Jusqu’à présent, les créations originales de Canal+ en Pologne se sont montrées très conventionnelles. La chaîne à péage polonaise a présenté des titres qui, certes, ne sont pas dénués d’intérêt ; si vous en doutez, je vous renvoie à au premier épisode de Belfer, une série qui commence sur la mort d’une adolescente mais, de par son ton, propose un peu plus qu’une simple enquête criminelle. Cependant, les séries de la chaîne n’ont pas franchement proposé d’idée révolutionnaire, réutilisant peu ou prou des concepts populaires en Europe de l’Ouest ou Europe du Nord sans chercher à innover. Parfois littéralement : Krew Z Krwi est l’adaptation polonaise de la série néerlandaise Penoza (déjà adaptée aux USA et en Suède). Ouais, le moins qu’on puisse dire, c’est que « création originale » est un terme très généreux…
Dire que je n’ai pas particulièrement hâte de regarder des crime dramas est un doux euphémisme, mais lorsque j’ai remarqué que Nielegalni était à portée de main, je me suis dit : « écoute, lady, quand même, jette un œil, on sait pas, ça se trouve c’est super ». Saloperie de curiosité.
Regarder Nielegalni n’est pas exactement une corvée, mais soyons clairs : je vous fait la review du pilote, et après c’est fini.
D’ailleurs je vais être franche avec vous, j’ai eu un peu de mal à suivre ce premier épisode. Pourtant, je prétends avoir vu quelques pilotes dans ma vie, d’un peu tous les genres et tous les pays, et je me targue même, à l’occasion, de découvrir certains d’entre eux sans sous-titres (par curiosité essentiellement) et quand même plus ou moins réussir à biter quelque chose. Ce n’est en général pas si difficile de surmonter la barrière de la langue, quand on est habitué à un certain nombre de codes narratifs, qu’on est attentif au langage non-verbal, et qu’on a une idée générale de ce dont la série essaye de parler ; et bien-sûr il y a l’avantage que procure, dans certains cas, la langue parlée par les personnages avec des langues dont j’aurais des notions. Sans aller jusqu’à prétendre que ce soit le moyen idéal de regarder des séries, loin de là, il me semble que j’ai développé une certaine capacité à tenter des choses comme ça, et que pour me semer en route, une série doit vraiment y mettre du sien.
Dans le cas de Nielegalni, je partais avec une longueur d’avance : j’avais des sous-titres. J’avais une idée du propos de la série, grâce à des résumés. Et malgré ça, j’ai ramé comme une damnée pour comprendre la moitié de ce qui se passait à l’écran. Ecoutez, à un moment, je considère que j’ai vraiment tout donné et que le problème est potentiellement du côté de la série.
Alors de quoi s’agit-il ? Eh bien Nielegalni est une série qui a pour sujet de départ le trafic international d’armes. Le premier épisode nous présente deux personnages principaux qui, pour le moment au moins, n’ont pas l’air de se connaître ou d’avoir quoi que ce soit en commun, si ce n’est qu’ils sont tous deux des espions polonais travaillant à démanteler des trafics d’armes à des points différents de la chaîne. Le premier est Konrad Wolski, un agent actuellement en mission en Turquie où il opère en collaboration avec une espionne suédoise, Linda Boman. Avec leur équipe, ils tentent de s’insérer dans les affaires d’un marchand d’armes local et ainsi pouvoir remonter à la source. Comment s’est-il procuré un arsenal qui a tout de militaire ? Une piste de réponse se trouve peut-être avec notre autre héros : Oleg Zubov, nom de code Travis, qui est actuellement infiltré à Minsk auprès d’un général biélorusse, qui utilise son influence dans l’armée pour vendre du matériel au plus offrant. Oleg/Travis est là dans un projet au long cours, et il est devenu le bras droit du général, l’accompagnant dans la plupart de ses deals.
Les choses ne vont pas très bien, cependant. Pour Konrad, une filature échoue à Istambul, ce qui n’améliore absolument pas ses rapports tendus avec Linda. C’est pire encore pour Oleg/Travis qui est démasqué par son supérieur, et fait l’objet d’un chantage atroce : s’il ne paie pas le général une somme rondelette, il sera dénoncé au KGB et finira, au mieux, dans l’équivalent d’un goulag où il finira vraisemblablement ses jours.
