Eh bah je sais pas pour vous, mais je suis bien contente que la chaîne Histoire existe, moi. Pourquoi ? Parce que grâce à elle et contre toute attente, il sera possible de regarder à partir de jeudi une série historique allemande. Et attention, pas n’importe laquelle : pour une fois, il ne s’agira pas d’une série historique allemande sur la Seconde Guerre mondiale, ou sur l’après-guerre, ou sur la chute du mur, ou même sur le néo-nazisme. Non, il s’agit d’une série médicale qui se déroule au 19e siècle. Vous savez combien de fois ça se produit, en France, qu’on ait accès à ce type d’imports allemands ? Quasiment jamais.
Ce qui ne gâche rien, c’est que la série allemande historique en question n’est nulle autre que Charité, un très gros succès d’audiences plusieurs fois récompensé. C’est vous dire si j’en suis reconnaissante à Histoire. Je dis pas souvent du bien de la programmation internationale des chaînes françaises (hors arte), alors quand un truc comme ça se produit, faut en profiter.
Je m’apprête donc à vous dire tout le bien que je pense de la première (qui initialement devait être l’unique) saison de Charité, en espérant que vous vous saisissiez de cette rare opportunité.
En 1888, une patiente se présente à l’hôpital universitaire de la Charité (en français dans le texte) pliée en deux par la douleur. Ida Lenze, c’est son nom, est rapidement admise pour une appendicectomie urgente, pratiquée par le Dr Emil von Behring. Mais pendant sa convalescence, il apparaît que ses employeurs refusent de payer ses frais médicaux et qu’elle est même renvoyée sans ménagement de son poste de gouvernante. Pour payer sa dette médicale, Ida est donc contrainte de rejoindre le personnel de la Charité en tant qu’assistante infirmière.
A l’hôpital, on trouve en effet de nombreux groupes qui se croisent. Il y a donc les infirmières, des jeunes femmes célibataires qui travaillent là soit par obligation soit en attendant de trouver un mari ; les diaconesses, qui agissent comme infirmières mais aussi religieuses au sein de l’établissement ; les étudiants en médecine, qui naturellement sont tous de jeunes hommes ; les médecins, qui sont tous des hommes et officient pour la plupart comme enseignants ; et enfin, il faut aussi mentionner le personnel de l’institut de recherche médicale attenant, qui là encore ne compte que des hommes.
Ida va commencer à travailler dans cet univers, et côtoyer des personnes appartenant à chacun de ces groupes, et dans le même temps, se révéler à elle-même.
Ce n’est pas simplement son genre qui vaut à Charité d’être diffusée par une chaîne spécialisée dans l’Histoire, c’est surtout son traitement de celle-ci. La série est en effet au moins autant intéressée par le sort d’Ida, son héroïne, que par ce qui se déroule à l’hôpital de la Charité pendant qu’elle en traverse les couloirs.
En particulier, Charité se passionne pour la recherche microbiologique, qui en est encore à ses balbutiements mais dont l’hôpital berlinois est l’une des figures de proue. De nombreux chercheurs apparaissent dans la série et ont droit à de longues intrigues détaillées, tels Robert Koch, Emil von Behring, Paul Ehrlich, Shibasaburou Kitasato ou Ernst von Bergmann. Le pathologiste Rudolf Virchow, bien que n’étant pas chercheur en microbiologie, va également y jouer un rôle important. Enfin, mentionnons que l’actrice Hedwig Freiberg y tient un rôle plus que conséquent. Suivre ces liens constitue-t-il un spoiler ? A vous de voir… c’est compliqué les questions de spoilers en matière de séries historiques !
