Signes intérieurs de richesse

27 décembre 2019 à 19:03

Atiye est une peintre stambouliote dont la carrière semble atteindre son apogée. Ses toiles, qui représentent plusieurs variations autour d’un symbole qu’elle peint depuis son enfance, sont sur le point de faire l’objet de sa toute première exposition dans une galerie. Elle est en couple avec Ozan, un homme qui la porte aux nues (et qui, ce qui ne gâche rien, est aussi le fils d’un homme très riche). Elle a donc tout pour être heureuse et mener une vie sans histoire.
Mais à des kilomètres de là, dans les courbes de l’Anatolie, une découverte s’apprête à bouleverser son existence : l’archéologue Erhan Kurtiz trouve dans les chantiers de Göbekli Tepe un étonnant symbole. Devinez à quoi il ressemble ?

La nouvelle série turque de Netflix, Atiye (qui porte donc le nom de son héroïne… mais que pour une raison qui m’échappe, le service a rebaptisée The Gift à l’international) est franchement intrigante. Et pourtant, je ne saurais trop dire pourquoi.

La vérité c’est que, si l’on se concentre sur l’intrigue de ce premier épisode, il n’y a en réalité pas grand’chose à se mettre sous la dent : Atiye peint son symbole sous toutes les coutures, vend toutes ses toiles, s’engueule avec ses parents qui préféreraient la voire mener une vie plus stable, s’enfuit pour Göbekli Tepe lorsqu’elle découvre l’existence de ce symbole, et… ouais, nan, voilà. Dans les grandes lignes, c’est à peu près tout.
Sauf que derrière cette apparente simplicité, il y a une ambiance qui prend bien. Une héroïne lumineuse (ceux qui n’étaient pas tombés sous le charme de Beren Saat à l’époque de Fatmagül’ün Suçu Ne? ont ici l’occasion de se rattraper), un mystère qui semble épais, et l’impression de quelque chose de surnaturel, mystique, primitif presque, qui donne envie d’en savoir plus.

Au terme de ce premier épisode, je ne sais absolument pas où Atiye cherche à nous emmener, et (c’est le plus fou) j’ignore même si cette destination a de l’intérêt. Même la scène qui ouvre la série (dans laquelle on assiste à l’enterrement très particulier de l’héroïne éponyme, et qui se déroule après les faits décrits par le pilote ; vous savez bien que les flash forwards sont une obligation légale pour un épisode d’exposition de nos jours !) ne donne pas une idée de très claire de ce vers quoi on se dirige. Le fait qu’on se trouve sur un site archéologique préhistorique confère, certes, une aura au lieu ; deux des personnages qui apparaissent au cours de cet épisode inspirent quelque chose de vaguement ésotérique ; les grottes de Göbekli Tepe sont insondables… tout cela concourt à une ambiance irréelle. Mais il est difficile de dire de quoi veut réellement parler Atiye. J’ai tendance à dire que c’est ce qui fait l’attrait de la série à ce stade, en fait.

Atiye réussit bien sont premier épisode non pas à cause des thèmes qu’elle porte ou des questions qu’elle pose, mais parce que la série fait appel à un besoin irrationnel d’inconnu. C’est fascinant d’imaginer qu’il y a une force, non pas extérieure mais intérieure, qui nous pousse à faire certaines choses ou nous connecte à certains endroits. Être guidé par quelque chose en soi qui dépasse l’entendement est plutôt séduisant, au moins dans l’abstrait…
Aucune idée d’où ça va nous mener. Pas vraiment envie de savoir. Juste une impulsion, celle de me laisser emmener.
Qui n’a pas eu le désir, jamais, de se découvrir autre ? De se révéler à soi-même un trésor enfoui au fond de notre esprit ? Et surtout, de trouver magiquement un sens à ce qui nous obsède ? L’épisode introductif d’Atiye nous délivre cette promesse, et sans nul doute, prévoit d’ensuite nous en narrer les dangers.

Un petit mot avant de conclure sur cet homme. Vous ne le connaissez pas. Et pourtant toute l’année, j’ai parlé de lui. Toute l’année j’ai vu son nom au générique de séries que j’ai vues, et souvent reviewées, comme d’autres voient le nom de « Bad Wolf » partout où ils s’aventurent. C’est un Américain, diplômé d’une école de journalisme et de communication, qui a fait ses débuts sur Nashville. Depuis, il est devenu producteur exécutif, et à plusieurs occasions scénariste, d’un nombre impressionnant de séries originales Netflix : Ingobernable, Narcos, Hakan: Muhafız, Jinn, Leila, Zenra Kantoku, Sintonia et maintenant Atiye (dont il signe le premier épisode). Il est d’ores et déjà attaché à la première série originale belge de Netflix, Into The Night.
Ce que ces séries ont en commun ? De n’être pas tournées en anglais et d’être destinées à un public non-anglophone. D’être donc des séries originales « internationales », supposément conçues pour répondre à un besoin de fiction locale. Parle-t-il l’espagnol, le turc, l’arabe, le hindi, le portugais, et le flamand ? Quelles sont les chances qu’il connaisse personnellement la culture de chacun de ces pays de quasiment chaque continent ? Rien qu’en 2019, il a produit SIX séries, chacune dans un pays différent.
Alors je ne doute pas des compétences de Jason George, en tant que flying producer il n’a de toute façon jamais piloté ces séries à lui seul, et en fait, j’ai même eu des compliments à adresser à celles de ces séries que j’ai vues (vous pouvez vérifier, les tags en bas d’article sont là pour ça). Mais quand je vous parle de lissage des productions internationales lancées par Netflix, et que je vous invite à prendre un peu de recul face à l’aubaine qui en apparence nous tombe tout cuit dans le bec… eh bah clairement je vous parle de parcours comme celui de Jason George. Parce qu’il est impossible de prétendre que l’Amérique du Sud (et son marché foisonnant de productions), le Japon (seul pays au monde qui possède 4 saisons télévisuelles par an depuis des décennies), ou la Turquie (deuxième plus gros exportateur de fictions au monde, après les Etats-Unis), ont besoin qu’on leur apprenne comment faire des séries à l’aide d’un producteur étasunien ; ce n’est pas là la mission de Jason George (ou de Christian James Durso sur Khweng, car il n’est pas le seul dans ce cas). L’idée est bien d’avoir sur place, dans l’équipe de production, des personnes pour s’assurer que la série correspond à un standard bien précis, et ce standard, il est américain. Pour l’heure je n’ai encore vu aucun flying producer de Netflix être dépêché depuis la Corée du Sud pour intervenir sur une série colombienne…

Rappelons-nous donc que l’accès qu’offre Netflix à la fiction non-anglophone, à travers ses séries originales, est limité et biaisé, et que ces séries ne doivent pas nous servir de référence lorsque nous parlons de la fiction internationale… Dans le cas présent, même si vous appréciez Atiye, rappelons ce que je vous ai dit pendant la review de Hakan: Muhafız : très peu de séries turques font appel au fantastique… et là, on en a déjà deux sur Netflix.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Cette dernière partie sur Jason George est très intéressante et je serais curieuse de voir comment ça va continuer à se développer.

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