Si je vous dit qu’aujourd’hui on va parler d’une série de science-fiction, avec non pas un mais DEUX voyages dans le temps, je pense ne pas trop m’avancer en imaginant avoir votre attention ! Eh bien voilà le secret pour la perdre aussitôt : préciser qu’il va s’agir d’une mini-série pour la jeunesse, tournée pour la télévision soviétique, et diffusée en 1985.
C’est pas grave, c’est déjà gentil d’être passés.
Gostya iz Budushchevo est une série de 5 épisodes diffusés en l’espace d’une semaine, en mars 1985. Son intrigue commence le 13 avril 1984 précisément : un jeune garçon du nom de Kolya est envoyé faire des courses équipé de 3 bouteilles de lait vides, à faire remplir de kefir, et en chemin découvre son ami Fima en pleine filature. Le copain en question a repéré une étrange inconnue qui semble vivre dans une maison abandonnée. Curieux de comprendre pourquoi, d’autant que la jeune femme sort vraiment de l’ordinaire, Fima entraîne Kolya sur sa piste, et ils pénètrent dans la maison dans l’espoir de découvrir ce qui s’y trame. C’est en cherchant une réponse à cette curieuse énigme que Kolya découvre une salle, au sous-sol, où se trouve une bien curieuse machine… et ce n’est qu’une fois actionnée qu’il comprend progressivement être arrivé dans le futur grâce à une machine à voyager dans le temps !
Pour être exacte, Kolya est en fait arrivé à l’Institut du Temps, en 2084 ; des chercheurs peuvent utiliser la technologie du voyage dans le temps pour se rendre à toutes sortes d’époques, et en ramener des objets ou créatures, qui sont ensuite enregistrés par un cyborg (ou « biorobot » d’après la série) du nom de Verter, avant d’être consignés pour être étudiés et/ou exposés dans des musées.
Le premier instinct de Verter est de confier le jeune garçon aux autorités, mais lorsque le cyborg réalise que Kolya est là après avoir suivi l’étrange jeune femme, qui s’appelle Polina, il se ravise. Verter est en effet amoureux de Polina et ne veut surtout pas lui attirer des problèmes ! Il s’apprête donc à renvoyer Kolya à son époque, mais l’enfant, ayant compris qu’il est dans le futur, insiste pour visiter rapidement cette époque inconnue ; il négocie de pouvoir découvrir une, juste une chose n’ayant pas existé en 1984, et Verter se laisse convaincre de lui permettre d’assister à un événement au Cosmodrome. Bien-sûr, sitôt sorti de l’Institut du Temps, Kolya se met à faire du tourisme et… se retrouve à assister à l’arrivée de deux extraterrestres, en fait des pirates de l’espace, venus voler une invention précieuse : le Mielophone. Celui-ci est entre les mains de la fille de son inventeur : Alisa, une enfant de l’âge de Kolya qui va, par la force des choses, à son tour voyager dans le temps pour récupérer le Mielophone, plus précisément… en 1984. Les aventures vont donc se succéder, essentiellement tournées autour des choix de Kolya d’abord, puis orientées vers les tribulations d’Alisa ; Verter, Fima, et progressivement de plus en plus d’enfants, vont également prendre part à cette quête.
Dans Gostya iz Budushchevo, l’intrigue n’est pourtant pas vraiment palpitante à proprement parler ; en fait, tout ou presque est fait pour mettre aussi peu de tension que possible dans ce qui se déroule à l’écran, et en-dehors de quelques scènes de course-poursuite dans des couloirs ou des rues, il n’y a pas vraiment d’action d’ailleurs. Le reste de la série est plutôt contemplatif, d’une façon qui semble relever de l’exposition dans le premier épisode mais s’avère, par la suite, être le ton adopté par la série pour absolument tout.
Le portrait-même de son héros principal, Kolya, est déroutant. L’enfant est à la fois expressif et finalement très calme ; tous les enfants sont étonnamment calmes dans cette série, et raisonnés, et peu émotifs, mais Kolya plus que les autres encore. Quelque chose de neutre émane de sa façon d’arpenter le monde de 2084 : on comprend qu’il découvre des choses entièrement nouvelles, mais on ne ressent de sa part pas vraiment d’émotions pendant l’essentiel de la série, en particulier parce que celle-ci propose de longue scènes muettes ou quasi-muettes, sans aucune musique, et où Kolya se contente de découvrir des technologies sans y réagir totalement.
