Ce mois-ci les Britanniques ont découvert Temple, l’adaptation de la série norvégienne Valkyrien pour la chaîne Sky One. Ici encore, point de meurtre, aucune enquête. A la place, Temple suit le parcours de Daniel, un chirurgien qui a tout plaqué pour poursuivre les recherches médicales de sa compagne, et qui pour pouvoir progresser dans la mission qu’il s’est fixée, va devoir accepter de fréquenter les communautés les plus underground de Londres. Et ce, littéralement : il s’est installé en secret dans une ancienne station de métro aujourd’hui désaffectée, l’arrêt Temple.
Bon alors, la série d’origine, je pars du principe que vous la connaissez, au moins sur le papier. Je ne vais donc pas m’amuser à vous raconter par le menu l’intrigue du premier épisode de Temple, puisque c’est, à peu de détails près, la même que dans Valkyrien.
Ce qui m’intéresse au contraire, c’est de m’interroger sur la version britannique. Dans le fond, je crois que c’est une discussion que j’ai essayé d’avoir un peu pendant tout 2019 dans ces colonnes, en demandant régulièrement « l’adaptation/le remake : pourquoi comment où de quoi hein ? ». Quelle est la plus-value d’une adaptation ? Pourquoi refaire une série (ailleurs et/ou plus tard) quand elle existe déjà ? En quoi est-ce si tentant de refaire, parfois à l’identique, une série qui existe déjà ? Mais qu’est-ce que quoi ?
Dans le cas de Valkyrien/Temple je suis d’autant plus fascinée par le fait que Valkyrien a été diffusée en Grande-Bretagne (sur Channel4 pour être exacte).
Il y a des séries qui ne sont accessibles à un public donné que par le remake. C’est le cas de la plupart des séries US adaptées de fictions non-étasuniennes notamment, où l’adaptation a complètement remplacé le concept d’importation (à quelques exceptions sur des chaînes câblées près, genre Deutschland 83 sur Sundance, certes co-producteur). C’est le cas aussi de l’immense majorité des séries adaptées de BeTipul (je vous avais détaillé tout cela dans cet article), puisque dans la plupart des cas, les chaînes du monde ayant proposé une adaptation l’avaient fait auprès d’un public qui n’avait absolument pas vu la série d’origine (bon il y a des exceptions, comme arte qui a annoncé une version française, En thérapie, alors que la version américaine In Treatment a été diffusée et est sortie en DVD en France depuis des lustres). Pour les spectateurs lambda, par oppositions aux téléphages passionnés, l’accès ou disons le manque d’accès à l’original explique (ou au moins justifie) le travail d’adaptation. Clairement ce n’est pas le cas pour Valkyrien/Temple, et donc : mais qu’est-ce que quoi ?
C’est là qu’on entre sur le terrain de mes explorations de ces derniers mois. Une adaptation a de nombreuses vertus, en réalité, et c’est tout particulièrement le cas d’un remake international où les différences culturelles prennent une importance capitale. Cela peut se manifester dans le format de la série, donc sa forme. Je vous renvoie au tétraptyque de reviews sur la série espagnole Gran Hotel et 3 de ses adaptations (mexicaine, égyptienne, et étasunienne). Cela peut aussi être une question de traitement, donc son fond. On en a parlé à propos d’une autre série scandinave lorsque j’ai reviewé le premier épisode de la série malaisienne The Bridge, qui a tenu un discours important sur les déséquilibres structurels entre deux pays voisins, qu’aucune autre adaptation de Bron/Broen n’avait tenu parce que toutes jusqu’alors avaient été produites par des pays riches.
Or là encore, je suis curieuse. D’une part, ce n’est pas comme si les séries britanniques et les séries norvégiennes étaient bâties sur des formats radicalement différents, leurs industries fonctionnant au contraire de façon plutôt similaire. D’ailleurs, la première saison de Temple, comme l’unique saison de Valkyrien, dure exactement 8 épisodes. Et d’autre part, peut-on dire que Temple a quelque chose de culturellement unique à dire par rapport à Valkyrien ? La Grande-Bretagne et la Scandinavie ont au contraire une certaine proximité culturelle (entre autres, mais pas uniquement, entretenue par le fait que les fictions et émissions anglaises aient couramment été diffusées sur les télévisions scandinaves pendant des décennies, souvent au même titre et dans des volumes similaires aux programmes américains). Alors, quitte à me répéter : qu’est-ce que quoi ?
