netflix début décembre. Rien qu’à constater le temps que ça m’a pris de réussir à la finir, je sais déjà ce que j’en pense, en fait ; pour comparaison, une semaine, c’est aussi le temps que ça m’a pris pour regarder trois fois la première saison de Shrill, qui a le même format. Comme baromètre ça se pose là.
Conceptuellement, Hjem til Jul est un Julekalender très classique : il faut sauver Jul ! Le temps presse et il ne reste qu’un mois pour pouvoir s’assurer que les festivités pourront se dérouler comme prévu. Sauf qu’il s’agit bien entendu ici d’un Julekalender pour adultes, dans lequel on ne trouve aucun nisse ni bonhomme joufflu nulle part, et où la magie de Noël est largement corrélée aux relations amoureuses. N’empêche qu’on commence la série en espérant que Johanne sauve Jul, à sa façon, et nous délivre le happy ending attendu.
Et, non, être ravie d’avoir enfin fini la saison ne compte pas comme un happy ending, oups.
Pour ceux qui n’ont pas entendu parler de Hjem til Jul (ou Home for Christmas de son titre international), un rapide résumé : le soir du 1er décembre, alors qu’elle est installée en bout de table avec ses neveux à peine capables de tenir une cuiller à soupe, et moins encore une conversation, Johanne réalise qu’elle va passer Jul en étant célibataire. Ce qui à la limite serait encore tolérable… si sa famille, et en particulier sa mère, n’insistait pas tant pour la voir en couple. Avec la pression (et l’impression de ne pas pouvoir exister autrement au sein de sa famille), le craquage est total, et en plein milieu du dîner familial, Johanne annonce qu’elle viendra au réveillon de Jul avec son petit ami.
Bon, c’est juste qu’elle n’en a pas, de petit ami. Détail.
A partir de là notre héroïne de romcom nordique décide de tout faire pour sauver son réveillon du naufrage. Elle qui n’a pas eu de vie amoureuse depuis la fin de son histoire avec Christian… il y a 3 ans. Dire qu’elle est un peu rouillée est en-dessous de la vérité, et il lui faudra pas mal de suggestions et de soutiens de ses amis pour se remettre en selle.
Cela étant posé, par où voulez-vous que je commence à vous lister mes problèmes avec Hjem til Jul ?
Pour commencer il y a un truc qui m’a totalement échappé : comment de « il faut trouver un type à ramener à dîner le 24 décembre » l’attitude de Johanne est passée à « il faut tomber amoureuse ». Personne ne nous explique comment se fait la transition dans la tête de Johanne, qui au début de la série semble même plutôt contente de sa vie amoureuse, ou plutôt de l’absence de celle-ci. Elle n’a pas l’air de s’intéresser à faire des rencontres jusqu’à ce qu’elle ait la mauvaise idée de prétendre devant toute sa famille avoir quelqu’un dans sa vie ; mais même là c’est surtout pour avoir la paix, et être reconnue comme une adulte à part entière, pas par désir romantique. Une large partie de la saison va cependant complètement ignorer ce fait, comme si le scénario, grisé, se laissait porter par son pitch plutôt que par les motivations de son héroïne elles-mêmes.
Circonstances aggravées par un autre glissement total : ça fait 3 ans que Johanne est célibataire, mais tout d’un coup, rien que le fait qu’elle aille à UN rendez-vous fait qu’elle découvre que tout le monde dans sa vie a très envie d’elle. Tout le monde ! Et si je serais prête à croire, sur le principe, qu’il n’est pire aveugle que celle qui ne veut pas voir, encore une fois Hjem til Jul se refuse à expliquer le cheminement interne de son personnage à ce sujet pour réellement développer l’idée que tout ce que Johanne avait à faire, c’était être disponible émotionnellement. Encore fallait-il le dire ou le montrer ! Mais au lieu de ça, Johanne se transforme simplement en aimant à… à tout le monde, en fait. Elle est le type de tout le monde. Y compris au travail où pas moins de deux collègues sont secrètement sous son charme. Partout, tout le temps, tout le monde. Les hommes, les femmes, tout le monde aime Johanne. Du jour au lendemain. Gros délire.
Evidemment personne n’attend vraiment du réalisme d’une romcom, ce que Hjem til Jul, derrière ses airs de Julekalender, est en réalité (et de façon particulièrement ouverte, se réclamant explicitement de l’héritage de Love Actually). Cela dit, dans le même temps, il n’est pas interdit de faire semblant de trouver un juste milieu. La question n’est pas seulement que la situation soit réaliste, mais qu’émotionnellement elle ait du sens. Or, sans expliquer pourquoi Johanne ne découvre tout ça que dans le mois précédant Jul, sans expliquer pourquoi soudain elle est ouverte à plein de perspectives (y compris envisager un moment d’être avec une femme, dans une série autrement très hétérocentrée), sans expliquer quoi que ce soit, en fait… les émotions n’ont pas tellement de sens. Pourquoi l’héroïne est-elle si investie par une quête qui en réalité, au départ, n’avait rien à voir avec l’amour, mais juste avec la perspective d’être traitée en adulte par sa famille ? Hjem til Jul n’en mouftera pas un mot, préférant à la place dresser une litanie de rendez-vous ratés, de quiproquos décevants, et de liens qui se tissent malgré soi.