Pour réussir à vous pondre ce résumé, toutefois, il m’a fallu deux visionnages et demi du premier épisode de Nielegalni. Alors bon, je ne suis pas opposée à visionner un épisode plusieurs fois pour vous en parler, mais le problème est d’en avoir besoin pour comprendre l’articulation de certaines choses. Ça, ça me frustre. Par certains aspects, j’ai eu l’impression de non pas regarder le premier épisode de la série, mais le deuxième ou troisième, tant certaines choses relevaient de l’implicite ; et si je veux bien croire, parce que je suis habituée à garder cette donnée en tête, qu’une part du problème réside dans le fait qu’il me manque certains codes culturels, en revanche une autre part non négligeable de ce phénomène est due à l’écriture elle-même. Je ne saurais m’avancer sur la question de « à quel point c’est voulu », mais clairement il y a un souci.
Un bon exemple de ce souci, et de la façon dont l’épisode introductif de Nielegalni n’est pas conçu pour être clair, est la scène dans laquelle Oleg/Travis est découvert par le général. Le face à face qui se déroule alors dans un bureau de l’armée biélorusse est glaçant, et d’autant plus construit comme tel que rien ne laissait présager que cela se produise, ou en tout cas certainement pas dés le premier épisode. On comprend, bien-sûr, qu’on assiste à un twist capital pour le reste de l’intrigue, et que les cartes viennent d’être rebattues. La scène elle-même est vraiment réussie sur le moment, on sent la crispation de l’espion, le personnage du général (initialement montré comme un grotesque alcoolique par la série) devient soudain imposant, bref c’est réussi. Au sortir de cette scène, Oleg/Travis retrouve sa voiture, tremblant, et ce contre-coup est efficace émotionnellement ; c’est même, à vrai dire, le seul moment où j’ai ressenti quelque chose dans cet épisode, c’est dire. Mais ce n’est qu’une fois qu’il est de retour chez lui (dans une troisième scène donc), qu’on découvre qu’il vit avec la fille du général et qu’elle est enceinte, c’est-à-dire qu’il y avait non pas un enjeu émotionnel (la terreur d’être découvert) mais deux (la trahison ressentie par le général n’est pas que professionnelle) à cette fameuse scène confrontation. Cette privation d’information, qui aurait donné d’autant plus d’impact à la scène dans le bureau, semble à vrai dire déprécier l’impact de la scène dans la voiture : le choc ressenti par Oleg/Travis n’était pas que professionnel, il ne s’agissait pas que de la menace d’atterrir dans un camp, la portée de son ambivalence est plus large que l’échec d’une mission. Pourquoi nous dire ça maintenant, aucune idée. Mais Nielegalni le fait, et ne semble pas se soucier qu’en n’ayant pas eu toutes les données au bon moment, on n’ait pas apprécier la scène de la confrontation à sa juste valeur. Je comprends juste pas la démarche.
Il n’aide en rien que Nielegalni soit, en plus, une série d’espionnage, où la plupart des protagonistes gardent une poker face imperturbable, qui prive le spectateur de points d’entrée émotionnels dans l’intrigue.
Comment Konrad vit-il son échec après avoir tenté d’approcher le trafiquant d’Istambul ? On sait pas. On le voit bien regarder sur son ordinateur des examens médicaux qui laissent entendre qu’une partie de son échec est due non à un aléa du métier, mais à une insuffisance physique de sa part. Mais est-il en colère ? Est-il triste ? Et quand il parle, avec un membre de son équipe, du temps qu’il passe à l’étranger en mission plutôt que chez lui avec ses proches, est-ce un déchirement ? Et quand il s’accroche avec Linda, est-ce un problème de hiérarchie ou de réelle inimité avec elle ? Tout est comme ça. On sait pas ce qu’ils pensent, on sait pas ce qu’ils ressentent, et on sait pas ce qu’ils veulent à part euh bah arrêter le trafic d’armes, quand même, je suppose. Même ça c’est plus implicite qu’autre chose. On n’a donc pas le sentiment d’une motivation non plus, ce qui n’arrange vraiment rien pour capter ce qui se trame, et les subtilités en jeu derrière une action donnée.
D’une façon générale, c’est souvent mon problème avec les séries d’espionnage, si je suis honnête. En plus Nielegalni est une série bien « virile » où les hommes (qui occupent tous les rôles centraux) se refusent à extérioriser la moindre pensée ou émotion. C’est dire si, à bien des égards, Nielegalni n’est vraiment pas pour moi.
:// Ça ne donne vraiment pas envie, ça c’est sûr…