Diffusée il y a deux ans dans son pays original, l’Australie, High Life a été acquise par la BBC récemment, ce qui m’a permis de mettre main basse sur les épisodes. De son pitch de départ, on pouvait attendre tout et son contraire, mais le premier épisode établit très clairement quels choix ont été faits quant au traitement.
High Life (à ne pas méprendre pour la comédie quasi-éponyme avec Alan Cumming) s’intéresse à Genevieve, une adolescente dont la vie est relativement ordinaire : elle va dans une école plutôt huppée, suit des cours de musique où elle excelle, doit supporter une petite sœur avec laquelle elle s’entend peu, a développé un faible pour l’un de ses professeurs, et ainsi de suite. Mais si son existence est plutôt banale, sa personnalité, elle, l’est moins. Ou du moins, ce que tous interprètent comme sa personnalité, avant qu’il ne s’avère qu’elle est bipolaire.
Le fait que le premier épisode commence au cœur de ce qui est une phase maniaque ne nous permet pas, en tant que spectateurs, de déceler très exactement ce qui se passe : High Life ne nous dit pas comment Genevieve se comporte d’ordinaire. Par contre elle commence, par petite touche, à nous envoyer des signaux pour nous dire « attention, ce que vous voyez là n’est pas tout-à-fait normal, et ça devrait attirer votre attention ».
Alors oui, « Gen » a tendance à être un peu exaltée, mais est-ce tellement surprenant ? Beaucoup d’ados sont à fond dans leur monde, c’est même le propre de cette tranche d’âge que de faire chaque expérience du monde comme si elle était unique et vitale. Quand Genevieve est narratrice de sa propre vie dans sa tête (…à la troisième personne), cela devrait-il nous alarmer ? Quand elle refuse avec dégoût toute évocation de la sexualité, faudrait-il y voir un signal ? On ne sait pas trop à quel moment la bizarrerie est supposée être la preuve d’un problème de santé mentale.
Une bonne partie de l’épisode va donc nous tenir un peu dans cette position inconfortable de déceler la singularité de l’héroïne, sans pour autant être capable de dire si son comportement est d’une quelconque gravité. Pas étonnant que son entourage proche, en famille comme au lycée, ne soupçonne pas quelque chose de précis non plus.
Cependant, plus l’épisode inaugural de High Life avance, plus il faut se rendre à l’évidence : quelque chose ne va pas. Et quand Genevieve, après avoir passé la majeure partie de l’épisode à être révulsée par la moindre évocation de rapports hétérosexuels, commence à faire des avances à son prof, il devient évident, enfin, qu’elle a lâché la rampe. C’est presque, ironiquement, un soulagement que de la voir faire quelque chose qui semble « out of character » de façon aussi marquée.
Hélas pour notre héroïne, sa phase maniaque n’est qu’à son commencement, et dans les heures qui suivent, plusieurs de ses actions vont être hors de contrôle. Au vernissage de la galerie de sa mère, Gen finit par haranguer les invités, jeter son verre de champagne à terre, et sortir spectaculairement… s’évanouissant dans la nature.
Evidemment High Life ne finit pas à ce moment-là. Mais le côté gentillement innocent du début de l’épisode, lui, est bel et bien derrière nous… Nous avons l’héroïne se raconter son autofiction (ce qui est marrant), se prendre d’affection pour un camarade de classe dont elle ne perçoit même pas qu’il a un faible pour elle (ce qui est gentillet), ou lancer dans une audition au piano pendant laquelle elle s’est imaginée en bête de scène (ce qui est attendrissant). Tout ça, c’est fini : désormais le fait qu’elle soit complètement dans son monde signifie qu’elle peut se mettre en danger dans le nôtre. Elle ne le perçoit pas, mais nous, si. Et quand une adolescente de 16 ans monte dans la voiture d’un homme beaucoup plus âgé en plein milieu de la nuit, ravie de faire une balade mais incapable de comprendre que ce qu’elle fait peut être perçu comme du flirt, vous comprenez aisément qu’on ne se sente plus du tout sourire.
N’étant pas moi-même bipolaire, j’ignore si High Life est réaliste dans la façon dont elle dépeint une phase maniaque. Mais il est certain que le scénario fait vraiment son possible pour faire de Genevieve un personnage que l’on accepte tel qu’il est (quand bien même il est aussi extrêmement imprévisible), que la réalisation s’attache à montrer comment Gen fait l’expérience du monde autour d’elle (de façon intense et, au moins pour le moment, terriblement enthousiaste) au lieu de la présenter avec un regard extérieur, et qu’Odessa Young, l’actrice qui incarne cette adolescente, produit de nombreux efforts pour éviter la caricature. Ca marche formidablement bien, et le glissement de ton au cours du premier épisode me laisse penser que le reste de la série va également être en dents de scie (ce que les titres d’épisodes semblent confirmer).
Si toutes les séries traitaient les troubles mentaux avec autant de soin, ce serait déjà un bon début.
Pas forcément mon type de série, mais c’est toujours intéressant de voir les bons essais qui sont faits un peu partout !