Eh oui, notre voyage au fil des adaptations internationales de Gran Hotel touche déjà à sa fin. A ce stade on a discuté :
– de la série originale espagnole ;
– de la telenovela mexicaine ;
– et du mosalsal égyptien ;
– nous voilà désormais à discuter du dernier remake en date : Grand Hotel, qui a démarré aux USA sur ABC voilà quelques jours.
Mais dans notre étude de cas des diverses façons dont une même série peut être adaptée pour des publics totalement différents, cette liste n’a rien d’une énumération banale. Aucune de ces fictions ne ressemble à une des autres, alors qu’elles émanent toutes ostensiblement de la même série de départ.
Sans vouloir vous spoiler, ça va être également vrai pour cette quatrième et dernière série.
L’intrigue de Grand Hotel démarre en 1950, et s’intéresse une jeune femme riche dénommée Alicia Mendoza, qui débarque dans un grand hôtel de Miami. Alicia revient après de longs mois d’absence, alors qu’elle est en école de commerce à Cornell ; elle se présente pour le mariage de l’une de ses demi-sœurs, à la requête de son père, veuf et propriétaire du Riviera Grand Hotel. Elle apprend alors que l’hôtel est sur le point d’être vendu à un conglomérat chinois, et que ce mariage ne fait que sceller cet accord ; or elle a toujours ambitionné, comme sa défunte mère avant elle, de diriger l’hôtel familial un jour. En parallèle, un jeune serveur du nom de Danny se fait engager au sein de l’hôtel. Est-ce une coïncidence ? Un mois plus tôt, pendant un terrible ouragan, l’une des cuisinières de l’hôtel a disparu mystérieusement…
Vous pensiez connaître l’histoire. Mais Grand Hotel a décidé de la raconter bien différemment !
Pour qui aura suivi notre série de reviews du jour, la filiation entre Gran Hotel et Grand Hotel apparaîtra clairement. Pour les autres ? Ce sera beaucoup moins évident !
De toutes les adaptations, la série étasunienne est ostensiblement celle qui a introduit le plus de changements au concept de départ. Il y a le fait, évidemment, que Grand Hotel est n’est pas une série historique ; c’est-à-dire que ce qui avait motivé l’existence de la série espagnole d’origine a entièrement disparu ! On peut aussi mentionner la volonté évidente de la série de mettre en scène des personnages latinos (une tendance récurrente chez quasiment toutes les séries américaines inspirées de fictions hispanophones, d’Ugly Betty à Jane the Virgin en passant par Devious Maids), tout en essayant de préserver une certaine idée de la « diversité » avec des protagonistes afro-américains, asiatiques, blancs… Quelque chose qui est également unique à Grand Hotel.
Mais le plus frappant, vous l’aurez compris à mon résumé, est que l’intrigue de cet épisode introductif se focalise en priorité sur Alicia et ce qu’elle découvre progressivement des difficultés de l’hôtel qu’elle aime tant. C’est à travers son regard (bien que le ton de la série soit omniscient) que l’on apprend à découvrir un certain nombre de choses, en particulier sur les dynamiques entre les différents membres de la famille Mendoza, qui pour l’instant au moins, possèdent l’hôtel. Cette famille n’a d’ailleurs rien à voir du tout avec celle de la série originale espagnole : au lieu du père, c’est la mère qui est ici décédée ; la famille Mendoza est recomposée, et compte d’ailleurs trois personnages totalement originaux (la belle-mère Gigi, qui était aussi l’amie d’enfance de la mère d’Alicia, et les demi-sœurs jumelles Javotte et Anastasie Carolina et Yola). En revanche, la fratrie Mendoza ne compte que deux enfants et non plus trois ; dans les versions précédentes, l’équivalent d’Alicia avait en effet une sœur aînée en plus de son frère.
Tout cela apparaît toutefois comme secondaire quand on voit à quel point Grand Hotel a une particularité essentielle, quasiment inimaginable lorsqu’on connaît la série sur laquelle elle se base : la disparition de Sky Garibaldi, l’une des nombreuses employées de l’hôtel, est à peine évoquée. Cette disparition fait l’objet d’à peine trois mentions dans le premier épisode (dont, il est vrai, toute une première scène en ouverture du pilote), et la personne qui mène une enquête officieuse sur cette disparition, à savoir Danny, va en fait passer la plus grande partie de l’épisode à n’avoir pas l’air de mener une quelconque investigation. La révélation ne nous est faite sur les raisons de sa présence qu’à la toute fin de ce pilote : elle sert surtout de cliffhanger. Mais ce n’est pas un argument-clé de la série, qui préfère mettre en avant des intrigues soapesques.
Qu’est-ce à dire ? Eh bien de toutes les adaptations de Gran Hotel, la version américaine est la plus éloignée, assurément. Et pourtant, après tout ce que nous avons discuté aujourd’hui, oserait-on clamer que la série n’a plus rien à voir avec celle dont elle est le remake ? Je vais vous épargner du temps et vous donner la réponse : pas vraiment. Ou en tous cas ni plus ni moins que les remakes venus avant elle ! Grand Hotel, comme ses consœurs, est une adaptation qui a pioché les ingrédients qui l’intéressaient et laissé les autres de côté. Ses choix sont plus visibles que d’autres, mais pas tellement différents en termes de méthode, fondamentalement.