Cette impression de neutralité n’est en réalité brisée que par un seul élément de la série : le résumé des épisodes précédents, proposé par un narrateur omniscient à la fois sarcastique et accusateur. Ainsi, cette voix ponctue un rappel de l’intrigue initiale, dans le 2e épisode, comme suit : « Mais Kolya ne sait pas qu’il s’agit d’une machine à voyager dans le temps et l’active. Cela signifie que si vous trouvez une machine à voyager dans le temps, il ne faut jamais l’activer sans la permission d’un adulte ». Commentaire aussi absurde que sorti de nulle part ! D’autant que les pirates auraient tout de même tenté de voler le Mielophone même si Kolya n’avait jamais voyagé dans le futur… Cette même voix est capable d’annoncer dans son récapitulatif du 3e épisode que « Kolya veut voyager sans penser à sa mère qui l’avait juste envoyé acheter du kefir », et c’est en effet la première et dernière fois de la série qu’il est même fait allusion à ce que peuvent ressentir des personnages restés à une autre époque. Le côté moralisateur de ces récapitulatifs est en décalage total avec l’action telle que les jeunes spectateurs de Gostya iz Budushchevo l’ont vue.
C’est un peu drôle (Gostya iz Budushchevo est résolument ponctuée d’humour pince sans rire et d’humour absurde), mais ça donne aussi l’impression de se faire engueuler rétroactivement pour avoir juste suivi l’aventure de Kolya sans penser à la juger. Je me demande si les enfants de l’époque ont partagé ces impressions (« oh non, Kolya ne devrait pas faire ça ! ») ou si ça les a surpris que tout d’un coup le héros soit pointé du doigt par ces récapitulatifs. Par tous ses autres aspects, la mini-série pose au contraire un regard innocent, laissant d’autant plus de place à ses spectateurs pour se faire leur propre opinion sur les faits ou les personnages.
Le futur qui est dépeint dans la mini-série représente une véritable utopie. La série met l’accent sur l’aspect technologique de ce futur, mais il sous-entend aussi une utopie civilisationnelle : il apparaît qu’en 2084, la Russie (supposément toujours soviétique, bien entendu) est un pays d’abondance, d’harmonie, de culture, et d’éducation.
L’air de rien, Gostya iz Budushchevo fait plusieurs allusions à la scolarité et par là, son évolution. Quasiment tout l’épisode 4 se déroule en 1984 dans l’école de Kolya. On y apprend qu’Alisa parle couramment huit langues différentes (dont l’anglais) et qu’à vrai dire elle n’est même pas une élève douée ! Ses talents concernent même les cours de sport, pendant la petite fille s’avère plus avancée qu’aucune de ses camarades et se fait d’ailleurs repérer pour ses talents physiques. Il semble que les enfants de 2084 sont éduqués comme des adultes, et leurs contributions plus valorisées : Alisa aide son biologiste de père dans ses recherches, entre autres sur le Mielophone, mais aussi dans des recherches linguistico-biologiques sur les différents patois parlés par les dauphins. Dans le premier épisode, il y a aussi une longue scène (narrativement peu utile) dans laquelle Kolya rencontre un groupe d’enfants venus au Cosmodrome lancer un satellite, chose apparemment courante pour une activité extrascolaire à leur époque… Alisa n’a pas non plus été habituée à se lever pour répondre à ses professeurs, quand la discipline des années 80 est très rigoureuse.
La conclusion-même de la série, au-delà de la seule intrigue du Mielophone, a de curieux accents éducatifs : avant de repartir pour 2084, Alisa va annoncer à chacun des camarades de classe de Kolya, qui ont pris progressivement part à l’aventure, à quoi ressemble leur avenir. Tous vont avoir de grandes carrières, intéressantes et généralement reconnues par le grand public, et tous ont aussitôt hâte de vivre ces vies adultes intellectuellement satisfaisantes. L’un des personnages présents fera remarquer qu’Alisa, par son excellence, a montré comment devenir ces adultes productifs…
Visuellement, Gostya iz Budushchevo ressemble moins à une série des années 80 qu’elle n’évoque les séries de science-fiction des années 60, en priorité The Prisoner et dans une moindre mesure Star Trek. La simplicité des lignes, les blocs de couleur, le goût prononcé de la série pour les formes rondes… C’est également frappant de voir à quel point la série se refuse, autant que possible (il y en a quand même quelques uns), à utiliser des effets spéciaux au profit d’effets pratiques. Cela semble autant être un choix budgétaire que stylistique ; cela saute d’autant plus aux yeux dans un futur doté de voitures volantes ou dans lequel les transports publics consistent à ouvrir des portes sur des lieux distants.
