Il y a eu les séries avec des héros : ces gens (souvent des hommes) qui font toujours les choix les plus moraux, et qui s’en tirent victorieux. Il y a eu les séries avec des anti-héros : ces gens (…souvent des hommes) qui font toujours les choix les moins moraux, et qui s’en tirent victorieux. Eh bien la comédie suédoise Gösta essaie de lancer une série avec un trop-héros : quelqu’un (et c’est un homme) qui fait toujours les choix les plus moraux, et qui ne s’en tire pas victorieux. Et qui en est parfaitement content.
Je ne pense pas que Gösta lance réellement une mode, mais l’approche a au moins le mérite de l’originalité.
Gösta, c’est le nom d’un jeune psychologue qui vient d’accepter un nouveau poste dans une petite ville du Småland (dans le Sud du pays). Il y habite une petite… écoutez, techniquement ça lui a sûrement été vendu comme une maison, mais le terme de « hutte » serait plus approprié. Et il en est parfaitement content.
Il a recueilli, on ne sait (pour le moment ?) pas trop comment, un migrant du nom de Hussein, un homme âgé et apparemment dépressif qui ne parle pas beaucoup et passe l’essentiel de ses journées au lit. Gösta s’occupe de lui, fait sa cuisine et sa vaisselle, et en plus suit son dossier administratif. Et il en est parfaitement content.
Au travail, il reçoit essentiellement des enfants et des adolescents. Une mission un peu ingrate étant donné que ce public n’est pas forcément le plus causant, et que les parents n’ont pas nécessairement beaucoup de respect pour le psychologue, vu comme une machine à distribuer des diagnostics plutôt qu’autre chose. Et il en est parfaitement content.
Gösta a laissé à Stockholm sa petite amie Melissa, une étudiante en médecine. Il fait régulièrement l’aller-retour pour lui rendre visite et l’aider dans ses révisions. Le problème est que Melissa est une hypersensible avec de gros problèmes de co-dépendance : lorsque Gösta n’est pas là, la jeune femme est incapable de faire quoi que ce soit. Elle passe donc son temps à réclamer une attention constante et s’inquiéter de la prochaine fois où ils se verront. Et il en est parfaitement content.
Le père de Gösta est également quelqu’un qui demande de l’attention soutenue. Il est très susceptible à des crises de panique et se repose pas mal sur Gösta, émotionnellement parlant. Et il en est parfaitement content.
En fait dans Gösta, il apparaît que chaque recoin de l’existence du héros — pardon, trop-héros — est sans cesse occupé par les autres. Sa vie ne lui appartient pas du tout. Gösta se plie en quatre pour tous ceux qui ont besoin d’aide, ou qu’il perçoit comme ayant besoin d’aide quand bien même ils ne lui demandent rien, au point que ce qu’il veut (si tant est qu’il veuille quelque chose) n’est jamais prioritaire. Le premier épisode de la série présente ce phénomène, et surtout nous montre la réaction de son trop-héros à chaque fois qu’il est appelé à venir en aide à un proche ou un inconnu.
Or, il s’avère que Gösta est parfaitement content de tout cela.
En soi ça n’a pas l’air d’un twist énorme, mais à regarder c’est assez déboussolant. J’ai passé une bonne partie de l’épisode à attendre que l’une de ces sollicitations devienne un événement déclencheur qui donne envie à Gösta de râler un peu. Les séries ne sont-elles pas toutes construites, en particulier dans leur épisode initial, autour de l’idée que quelque chose va se passer qui change la donne et/ou forme le point de départ d’un changement ? Et puis, il doit bien y avoir une limite, non ? Jusqu’où le monde entier peut-il attendre de Gösta une aide docile ?
Mais non, rien. Rien pour le moment en tout cas. Et à bien y réfléchir, c’est une approche très radicale. Dans Gösta le personnage est ravi de se dévouer aux autres, à un degré qui montre non seulement qu’il est généreux et patient, mais aussi qu’il doit y avoir quelque chose de volontaire dans cette démarche.