Pourquoi faire ce remake ? Et implicitement : pourquoi devriez-vous envisager de regarder ce même remake ?
On est bien entendu tentés de mettre ça sur le compte d’une certaine flemmardise et/ou facilité économique, et c’est souvent le cas dans la communauté téléphagique, qui reçoit très mal les annonces d’adaptation (…pourvu de connaître l’original). Insérer ici un paragraphe mentionnant, parce qu’on y est légalement obligés de nos jours, l’ère Peak TV et son volume astronomique de productions. Bon. Certes. Mais la réalité n’est-elle jamais plus complexe ? Si fait.
Toutefois, la réponse ne s’obtient jamais autrement qu’en ayant vu l’original ET l’adaptation. C’est donc compliqué dans beaucoup de cas, rapport à ce que je disais plus tôt sur la question de l’accès.
Justement, il existe une troisième explication à l’existence des remakes… qui est tout simplement une raison artistique.
Quiconque ayant apprécié une forme artistique à un moment donné pourra en attester. Voir une oeuvre d’art c’est parfois avoir une puissante envie de rétrospectivement l’avoir créée, ou à défaut, d’être capable de créer quelque chose qui lui soit similaire. C’est humain. Il y a une raison pour laquelle les expressions artistiques les plus sincères autour de créations pré-existantes incluent le fanart, la fanfiction ou encore le cosplay : il s’agit émuler ce qu’on aime tout en créant soi-même. Parce que la démarche artistique n’est pas que la capacité à émettre une l’idée de départ, mais aussi tout le travail de création qui se fait autour. L’appropriation propre à un remake international, c’est justement ce travail.
Mark Strong, qui incarne le rôle principal de la série mais est aussi (et pour la première fois de sa carrière) l’instigateur du projet et le producteur exécutif de Temple, opère (ha ha) exactement dans cet espace. Il confesse avoir vu la série Valkyrien et immédiatement voulu s’impliquer créativement dans ce qu’il venait de voir. Et comment s’impliquer dans une série produite à l’étranger et qui n’a qu’une saison ? Eh bien en refaisant cette saison. Est-ce que ça veut dire qu’aucune autre considération n’est entrée en ligne de compte ? Non, évidemment. Et quand on regarde le premier épisode de Temple, on voit exactement ça : un nombre incalculable de similarités, mais aussi des choix qui montrent que quelque chose a indubitablement été créé.
Or l’interprétation, faut-il le rappeler, c’est aussi de la création ! Ça fait des années (surtout avec la résurgence de l’anthologie à la télévision américaine) que je rêve qu’une série se propose de mettre cela en lumière, d’ailleurs ; imaginez qu’une série propose chaque semaine la même intrigue, avec les mêmes personnages, mais avec un cast totalement différent ? Chacun étant libre d’incarner son personnage à sa façon, avec sa propre compréhension de sa personnalité ou des enjeux. Ce serait un magnifique exercice mettant en valeur un travail d’acteur qu’autrement on ne soupçonne pas, faute de comparaison. On ne doute pas une seule seconde de ce travail quand on est en mesure de pratiquer cette comparaison, quand on voit comment le même personnage (Leif de Valkyrien, et Lee de Temple) est radicalement changé par un simple changement d’acteur. Il n’y a bien que l’exercice du remake, surtout quand celui-ci est fidèle, qui permette d’observer d’aussi près le travail ainsi accompli.
Voilà donc qu’est-ce que quoi : la télévision est à la fois une industrie et un art. Chaque fois que nous avons la chance de pouvoir assister à des réinterprétations, il nous est donné de saisir les multiples nuances qui sont au cœur de l’art que nous aimons tant.
Oh je n’avais jamais pensé à une série avec la même histoire présentée par différents acteurs et actrices. Bon qui c’est qui se lance avec une mini-série en 6 épisodes ?