La question des différences de classe ? Secondaire. La romance entre Alicia et Danny ? Présente mais pas centrale. La disparition mystérieuse d’une employée de l’hôtel ? Réduite à une forme de prétexte. La famille dirigeant l’établissement ? Totalement revue et corrigée dans sa structure, son histoire et ses membres. Malgré tout, chacun des ingrédients présentés dans cet épisode était présent dans la série espagnole d’origine, y compris la dévotion d’Alicia envers l’hôtel dont elle pensait hériter, la duplicité du manager Mateo, ou les questions de sauvegarde du Riviera Grand Hotel.
On peut se demander à quoi ces choix sont dus, et la réponse tient, en réalité, à la même que pour les autres séries qu’on a pu traiter aujourd’hui, si on y réfléchit bien : le format, le contexte de production, les tendances du moment, les besoins du diffuseur, le public visé… ABC n’en est pas vraiment à son coup d’essai en matière de primetime dramas mélangeant secrets et soap ! On ne peut pas vraiment jouer la surprise.
…Alors, voilà notre conclusion, amis téléphages : lorsqu’on étudie les remakes à la loupe, mesurer leur fidélité est un exercice souvent plus complexe qu’il n’y parait. Peut-être même futile, d’ailleurs. Dans le fond, c’est le travail d’une adaptation de faire des choix. Si certains peuvent apparaitre comme radicaux, la plupart sont justifiés d’une façon ou une autre, et surtout, aucun ne préjuge de la réussite de la série ainsi créée.
Cette comparaison entre une série et ses différentes adaptations internationales est aussi, voire surtout, l’occasion de rappeler que la raison d’être d’un remake local, c’est de faire les bons choix pour atteindre les objectifs du diffuseur ayant fait l’acquisition d’une nouvelle version. Pas de coller au concept d’origine.
En revanche, la question qui peut se poser, et qui est peut-être même plus intéressante, c’est de savoir si, après toutes les mutations connues par Gran Hotel au fil de ses voyages internationaux, les adaptations plairaient au public qui a aimé la série originale espagnole. Si vous avez aimé Gran Hotel depuis le premier jour de sa diffusion en Espagne, les différences introduites par les adaptations étrangères vous sauteront probablement bien plus aux yeux, et l’absence de fidélité à la série de départ sera, effectivement, un enjeu d’importance. La première série qu’on découvre est souvent celle qu’on préfère, quand on parle d’adaptations.
La vérité ? Eh bien, en réalité, sur cela, on n’a pas vraiment de données à l’heure actuelle : en effet les remakes ne reviennent généralement pas pour une diffusion dans le pays de la série d’origine. C’est même une donnée essentielle du fonctionnement des adaptations : le public-cible d’une série et le public-cible de ses remakes ne sont pour la plupart jamais amenés à se croiser. La plupart… exception faite des séries étasuniennes. Les USA, avant d’être le premier pays producteur de séries, c’est surtout le premier pays en termes d’export de fiction (et ça explique par exemple pourquoi la série américaine The Good Doctor est la plus vue au monde, alors qu’elle est un remake d’un drama coréen !). Les spectateurs espagnols n’ont pas eu accès à la version égyptienne comme ils auront accès à la version nord-américaine.
Mais quand bien même… depuis 2011, les choses ont bien changé. L’appétit des Espagnols pour les period dramas s’est largement amenuisé, par exemple, et du coup peut-être que cette nouvelle formule leur plaira.
Si vous avez aimé cette série de reviews, et que le sujet complexe des adaptations vous intéresse, vous pouvez prolonger votre lecture en lisant cet article (certes qui commence un peu à dater) sur les divers enjeux du remake. On aime bien se plaindre des remakes ; beaucoup ont pourtant leurs vertus, si tant est que l’on aille au-delà de notre répulsion pour le principe-même.
Après, je vous rassure : vous n’êtes jamais obligé d’aimer un remake. Je n’ai pas aimé de la même façon toutes les séries dont on a parlé aujourd’hui ! Par contre, personnellement, je suis contente d’être téléphage à une époque où je peux les comparer ; il n’y a pas si longtemps, cette suite de reviews aurait été totalement impossible… C’est-à-dire qu’on est lentement en train d’évoluer vers une situation où les adaptations locales sont nécessaires pour les diffuseurs, mais absolument plus pour les spectateurs. Les séries ne sont plus autant compartimentées selon le pays d’où on les regarde !
Et bon sang, pardon, mais je trouve que c’est la plus formidable leçon du jour !
Super idée cette série d’article, très intéressant de voir comment une série peut être adaptée et modifiée selon les publics visés. Et j’ai encore appris pas mal de choses, comme souvent en lisant tes articles (j’ignorais par exemple que des séries étaient créées spécialement pour le Ramadan).
Je me posais une question : y a-t-il eu d’autres adaptations de Gran Hotel dans le monde et as-tu retenu seulement les plus significatives ? Ou n’y a-t-il eu que ces trois-là ?
A ma connaissance il n’y en a qu’une quatrième (sur laquelle je n’ai pas pu mettre la main), produite en Italie en 2015. Elle porte également le titre de Grand Hotel, et elle a la particularité d’être une mini-série de seulement 6 épisodes, ce qui aurait aussi été intéressant à analyser, mais étant donné la précision avec laquelle je pouvais comparer les autres, j’ai préféré l’écarter de notre voyage, faute de sous-titres anglais ou français disponibles. C’est vrai que j’aurais sans doute du le préciser.