C’est le moment de la rentrée télévisuelle dans plusieurs pays du monde, et cela signifie qu’on va pas mal causer de pilotes dans les semaines à venir. Bon, pas de tous (encore que… ça dépend de vous !), ce sera impossible. Et ce ne sera pas nécessairement souhaitable non plus. Par exemple on ne va pas s’étendre sur Bob ♥ Abishola qui donne l’impression d’être l’idée que se fait CBS de remplir un quota « diversité » sans savoir quoi en faire par la suite, un sitcom confié à Chuck Lorre dont les seules indications sur la nature comique reposent entièrement sur des rires lancés à intervalles réguliers, diffusé sur un network particulièrement touché par les questions #MeToo mais qui s’est quand même fendu d’une série dont le premier épisode repose non pas passagèrement, non pas en partie, mais totalement sur le harcèlement d’un homme. Apparemment c’est supposé être drôle, mais vous ne le tenez pas de moi. Non, on n’en parlera pas. D’ailleurs, on n’en parlera plus. Du tout. Par contre on va parler de beaucoup d’autres. Si je suis entièrement prête pour ce qui est (pour combien de temps encore ?) l’un des moments de l’année le plus riche en lancements de séries, et ai bien l’intention de tous les regarder… encore faudra-t-il déterminer qui mérite d’être discuté.
Il n’y a pas vraiment de suspense en ce qui concerne Emergence. En tous cas, pas en ce qui concerne l’intérêt d’en parler dés son lancement.
Sur le papier, pourtant, Emergence ne m’intriguait pas franchement : après le crash d’un avion aux abords de Southold, une petite ville de la côte Est, la cheffe de police Jo Evans découvre une petite fille dans les décombres. L’enfant ne se rappelle de rien, pas même de son nom, mais se prend immédiatement d’affection pour la policière qui la prend progressivement sous son aile. Les circonstances entourant le crash (et l’attitude suspecte de la NTSB) conduisent Evans a recueillir la fillette au sein de son propre foyer, pendant qu’elle poursuit sa quête d’explications.
Des gamins étranges, franchement, ce n’est pas ça qui manque à la télévision. Et généralement ça ne fait pas les séries les plus excitantes non plus (mais il est vrai que je fais encore des cauchemars dans lesquels je dois reviewer le pilote de Believe, alors bon). Ajoutez à cela une série qui se donne des airs surnaturels mais conspirationnistes, et il n’y a pas de quoi s’exciter outre mesure.
Mais Emergence réussit sur deux plans, l’un n’étant pas du tout une surprise… et l’autre étant parfaitement inattendu.
La première réussite d’Emergence, disons-le franchement, c’est le recrutement d’Allison Tolman dans le rôle de Jo Evans. Il n’y a aucun doute possible en regardant cet épisode introductif : elle porte totalement la série.
Ce n’est pas une nouvelle pour qui l’a déjà vue à l’oeuvre, mais que Tolman porte cette authenticité et cette humanité de scène en scène est l’absolue bonne nouvelle d’Emergence. Il y a de fortes chances pour que Tolman rende regardable n’importe quelle merde, de toute façon. Quelque chose de généreux se dégage de son interprétation, qui donne tout de suite de la consistance à un personnage qui passe pourtant par une série de clichés assez peu excitants, et verse même dans la conspiration facile. Dans une intrigue qui ne m’excite absolument pas, je suis capable de faire preuve d’une patience inouïe juste parce que Tolman apporte quelque chose de chaleureux, et crée une intériorité qui renforce son personnage même quand le scénario lui fait cocher les cases d’un cahier des charges peu inspiré. Il est impossible d’exagérer l’importance de Tolman dans l’intérêt que revêt Emergence.
En somme, venez à Emergence pour Allison Tolman, restez devant Emergence pour… Allison Tolman.
Mais fort heureusement (d’autant que je crois très peu qu’il soit sain de regarder une série miteuse juste pour son interprète), il existe une autre raison de persister. La seconde réussite d’Emergence, c’est dans le lien que Jo Evans tisse avec la petite fille qu’elle recueille.
Par la force des choses, parce que les circonstances de son apparition à Southold sont entourées de mystère et d’une certaine dose de danger, la petite se retrouve non pas placée, comme le voudrait la procédure, mais accueillie au sein même de la maison d’Evans. Celle-ci, fraîchement divorcée, vit avec son père Ed et sa fille Mia. Le père de Mia, Alex, est toujours quelque part dans le tableau, et partage la garde de l’adolescente avec Jo Evans. Dans cet équilibre très fragile (qui, on le mesure progressivement, n’en est pas un, entre le divorce récent et les problèmes de santé d’Ed) survient donc la petite fille. Laquelle devient le centre de l’attention et que tout le monde, à un degré variable certes, mais tout le monde commence instinctivement à protéger. En fait elle fait tellement partie de la famille que c’est indirectement Jo qui donne un prénom d’emprunt à la petite : Piper.
Et au fil de ce premier épisode d’Emergence, ça va prendre une importance capitale. Piper a plus ou moins décrété qu’elle était attachée à Jo et personne d’autre ; à côté de ça, Jo reporte toute son attention sur Piper. A ce stade il est difficile de savoir à quel point les scénaristes sont conscients que Jo n’a pas la moitié d’un quart de tiers de centième de relation à l’écran avec sa propre fille Mia, comparativement à ses interactions avec Piper. Et il n’aura échappé à personne que Jo partage une plus grande ressemblance physique avec Piper.
Une grande partie de ce premier épisode d’Emergence (soit pour entretenir la confusion soit pour planter des graines) repose donc sur la création d’une relation fusionnelle, pas totalement expliquée et pas tellement plus identifiée par les principales concernées, entre la femme adulte et la petite fille.
En somme, ce qui fait l’intérêt d’Emergence, un thriller surnaturel ayant clairement regardé The X-Files avec intérêt pour construire son sujet de départ, c’est… tout ce qui ne relève ni du thriller ni du surnaturel ! La qualité d’interprétation (qui renforce la profondeur du personnage principal) et la relation d’identification (dont il reste à déterminer dans quelle mesure elle est volontaire, a minima du côté de Jo) sont au contraire des approches plutôt dramatiques de l’offre initiale d’Emergence. Mais cela pourrait être précisément ce qui sauve Emergence d’un sort tout-à-fait quelconque. Lui donnant au moins temporairement l’énergie de trouver son rythme, et aller plus loin que son pitch peu inspiré…
J’aime toujours lire tes articles sur des pilotes de séries qui me font penser aux séries que je regardais sur le canapé dans le salon sur M6 plus jeune, mais que je n’ai aucune envie de regarder dans mon emploi du temps sériel déjà bien rempli.