Il y a quelques années, j’avais une thérapeute épatante. Sûrement la meilleure que j’aie pu consulter (et entre ma dépression, mon anxiété et tout le reste, j’en ai consulté pas mal). Un jour que je parlais de mon impression d’être impossible à aimer, elle m’a dit le plus naturellement du monde : « mais moi je vous aime ». S’en est suivie une conversation pendant laquelle, incrédule, j’ai essayé de lui prouver par a+b que c’était impossible et qu’elle ne pouvait quand même pas aimer tous ses patients, et certainement pas les plus difficiles (ou la plus geignarde). « Ah non, moi j’aime tous mes patients », m’a-t-elle répondu avec un grand sourire qui m’irradiait de douceur et de paix intérieure. Elle en semblait aussi convaincue que je ne l’étais pas.
Mais ça n’avait en réalité rien d’extraordinaire : elle était tout le temps comme ça, avec cette approche tellement positive de tout et de tout le monde. C’était quasiment surhumain. C’est aussi pour cette raison qu’elle me faisait un bien fou. J’avais l’impression qu’elle était un peu naïve sur certaines choses, mais j’avais aussi profondément envie de m’imprégner de ce regard ; si j’avais réussi à n’adopter ne serait-ce que la moitié de son attitude, je pense que j’aurais pu reprogrammer mon cerveau pour de bon et aller bien mieux. Malheureusement elle a fini par déménager dans le Sud de la France, et apparemment il aurait été « moralement douteux » et « illégal » de la kidnapper et l’enchaîner à son bureau pour l’en empêcher.
En regardant le premier épisode de la série québécoise Cerebrum, j’ai beaucoup repensé à cette thérapeute. En particulier en voyant le personnage d’Anne Beaulieu exercer, et plus généralement avoir une attitude assez similaire, j’ai immédiatement ressenti une grande affection pour ce personnage. Et se prendre d’affection pour une personnage de thérapeute dans une série sur la santé mentale, ça ne se produit pas tous les jours.
Hélas, cent fois hélas pour Anne Beaulieu et pour moi, se lier à ce personnage n’était pas ma meilleure idée.
C’est que, Cerebrum n’est pas simplement une série sur la thérapie ni même sur les thérapeutes. Des séries comme ça, il en existe, comme BeTipul (et ses multiples adaptations passées et à venir), Huff, Web Therapy, Head Case, ou Inhuman Condition. Ce n’est pas le cas ici, parce que Cerebrum, bien que suivant des personnages qui sont respectivement psychiatre et psychologue, est en réalité un thriller portant sur une disparition. Un étonnant mélange des genres qui se met progressivement en place pendant le premier épisode…
Alors reprenons : le psychiatre Henri Lacombe (incarné par le toujours parfait Claude Legault) est à la tête de l’Institut national de santé mentale de Montréal, le plus important centre du genre dans le pays. A la tache particulièrement difficile qui est celle d’accompagner des patients, il doit aussi superviser les opérations de l’établissement, lequel est actuellement en train de lancer un financement pour la réfection d’une aile vétuste actuellement fermée, et qui pourrait permettre d’ouvrir plus de lits. Henri est donc fort occupé et ce jour-là peut-être un peu plus que les autres, mais toujours est-il qu’il ne réalise pas immédiatement que sa compagne Anne Beaulieu a disparu.
Anne aussi avait commencé la journée très fort, avec notamment un incident devant son cabinet au cours duquel l’ex d’un patient s’était montré inquiétant, une séance chargée émotionnellement avec une autre patiente, et finalement sa toute première interview dans les médias. Mais à un moment, Anne a disparu. Et quand Henri, qui devait la retrouver pour le dîner (elle avait insisté, le matin-même, pour ce dîner !), s’aperçoit qu’elle ne vient pas, il commence progressivement à paniquer.
Le premier épisode se focalise sur cette journée, vécue en parallèle par Henri et Anne, mais aussi par leur fils adolescent William, et dans une moindre mesure, leur fille aînée Marine. Professionnellement, la journée est chargée, et de son côté Henri doit non seulement de préoccuper de la levée de fonds, mais aussi gérer l’annonce du suicide d’un de ses patients, la tentative de suicide d’un autre… Pendant ce temps, l’interview d’Anne ne tourne pas très bien.