Et puis, le fait que chaque fois que Johanne parle avec quelqu’un (en particulier un personnage masculin), on ressente cette impression qu’il va y avoir une romance potentielle à explorer, c’est une sacrée épée de Damoclès qui plane au-dessus de toute interaction. Soudain le monde entier semble n’exister que dans une optique romantique, tout le monde est un partenaire potentiel, et en particulier, tous les hommes sont jugés d’après leur potentiel ou non à devenir un petit ami. Pas juste un petit ami pour faire taire Maman pendant Jul, mais un petit ami, un vrai de vrai, avec lequel on envisage des trucs au-delà du 25 décembre. C’est vraiment pas une vision enviable des relations interpersonnelles, je trouve.
Vous dire que je ramais pour m’intéresser à Hjem til Jul, à ce stade, est un doux euphémisme, pour moi qui ai quelques allergies à pareil état d’esprit. J’ai commencé à décrocher au cours du 3e épisode, je pense. Mes jambes se sont dérobées sous moi quand vraiment la série a semblé décidée à faire de Johanne un autre personnage que celui qui nous avait initialement été présenté, la transformant en une célibataire comme on en a vu 712 déjà dans des séries et films romantiques.
C’est aussi à ce stade, lorsque je me suis traînée sur la fin de saison à la force des poignets, que j’ai réalisé qu’autre chose me chagrinait à propos de l’héroïne de Hjem til Jul : non seulement la série n’était pas intéressée par son cheminement intérieur alors qu’elle semblait vivre de grands changements… mais en plus la série n’avait pas du tout envie qu’elle ait un cheminement intérieur tout court.
Lorsque ses dates se déroulent mal, lorsque des gens se battent pour elle, lorsqu’elle ignore totalement les signaux que lui envoient certains personnages, lorsqu’elle rejette certains prétendants sans raison apparente… Johanne ne se remet jamais en question. Un solide exemple de ce problème est le cas de Stine, l’un des premiers hommes que Johanne rencontre, début décembre. Hjem til Jul ne nous explique pas vraiment ce qui justifie que son héroïne passe son temps à trouver Stine irritant alors que leur premier rendez-vous s’était d’ailleurs bien passé ; elle le repousse systématiquement à chacune de ses apparitions ultérieures. Elle s’est énervée contre lui, un peu brusquement, pendant leur deuxième date, sans jamais ne serait-ce qu’envisager qu’il aurait suffit qu’elle soit plus assertive ou capable de communiquer pour que son problème se résolve ; au lieu de ça elle le traite comme une quantité négligeable par la suite (et il réapparaît plusieurs fois, toujours en lui faisant le même effet). Pas une seule fois elle ne se dit que, si ça ne marche pas, c’est peut-être que ça vient en partie d’elle. Plus largement, elle semble incapable de la moindre empathie. Complètement obsédée par sa quête, elle n’a pas l’air d’avoir réalisé que sa colocataire et meilleure amie va passer Jul toute seule, par exemple. Elle se montre également incapable de répondre quoi que ce soit au collègue qui lui fait une déclaration (ça fait DEUX ANS qu’il est épris d’elle !).
…Au début de la série, j’étais résolument du côté de Johanne, mais force est de constater que c’est une connasse nombriliste ! Tout ça parce que ça veut un petit ami sous le sapin, bah mon vieux. Ya ptet une raison pour laquelle tu devrais rester seule, tiens.
Pourtant je crois que la plus grande source de mon agacement, elle vient de la conclusion de la saison (et, j’imagine, de la série ; je vois mal une saison 2 remettre le couvert). Du coup le paragraphe suivant va contenir des spoilers ; zappez jusqu’à la prochaine image pour éviter cet écueil et lire ma conclusion. Quoique, à ce stade, il n’y a guère de suspense !
Après tous ces amants (et une fois amante) potentiels, après tout ces dates ratés, après un coup d’un soir exaltant, après un début de romance, après une peine de cœur, et après mille autre choses encore… Johanne se retrouve seule pour le repas familial de Jul. Et triste. Pire qu’un retour à la case départ. Tout est allé aussi mal que possible, pour au final quoi ? Au final rien. Mais Hjem til Jul a un dernier atout dans sa manche, un twist qui s’apprête à complètement changer votre perspective sur les événements du mois passé, promis. Vous êtes prêts ? Johanne va se présenter au repas de Jul sans petit ami, et mieux encore, avec des amis. Son +1, ce sont finalement des gens qui ont compté pour elle au fil des 24 derniers jours, et qui montrent qu’elle se débrouille bien même si elle n’a pas d’homme dans sa vie, parce qu’elle n’est pas seule, qu’elle est adulte, que des gens l’estiment et qu’elle leur apporte des trucs. Elle débarque avec des invités surprise chez ses parents, et tout le monde la considère enfin comme une personne à part entière, même si bon, elle est pas maquée, quand même. Victoire ! Quelle jolie morale à toute cette histoire. Love was inside our lives all along. Il y a une différence entre être seul et être solitaire, clame Hjem til Jul, et regardez, Johanne est si bien entourée !