Ce qui est intéressant avec Gostya iz Budushchevo, au-delà de son intrigue, c’est le fait que la série soit devenue un phénomène popculturel à son époque et ensuite. La seule explication ne repose pas seulement sur le fait que la série, par la suite, ait été multi-rediffusée, ou qu’elle ait été l’une des premières séries commercialisée au format VHS (bien qu’avec des scènes coupées). Non : il y a une affection tangible pour Gostya iz Budushchevo. Il n’est pas erroné de parler de série emblématique pour une fiction qui a généré un enthousiasme débordant, et le terme de « série culte » n’est pas exactement galvaudé lorsqu’il s’agit de parler d’une série pour laquelle, même une fois adulte, son public conserve non seulement de la nostalgie mais aussi entretient celle-ci ; je n’ai jamais vu autant de fanart récent pour une série des années 80…
Une partie de cette affection pour la mini-série, ne nous mentons pas, est en réalité une affection pour son héroïne : la jeune actrice Natalya Guseva, qui avait 13 ans au moment de la diffusion de Gostya iz Budushchevo, est devenue la petite amie idéale d’une génération entière de petits soviétiques. Cela faisait depuis les années 60 qu’Alisa était l’héroïne (avec son père) d’une série de livres de science-fiction, mais ce n’est qu’avec la diffusion de la série qu’elle est devenue emblématique (Gostya iz Budushchevo est l’adaptation de l’un des ouvrages de cette saga littéraire). Il se dit que toutes les gamines voulaient la même coupe de cheveux qu’Alisa, et que tous les gamins étaient amoureux d’elle. Le réalisateur de la série dit avoir reçu un million de lettres adressées à Alisa… pour un rôle dans une série n’ayant été diffusée que pendant 5 jours.
Ce phénomène a même eu un nom, « Alisomania », qui a plus tard fait l’objet d’un documentaire diffusé en 2007.
Ironiquement, regarder Gostya iz Budushchevo est aujourd’hui une forme de voyage dans le temps. Et une forme de voyage dans le temps d’autant plus incroyable que rares sont les séries soviétiques à pouvoir être étudiées comme celle-ci (ses épisodes, intégralement sous-titrés, sont disponibles sur Youtube).
Je suis née en 82, et c’était un peu étourdissant que de réaliser que si j’avais grandi dans un autre pays, j’aurais probablement regardé Gostya iz Budushchevo à un moment ou un autre de mon enfance. Elle aurait peut-être été fondatrice dans ma culture téléphagique ! A la place, les années 80 étaient pour moi un festival de séries américaines (et/ou des séries d’animation japonaises), et même si apparemment la série aurait été diffusée par TF1, elle est loin d’avoir eu beaucoup d’impact en France.
Je n’ai aucun regret, mais essayer d’imaginer quelle aurait été ma trajectoire est grisant ; j’aime cette idée de the roads not taken, et ça me grise de me perdre dans ces changements de perspective.
Il arrive si rarement que, lorsqu’on parle d’histoire télévisuelle, on s’arrête sur les séries pour enfants de jadis. Curieusement, nous portons tous le souvenir cher d’au moins une série découverte dans notre enfance… mais nous ne les prenons que très rarement en compte dans notre appréhension, en tant qu’adultes, de l’industrie audiovisuelle d’une époque et/ou d’un pays donné. Dans les ouvrages sur les séries, combien de fois avons-nous l’opportunité de nous interroger sur le mode de production (le scénario de Gostya iz Budushchevo a initialement été approuvé en 1981) ou de diffusion (c’était donc une mini-série événement diffusée pendant les vacances au printemps 1985) des séries pour la jeunesse ?
J’ai eu l’impression de faire plein de voyages temporels en l’espace de 5 heures et, nom de nom, c’est vraiment pour ce genre de choses que j’ai signé.
Oh, c’est super intéressant ! Ton commentaire sur le fait que si on était née en Russie, on aurait probablement été bercée par la série (bon pour moi probablement dans l’une des rediffusions vu mon âge). On oublie souvent les séries pour enfants alors qu’elles font partie intégrantes de notre environnement télévisuelle enfant. (Je me rappelle des séries diffusées sur KD2A ou les telenovelas que je regardais.)