Cerebrum passe beaucoup de temps dans le cabinet de l’un et de l’autre pour cet épisode inaugural, et nous invite à apprendre à connaître ces personnages principalement par leur vie professionnelle. Le sérieux austère de Henri, la bienveillance lumineuse d’Anne, alternent à l’écran mais sont mis à rude épreuve alors que la journée se complique. Cerebrum ne s’attarde pas, en tout cas pas pour le moment mais j’imagine que ça peut évoluer par la suite, sur les pratiques elles-mêmes, mais plutôt sur leurs conséquences pour les protagonistes et ceux qu’ils croisent.
Parce que nous savons qu’Anne a disparu, parce qu’une scène en début d’épisode nous l’a appris avant que nous ne remontions 18 heures en arrière (vous savez bien qu’il est légalement obligatoire pour un pilote de commencer par là maintenant)… eh bien nous regardons ces interactions avec, dans le fond, un peu de suspicion : qui est responsable de la disparition ? Peut-être est-ce à cause de cet ex inquiétant venu menacer Anne sur son lieu de travail. Ou cette journaliste peu honnête qui pousse Anne dans ses retranchements. Ou la famille du policier qui s’est suicidé alors que Henri avait décrété qu’il allait mieux. Ou autre chose. Qui ?!
Je ne sais pas si au juste, dans le contexte de Cerebrum, il est tout-à-fait légitime de considérer les personnages secondaires comme suspects dans cette disparition ou à tout le moins responsables. C’est même assez déplaisant d’avoir ce réflexe (appris à cause de deux décennies de polars omniprésents) dans une série faisant grand cas de parler de santé mentale : considérer les patients psychiatriques comme des dangers par défaut, ça a un nom. En fait, rien n’indique qu’Anne a disparu contre son propre gré, pour le moment ! Peut-être qu’elle nous fait tout simplement un coup à la Dakara Kouya. On n’en sait rien. Mais cette scène en début de pilote fausse un peu notre perception de la situation.
Et dans tout ça j’avoue que j’ai du mal à savoir qu’en penser. Cerebrum semble vouloir mélanger un drama sur la santé mentale (et surtout sur son soin ; les expériences des patients sont systématiquement décrites par le biais de leur rapport aux protagonistes soignants) et une enquête plus conventionnelle, et je ne sais pas si c’est la meilleure idée au monde, déjà. Je ne sais pas non plus si je n’aurais pas préféré que la série admette simplement de s’intéresser uniquement à la vie professionnelle de ses protagonistes, au lieu d’ajouter cette dimension policière qui pour le moment ne me semble pas enrichir l’aspect dramatique, alors que l’aspect dramatique donne clairement des munitions à ladite dimension policière. Il y a un déséquilibre réel dans ce premier épisode, qui peut-être tient à la mise en route, mais qui pour le moment est hautement imparfait.
Reste qu’à cause de ce déséquilibre, j’ai beaucoup repensé à mon parcours thérapeutique, et à la façon dont ont pu me voir mes soignants passés et présents. Particulièrement parce que j’ai ressenti cette connexion avec Anne, j’aurais voulu passer plus de temps à la voir pratiquer, avec des hauts et des bas peut-être (pas juste une séance en apparence parfaite), des doutes occasionnels. J’aurais voulu voir la pratique du psychiatre en hôpital public se confronter à celle de la psychologue en cabinet libéral (en particulier pour avoir vécu des thérapies dans les deux).
Bref, j’aurais voulu une autre série que celle que Cerebrum semble vouloir offrir.
« et apparemment il aurait été « moralement douteux » et « illégal » de la kidnapper et l’enchaîner à son bureau pour l’en empêcher. »
PFFF la loi et la morale gâchent décidément toujours tout.
Et tu sais que j’aime toujours en lire sur toi autant que j’en lis sur les séries donc… ♥ (et pour la peine je suis allée relire l’article sur Dakara Kouya aussi, tiens)
Les personnages de fiction qui sont psy et dont on suit la vie et le cheminement intérieur peuvent être si intéressants. Dommage que ça ne semble pas être le cas ici.