La saison suit donc avec excitation les développements des travaux de tout ce petit monde sur des vaccins, ou parfois plus généralement sur des avancées médicales, ainsi que la façon dont elles sont reçues à leur époque, par leurs pairs notamment. Cela avec, j’aime autant vous prévenir, quelques leçons d’anatomie que je ne recommande pas à l’heure du dîner, même si on n’est quand même pas au niveau de The Knick. Mais si, sans conteste, Charité m’évoque cette série, je dois cependant préciser que son approche du sujet m’a aussi très souvent évoqué la démarche de Masters of Sex, en se montrant sincèrement intéressée par la recherche médicale, refusant de la traiter comme un simple prétexte ou décor à ses intrigues. Cela donne à Charité une véritable valeur pédagogique, qui donc explique qu’une chaîne comme Histoire ait voulu lui mettre le grappin dessus.
A ce stade il me faut cependant préciser que Charité pêche par là où elle veut réussir, hélas. Il est en effet extrêmement difficile de se faire une idée de la timeline de la série sans avoir quelques onglets ouverts sur Wikipedia (ou une connaissance préalable du sujet, mais ce n’était pas mon cas). En-dehors du début du premier épisode, qui effectivement nous indique que la série commence pendant l’Année des Trois Empereurs, il faudra s’accrocher pour obtenir des dates précises. Ce n’est pas un souci tant que la série injecte régulièrement des références à des événements historiques spécifiques faciles à googler (la date du Xe Congrès international de médecine de Berlin, mettons), par contre, en particulier pendant la seconde moitié de la saison, quand les événements sont strictement internes à l’hôpital de la Charité, bah… on perd totalement la notion du temps. Du coup, la valeur pédagogique de Charité est quand même limitée d’autant.
Cela induit un autre inconvénient : cette absence de repères temporels empêche aussi d’apprécier pleinement certains développements dramatiques dans les intrigues moins scientifiques ; parfois, cela signifie que les personnages semblent avoir très rapidement changé d’avis sur quelque chose, ou que leurs sentiments ont évolué radicalement, alors que c’est juste le temps qui a fait son oeuvre.
Et donc, voilà, c’est tout.
Ha ha ha, je déconne : c’est pas tout du tout ! Malgré sa durée plutôt courte (6 épisodes d’environ 50 minutes), Charité a encore beaucoup à dire.
Parce que notre Ida Lenze, elle n’est pas qu’un cheval de Troie narratif : il va lui arriver plein de choses !
Par exemple, le Dr Behring qui l’a opérée à son arrivée n’est pas n’importe qui pour elle : elle l’a connu dans une vie antérieure, lorsqu’avant d’être une pauvre domestique, elle était la fille d’un riche médecin (depuis décédé) et que Behring espérait reprendre son cabinet… et épouser Ida. Lorsque celle-ci est devenue orpheline et a été dépossédée de son héritage par son gardien légal, Behring a disparu du jour au lendemain, et autant vous le dire, Ida n’a pas trop digéré. On la comprend. Dans les couloirs de la Charité, elle va aussi faire la rencontre d’un jeune étudiant idéaliste, Georg Tischendorf, qui n’a aucune envie d’être médecin et se rêve en artiste. Il s’éprend très vite d’elle. Ida va aussi se lier d’amitié avec une des diaconesses, l’effacée Therese.
Mais surtout, Ida voit sa passion pour la médecine ravivée par son embauche forcée à l’hôpital. Elle s’est toujours intéressée à cette discipline, mais la mort prématurée de son père l’a poussée à faire une croix sur ses espoirs d’un jour en apprendre plus. Qui plus est, l’Allemagne de la fin du 19e est le seul pays européen où les femmes ne sont pas autorisées à pratiquer la médecine. Malgré tout, Ida tente d’en apprendre le plus possible, se glisse progressivement dans le fond des salles de classe, et va trouver un allié insoupçonné qui croit en ses capacités… Se pourrait-il qu’Ida devienne la première femme médecin d’Allemagne ? Comment on dit Catherine Courage en allemand ?!
Si vous croyez que Charité s’arrête là, vous n’avez pas encore compris à qui vous avez affaire. A travers ses intrigues sur la recherche ou celles qui concernent la vie privée de ses personnages, la série touche à une foule de sujets que, très franchement, elle n’approfondit pas vraiment, mais qu’elle a au moins le mérite de replacer dans leur contexte historique.