Booooon, ok, ai-je murmuré entre mes dents, essayant de concéder un point à la série en espérant à moitié que ça lui permettrait de finir plus vite. C’est cliché, mais admettons. Et c’est quand même un poil plus satisfaisant que, dans la dernière demi-heure, essayer d’inventer un réel petit ami à Johanne. Sur la forme c’était un poil poussif, mais un point pour l’effort.
Sauf que Hjem til Jul ne s’arrête pas là, oooooh non. Il y a un second twist final après le twist final. La série décide de s’arrêter alors que Johanne ouvre la porte à quelqu’un (elle n’attend plus personne), et lui sourit. Comme pour dire : maintenant qu’elle a appris qu’elle n’avait pas besoin de quelqu’un, le scénario lui envoie quelqu’un. C’est sa récompense pour avoir compris la morale de l’histoire. Maintenant que tu as arrêté de chercher, eh bien voilà, tu as trouvé.
J’ai éteint l’épisode, éteint l’ordinateur, jeté l’ordinateur, mis le feu à la poubelle, jeté la poubelle par-dessus le balcon. Trop, c’était trop.
Peut-être qu’il y a des gens qui ont envie d’entendre ce que Hjem til Jul tente péniblement de dire sur la recherche de l’amuuur. Peut-être, mais je ne fais pas partie de ces personnes.
J’ai réellement eu la sensation de perdre mon temps devant cette série. Elle avait commencé par une situation de départ qui me rendait gentillement curieuse (une jeune femme qui n’a pas de vie amoureuse* doit se trouver quelqu’un en un mois histoire de sauver les apparences), pour finalement essayer de me gaver comme une oie du Périgord d’une morale à deux balles sur le fait qu’au final, la romance est partout, et qu’on finit toujours par trouver, à condition à la fois de se mettre en situation de chercher ET de ne pas chercher trop for non plus. Vous savez quoi, je retire ce que j’ai dit, au moins les oies du Périgord on finit par abréger leurs souffrances. La mienne a duré pas loin d’un mois.
Tout est détestable dans Hjem til Jul, tout. Ok, sauf Ida Elise Broch qui donne tout ce qu’elle a pour être mignonne comme un cœur et qui mérite cent fois mieux. Mais en-dehors d’elle tout est détestable, et surtout l’écriture paresseuse, clichée et superficielle de ce petit conte de Noël sur les histoires d’amour qu’on mérite. Oui, absolument, même quand on est une égocentrique finie. D’ailleurs le peu de cas que la série fait des rares intrigues secondaires montre bien que rien dans cette romcom de supermarché n’a vraiment été réfléchi. Je n’ai que du dégoût pour ces trois heures de ma vie que je ne reverrai jamais.
Il est de notoriété publique dans ces colonnes que j’ai de GROS soucis avec la romance dans la fiction, et je pensais sincèrement avoir trouvé un synopsis de départ qui me rendrait la chose tolérable dans le cas de Hjem til Jul. Au contraire, la série n’a fait que renforcer ma plus profonde conviction qu’aucun personnage (surtout pas féminin) n’a le droit d’être célibataire, plus quelques autres idées que je trouve toxiques par-dessus le marché. Une part de moi espérait trouver une conclusion plus fine derrière tout cela, mais la fin de Hjem til Jul a eu l’effet contraire ! Je suis plus furieuse que jamais à cause des clichés que ces romcoms de fin d’année entretiennent, et je jure que si quelqu’un essaie de me parler de romcom dans les prochaines semaines, je mords.
Ou en tout cas, j’agiterai vaguement ma mâchoire d’un air menaçant, parce que l’air de rien, insister pour arriver jusqu’au bout m’a vraiment épuisée.
* j’ai même cru, quelle naïveté, qu’on allait peut-être avoir une série construite autour d’une héroïne aromantique/asexuelle
Je suis (clairement) bien plus friande de romances que toi, comme tu sais, donc je suis parfois plus clémente que toi, mais pour le coup, celle-là, je pense que je ne vais pas y toucher. J’avais pas spécialement envie avant de te lire, et j’en ai encore moins envie après… (et du coup, oui, j’ai lu la partie spoilers). Je ne sais pas si je détesterais, mais bon, j’ai les grandes lignes à présent et ça m’interpelle pas, donc … meh.
P.S. 712 spotted 😛
J’aime les romcoms, mais là, ça va être sans moi.