Bah ! Humbug !

22 décembre 2019 à 19:34

Ce soir, la BBC lance A Christmas Carol, une mini-série de 3 épisodes adaptant l’histoire éponyme de Charles Dickens. Comme ce soir c’est aussi mon dernier article avant Noël, et que FX a déjà diffusé la mini-série aux USA, on ne peut rêver d’un meilleur moment pour parler de ce conte, devenu traditionnel à Noël pour sa dimension fantastique, optimiste et familiale…

Trigger warning : maltraitance (physique et sexuelle) d’un mineur, violence sexuelle.

Ah. Oups.

A la veille de Noël, un adolescent vient rendre des hommages tous particuliers à la tombe d’un certain Jacob Marley, mort et enterré un an plus tôt, en pissant rageusement sur sa stèle. Quelques gouttes passent au travers du cercueil et réveillent le défunt, dont l’âme n’a en fait jamais trouvé le repos et qui dormait dans son tombeau pendant tout ce temps. La conscience troublée, Marley implore les esprits de le délivrer de ses remords, et est aussitôt exaucé : il arrive au Purgatoire où l’attend une immense chaîne, dont chaque maillon représente une personne morte par sa faute. Pour repentance, Marley doit désormais passer l’éternité à trimbaler ces chaînes.
Mais Marley n’est pas seul responsable : son partenaire en affaires Ebenezer Scrooge est toujours en vie, et sa conscience n’est pas le moins du monde troublée par tous ces morts. En fait la seule chose qui intéresse Scrooge, c’est l’argent. Il méprise les humains ; rien d’étonnant à ce que Noël ne l’intéresse pas le moins du monde. Au contraire il en profite pour redoubler de cruauté envers son employé, le pauvre Bob Cratchit, qui ne songe qu’à aller passer Noël avec son épouse Mary, sa fille Belinda, et son jeune fils Tim.
Les esprits ne s’arrêtent pas là : ils convoquent Marley, désormais bardé de lourdes chaînes, pour qu’il apparaisse à Scrooge. Peut-être qu’en le poussant à un peu d’introspection, le vieil homme pourrait éventuellement…? Devant le refus de Scrooge à se remettre en question, trois esprits s’apprêtent à le visiter : le fantôme des Noëls passés, le fantôme du Noël présent, le fantôme des Noëls à venir.

L’histoire d’A Christmas Carol, on la connaît. La mini-série reprend un grand nombre d’éléments de la nouvelle originale (le sort de Marley, la visite des trois fantômes, et naturellement la conclusion de ce conte moral), et en principe en tout cas, il n’y a pas vraiment de quoi être dépaysé.
C’est le détail de notre affaire qui s’éloigne beaucoup du récit de Dickens, et en particulier, ce que le fantôme des Noëls passés va montrer à Scrooge pour le faire réfléchir à ses actes passés et la froideur de son âme en général. En fait, A Christmas Carol est extrêmement résolue à mettre le paquet, en utilisant deux de ses trois épisodes pour ce fantôme, condensant les visites suivantes dans le troisième et dernier épisode, ainsi que la conclusion de l’intrigue. C’est, disons… un choix.

Et un choix un peu dur à regarder qui plus est, parce que la backstory de Scrooge est vraiment atroce. Le fantôme des Noëls passés va commencer par se présenter sous la forme de Franklin Scrooge, le père de notre protagoniste. Un homme violent, qui a inculqué à Ebenezer l’essence de sa pingrerie et de sa misanthropie dés son plus jeune âge par la force. S’en suit une scène qui très franchement est plutôt gratuite, pendant laquelle le fantôme ramène Scrooge à son traumatisme. On apprendra peu après qu’Ebenezer a passé une grande partie de son enfance dans un pensionnat ; mais loin d’être un répit, cet éloignement était une autre forme de cruauté : en échange d’une exonération de ses frais scolaires, le jeune garçon était régulièrement violé par le proviseur. Le fantôme des Noëls passés prend plusieurs visages tour à tour pour raconter ces expériences, mais aussi revient sur la façon dont, à l’âge adulte, Scrooge est devenu lui-même un homme cruel, n’hésitait pas à faire du profit sur le dos d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont souvent connu un destin tragique, comme le montrent une scène dans une usine en feu, et une autre, plus longue et largement plus pénible, dans une mine s’effondrant à la veille de Noël. C’est un festival de moments atroces et, entre vous et moi, et il y a eu quelques passages pendant lesquels j’ai dû mettre l’épisode en pause le temps d’arrêter de pleurer et trembler. C’est quasiment un soulagement lorsque s’intercale une scène pendant laquelle Scrooge découvre qu’Elizabeth (…dont on suppose qu’il est la femme qu’il a aimée, mais très franchement ce n’est pas détaillé) et lui auraient pu avoir des enfants, et que ça n’a pas été le cas parce qu’il était trop accaparé par ses affaires.
Beaucoup de ces éléments sont largement extrapolés par rapport à la nouvelle de Dickens (voire par rapport à la vie de Dickens lui-même), et certains en sont tout simplement absents. Mais A Christmas Carol semble fascinée par cette litanie d’horreurs, et rien ne l’arrête. On sent que la mini-série essaie d’expliquer comment Scrooge est devenu Scrooge (tout en lui refusant la moindre excuse pour son comportement, sinon ça change toute la morale de l’histoire !), mais il y a une telle surenchère pendant ces deux premiers épisodes que j’étais à deux doigts de laisser tomber mon visionnage.

