On a l’embarras du choix en matière de séries (a fortiori américaines) parlant de mort et même de deuil. Aussi je ne suis pas certaine que ma frustration vis-à-vis de Dead to Me soit totalement justifiée : il suffirait d’aller voir ailleurs, littéralement.
Pourtant rien à faire : impossible de me défaire de cette déception. Au terme du visionnage de la première saison de la série, je suis à la fois fatiguée et furieuse d’être tombée une fois de plus sur une série qui refuse de parler de… de, eh bien, mais c’est ça qui est rageant : de son sujet.
Attention, cette review peut, et va contenir des spoilers.
Dead to Me, c’est la rencontre de deux femmes qui se croisent à un groupe de parole autour du deuil : l’une a perdu son mari récemment dans un accident de voiture, l’autre (après avoir au début fait croire qu’elle était également veuve) se remet d’une série de fausses couches, des expériences traumatiques qui ont d’ailleurs conduit à une séparation d’avec son fiancé.
Jen et Judy sont deux femmes radicalement différentes, aux parcours totalement opposés, mais qui se lient donc autour de leur sentiment de perte, bien qu’elles ne le gèrent pas du tout de la même façon.
…Et si Dead to Me se limitait à ce principe, j’aurais été ravie et la review que vous êtes en train de lire aurait pris un tour bien différent. Mais non. A la place, voici ce qui se passe : Judy était au volant de la voiture qui a percuté le mari de Jen, mais bien-sûr cette vérité est sue par les spectateurs avant d’être découverte par la veuve ou la police. Une grande partie de la saison va donc consister en une série de ricochets autour de la découverte potentielle, de plus en plus imminente évidemment, de ce fait tragique. L’amitié qui se tisse entre les deux femmes, qui est si intime et rapidement fusionnelle, est nécessairement menacée par cette vérité inexorable. Les lois de la dramaturgie (et du divertissement) sont telles que cela est voué à se savoir à un moment. Cette belle amitié a une date de péremption.
C’est précisément mon problème. Je ne voulais pas regarder un énième thriller dans lequel j’allais me demander si c’était là, maintenant, le moment où tout allait basculer. Je ne venais pas à une série sur le deuil dans l’idée que j’allais assister à une série de mensonges aussi grossiers ; j’étais là pour les mensonges qu’on se raconte à soi-même quand on essaye de se remettre d’un épisode passablement bouleversant de la vie, les vérités qu’il faut affronter sur ceux qui sont partis, ce qui sont restés, et ce qui a toujours été quand bien même on a l’impression que tout a été changé à jamais. J’attendais de Dead to Me une exploration de la façon dont allaient remonter à la surface des choses sur la nature-même de ses deux héroïnes (la co-dépendance naïve de l’une, la rage incontrôlable et terrifiante de l’autre) à cause des évènements et de leur obligation à les gérer émotionnellement.
Bien-sûr, Dead to Me fait ça. Un peu. Mais la série se refuse à le faire pleinement, à embrasser son sujet inconfortable, et s’octroie à la place des retournements de situation, des fausses pistes, des écarts de trajectoire qui lui permettent d’éviter de vraiment vider l’abcès. C’est divertissant, c’est sûr, mais pour la catharsis on repassera.
Voilà ce qui me frustre. Que, comme tant de séries de ces dernières années, on s’assure qu’on pourra à tout moment virer de bord et ne pas avoir à aller au bout de la route, parce qu’on s’est assuré un petit thriller sans conséquence à côté, ou un mystère à résoudre, ou un trafic illégal quelconque. Ca sert de prétexte à certaines intrigues, donc narrativement ça fonctionne sur le moment, mais surtout ça permet l’évitement.
Croyez-moi, l’évitement ça me connaît, vous pouvez demander à ma psychiatre ; mais est-ce que je regarde une série, sur quelque sujet que ce soit, pour que la série n’en parle que du bout des doigts ? Ou est-ce que je regarde une série pour qu’elle me fasse ressentir et réfléchir à des choses pas forcément faciles, sous le couvert de la fiction (et avec la protection induite par le fait que ça arrive à d’autres personnages), pendant quelques heures, pour en ressortir un peu purifiée ?
Et puisque j’en suis à poser des questions désagréables, est-ce que j’ai envie de voir des femmes riches, dans des maisons de 712 chambres avec vue sur le Pacifique et/ou piscine, se débattre dans ces intrigues factices ? Parfois j’aimerais bien voir toutes ces séries sur des personnages féminins complexes porter sur des femmes qui n’ont pas autant, ou même rien. Comment on gère le deuil quand on est à découvert le 5 du mois et qu’en plus du reste, il y a les difficultés financières à gérer ? Comment on s’aère la tête quand on ne peut pas se payer une retraite de quelques jours dans un complexe hôtelier hors de prix ? Comment on fait quand son couple s’effondre et qu’on n’a pas de meilleure amie avec une guest house pour nous accueillir ? Peut-être que ces problèmes aussi permettent une forme d’évitement, d’ailleurs ; j’aimerais bien qu’on m’en parle, pour voir.
La vérité (puisque Dead to Me veut jongler plus avec le concept de vérité que de deuil), c’est que je suis allée au bout de cette saison, je l’ai regardée en entier, j’ai aimé son amitié féminine, j’ai apprécié ces quelques tentatives de discours autour du deuil… bref, tout n’était pas à y jeter. Mais des séries comme Dead to Me, et elles sont de plus en plus nombreuses, me donnent l’impression de rester en surface des choses ; comme si pour m’attirer, elles me promettaient de parler de quelque chose, mais qu’une fois que je suis devant, et que je vois d’autres qualités, elles en profitaient pour changer de sujet par peur de me pousser trop loin. D’ailleurs il y a peut-être des gens qui préfèrent ça, qu’on ne les pousse pas trop (ils ont l’embarras du choix, vraiment).
Simplement quand on a un cast aussi solide, une production si soignée, et toutes les cartes en main pour faire une fiction passionnante et émouvante… sortir un simple thriller logé dans des villas californiennes, c’est trop peu. Certes, comme je le disais, des séries sur la mort et le deuil, ce n’est pas ça qui manque, surtout en ce moment ; mais alors du coup, quelle est la justification pour l’existence de toutes les autres, celles qui refusent de se mouiller ?
Alors d’accord, je suis frustrée. Sauf que certains jours je n’ai pas l’impression d’être frustrée par une série donnée, mais plutôt par l’impression que cette ère de « Peak TV » et de sorties hebdomadaires en streaming et de projets pléthoriques, ce qu’on a gagné en quantité… on ne l’a pas forcément gagné en profondeur. Si je promets à Netflix de regarder plus de ses séries, quelqu’un peut me garantir qu’il y en aura au moins une pour aller au fond des choses ?