Dans les autres séries où un personnage est entouré de proches qui le sollicitent sans cesse, les choses sont présentées comme subies (et les photos de promos montrent un héros qui fait la moue d’un air blasé). J’avoue être émerveillée par ce que raconte Gösta, qui tranche radicalement avec toutes les séries reposant sur l’idée qu’un personnage qui donne autant le fait par la force des choses, et que cela entraîne de l’épuisement physique et/ou émotionnel. La démarche de Gösta est clairement volontaire, et si son cheminement de pensée n’est pas détaillé, chaque scène ou presque met un point d’honneur à montrer qu’il n’est pas accablé par son entourage. Il fait tout cela de gaîté de cœur.
On s’attend à ce qu’il tape du poing sur la table et demande au reste de l’univers de le respecter un peu ! Mais Gösta ne semble pas avoir envie de cela, en fait, il semble avoir envie exactement du contraire, c’est-à-dire donner encore plus.
A vrai dire, si on s’attend à ce que Gösta finisse par envoyer paître tout le monde, c’est parce qu’on trouve cette réaction parfaitement humaine. Nous-mêmes mettons (…idéalement) des limites à ce que nous sommes prêts à donner, et n’aimons pas avoir l’impression d’être exploités par nos proches aussi bien que des inconnus. Nous pensons que c’est parfaitement sain de savoir dire non.
Gösta ne sait pas dire non. Et de notre point de vue en tout cas, sa vie semble empirer : à la fin du premier épisode, son père fait une crise d’anxiété au beau milieu de la nuit à cause de sa rupture avec sa compagne, et vient sans sa hutte, laissant entendre qu’il s’y installe pour plus qu’une nuit. Gösta, qui était au lit avec Melissa (il l’écoutait parler de ses préoccupations, bien-sûr !), interrompt tout pour aider son père à s’installer dans son lit pour se calmer. Et devant cette énième scène de l’épisode dans lequel Gösta se plie en quatre, sans même froncer l’ombre d’un début de sourcil, au mépris de tout le reste, je me suis dit que oui, la vie de notre trop-héros était résolument en train d’empirer sous mes yeux. Le père de Gösta, et peut-être même Melissa, vont s’installer dans la hutte de Gösta où réside déjà Hussein aussi (et il y a eu l’histoire du vélo quelques minutes plus tôt, aussi, sans vouloir tout raconter).
Mais la situation est-elle pire du point de vue de Gösta ? Si lui pense qu’il n’y a pas de dégradation de son mode de vie, si pour lui ce n’est pas un problème, s’il tire une satisfaction de leur présence ou simplement de l’attention qu’il leur porte… alors tout va bien. Est-ce qu’on peut faire une série sur ça ? Et plus encore une comédie ? Une série où la décision la plus morale, la plus bienveillante, la plus généreuse, n’entraîne que des conséquences jugées positives ?
A quoi ressemble une série où Gösta ne dit jamais non et n’a pas l’impression de subir une quelconque conséquence ? Et est-ce que du coup, en tant que spectateur, je peux vraiment trouver que les autres personnages exagèrent ?
Je ne sais pas si Gösta sera cette série. Ça me paraît fou. Je ne sais pas comment c’est possible, et ça me laisse pantoise sur la forme. Je n’ai tout simplement jamais vu un trop-héros comme celui-ci, et jamais assisté à une série avec ce genre de parti-pris. Du coup je vais tenter de trouver les épisodes suivants de cette comédie de HBO Nordic, parce que vraiment, là, ça semble trop-beau pour être vrai.
J’ai vu la pub en boucle il y a quelques mois de ça sur YT (HBO Nordic fait Beaucoup de pubs pour ces séries). Ça ne m’a pas franchement tentée, mais je serai intéressée de savoir ce qu’il se passe ensuite et si tout va effectivement de mal en pis.