Malgré tout, ce n’est pas là le choix le plus contestable d’A Christmas Carol. Parce que, voyez-vous, A Christmas Carol est une série de 2019 et que oopsie daisy, il n’y a que des personnages masculins dans le conte original de Dickens. Alors qu’est-ce qu’on fait ? Eh bah on donne une storyline à un personnage féminin ou deux. Ainsi la sœur d’Ebenezer Scrooge, Lottie, obtient-elle un semblant de backstory (c’est elle qui a sauvé son frère du pensionnat, et elle savait pour les abus sexuels ; d’ailleurs c’est elle qui incarne brièvement le fantôme du Noël présent), mais A Christmas Carol avait besoin d’un personnage féminin plus important. Et paf, ça tombe sur Mary Cratchit.
En soi, j’ai aucun problème avec la réécriture de classiques pour faire un peu de place à des personnages féminins et/ou racisés (d’ailleurs Mary est ici incarnée par une actrice noire, Vinette Robinson), mais évidemment, ça dépend comment. Et oh mon Dieu.
Dés le premier épisode, la mini-série suggère par petites touches que Mary cache un secret à son propre mari, en lien avec l’opération qu’a subie leur fils Tim (qui est interprété dans la mini-série par un acteur de petite taille de 10 ans, le jeune Lenny Rush) quelques années plus tôt. Cette opération a coûté très cher, et Mary a obtenu l’argent grâce à un cousin vivant en Amérique… mais qui, en réalité, n’existe pas. Mary est rongée par la culpabilité alors qu’au fil des années elle a menti à son mari Bob : l’argent, elle l’a en fait obtenu grâce à Ebenezer Scrooge, qu’elle a supplié de leur accorder un prêt. Mais outre la dimension financière du prêt (Scrooge retient une partie de la paie de Bob pendant plusieurs années jusqu’à remboursement avec intérêts, bien-sûr !), le vieil homme lui avait aussi imposé une autre condition : celle de venir le voir, le jour de Noël, dans sa demeure, et de faire tout ce qu’il voudrait. Ce n’est qu’une fois la jeune femme nue et humiliée qu’il lui annonce qu’il voulait juste tester jusqu’où quelqu’un serait prêt à aller pour un peu d’argent, mais qu’il n’a aucune intention de la toucher.
Pourquoi cette histoire plutôt qu’une autre ? On ne le saura pas mais je suis évidemment convaincue que ça n’a rien du tout à voir avec la perspective de montrer une femme maltraitée à la télévision (ou partiellement nue). Je n’ose l’imaginer. Personne ne fait ça !

Vous dire que cette mini-série A Christmas Carol est glauque est donc un doux euphémisme. Tout ça pour quoi, au final ? Pour un revirement qui intervient très tardivement, dont la portée apparaît quasiment comme brutale (tout d’un coup Scrooge se préoccupe du devenir de Tim, que le fantôme des Noëls à venir lui présente comme en danger de mort parce qu’il veut aller faire du patin à glace sur le lac…), lie tout cela à l’esprit de Noël sans que franchement on ne comprenne pourquoi ni comment (surtout que la générosité soudaine d’Ebenezer se traduit par… la promesse d’un chèque, ah oui, très esprit de Noël dites donc), tout en se terminant sur un happy end radical qui n’a été égalé que par Scrooge McDuck.
A Christmas Carol voudrait nous faire croire qu’elle est une adaptation pour adultes, loin des adaptations parfois édulcorées qui ont pu apparaître au fil du temps, mais elle rate son coup du début à la fin en voulant à tout prix charger la mule. Les adultes ne veulent pas juste plus de noirceur, de violence et de nudité ; ils aiment bien qu’on leur parle comme à des spectateurs intelligents, aussi. Juste pour voir comment ça fait. Or il n’y a pas grand’chose qui fonctionne, thématiquement. Parfois A Christmas Carol semble vouloir parler d’inégalités sociales, voire éventuellement de capitalisme, mais brouille tellement son message avec des intrigues secondaires tirées de son chapeau, qu’il n’y a rien à en tirer.
Je suis aussi un peu préoccupée à l’idée que cette série est diffusée entre ce soir et la veille de Noël, en primetime, sur la télévision publique britannique. Contrairement à de nombreuses autres versions, et à l’encontre de la programmation traditionnelle pour cette période, A Christmas Carol n’est absolument pas appropriée pour des enfants, et je vous parie qu’il va quand même s’en trouver quelques uns devant ce conte magique sur l’esprit de Noël… qui inclut une scène de maltraitance terrifiante, une autre faisant référence à des viols répétés d’un mineur, et une troisième dans laquelle une femme pauvre est forcée de se déshabiller pour de l’argent. Je suis pas souvent du genre à dire « qui va penser aux enfants ? », mais là, qui va penser aux enfants ?! Je sais pas moi, décaler la diffusion en deuxième partie de soirée, ç’aurait déjà été un bon début…

Si vous voulez regarder une adaptation du conte de Dickens, ce ne sont pas les versions qui manquent, alors épargnez-vous celle-là. Si c’était à refaire, en tout cas, je ne la regarderais pas.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    « en échange d’une exonération de ses frais scolaires, le jeune garçon était régulièrement violé par le proviseur. » – Pardon??? Euh la BBC wtf, was it really necessary?
    J’irai reregarder l’épisode de Noël de Doctor Who à la place, au moins la musique est bien.

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