Ainsi Charité met-elle en scène, par exemple, le contraste entre la fonction très genrée des différents groupes de l’hôpital. Les médecins sont des hommes, les infirmières sont des femmes (et plus encore, une bonne moitié d’entre elles sont des religieuses), et cela n’est pas sans conséquences. Tandis que les étudiants et les chercheurs parlent technique et progrès, les infirmières et diaconesses, elles, parlent de soin et de prières. Surtout que les conséquences, elles, sont régulièrement rappelées, à une époque où l’hygiène est encore une notion nouvelle, et où les femmes qui procurent des soins aux malades pensent que la douleur est signe de vertu.
C’est à vrai dire un angle que j’aurais vraiment voulu plus détaillé, parce que c’est à la fois un choc de cultures mais aussi le signe d’une barrière solidement maintenue entre les hommes et les femmes grâce à la religion, les mœurs, et même la science de l’époque (pendant une scène, un médecin expliquera à ses étudiants que les femmes, c’est scientifique, ont la capacité intellectuelle des enfants). Les deux philosophies qui s’opposent dans les couloirs de la Charité existent à cause de tant de facteurs, ç’aurait été fascinant si la série avait eu le temps d’en détailler les mécanismes. C’est quand même aussi ça, l’avantage de la fiction historique par rapport à une litanie de dates et d’événements factuels.
On n’en aura pas le temps, parce que Charité veut aussi évoquer une foule d’autre choses. L’un des thèmes de la saison, c’est de détailler à la fois combien les médecins de l’hôpital se passionnent pour le progrès médical, et sont hermétiques à d’autres formes de progrès. De la même façon, la curiosité des chercheurs pour la biologie n’a d’égale que l’ignorance de l’époque face à la santé mentale. Et c’est évidemment logique vu l’époque, mais c’est intéressant de voir une série en causer.
Parmi les personnages de la série, on trouve ainsi un personnage bipolaire, ou une femme pratiquant l’auto-mutilation, par exemple. Charité veut aussi toucher à plein d’autres sujets, alors on s’interrogera un peu sur la place que pouvait tenir à la fin du 19e siècle une femme lesbienne (pardon pour le spoiler, mais ça se conclut hélas sur du bury your gays). Il sera aussi brièvement question de l’émergence du divorce, d’avortement, d’anti-sémitisme, et plus brièvement encore des zoos humains. Ces questions sont abordées de façon plutôt simpliste, parce qu’on n’a tout bonnement pas le temps de faire plus, mais je suis déjà plutôt contente qu’une série évoque l’histoire honteuse des zoos humains en Europe : il faut avouer que ça ne court pas les rues.
Ecoutez, c’est bien simple, il y a de quoi discuter de Charité pendant des heures. Ce n’est pas la série la plus fine au monde sur un plan dramatique (en particulier à cause de cette histoire de repères temporels que je mentionnais plus tôt), mais il y a vraiment des foules de choses à y piocher par curiosité intellectuelle.
Le public allemand ne s’y est d’ailleurs pas trompé : alors que Charité était supposée être une mini-série, elle a finalement été renouvelée pour une deuxième saison, apparue début 2019 (soit 2 ans après la première). Bon, étant donné la façon dont fini la première saison, il ne faut pas exactement s’attendre à une suite mais plutôt à une anthologie prenant à nouveau comme décor l’hôpital universitaire de la Charité. Et d’ailleurs, cette nouvelle saison se déroule en 1943…
…Quoi, sérieusement, 1943 ?! Encore ?!
…
Bon, comme je le disais, on n’a pas tous les jours l’opportunité de regarder une saison comme celle qui démarre jeudi sur Histoire. Prenez vos dispositions en conséquence.
Une série allemande qui ne se déroule pas pendant une Guerre mondiale ou la Guerre froide, qu’ouï-je ? Serait-ce possible ? Il va falloir que je me procure ça pour faire bosser un peu mon allemand.