Can we have a civilization ?

14 juin 2019 à 21:28

C’est intéressant d’observer à quelque point des industrie télévisuelle voisine peuvent en réalité avoir des préférences très différentes.
Alors qu’en Chine, mêler séries en costume et histoires fantastiques fait plutôt partie du quotidien (au point que tout un sous-genre, le wuxia, y a trouvé naissance), en revanche pour ce qui est de la télévision sud-coréenne, les exemples ne sont pas très nombreux. En Corée du Sud, quand on fait de la fiction historique, eh bien, elle l’est, justement, historique : on ne s’amuse pas à y ajouter de l’imaginaire, de la magie, ou Dieu sait quoi d’autre. On s’intéresse au réel, fût-il enjolivé ou en tous cas exploré de façon romanesque, et ça va, merci, on a tout ce qui nous faut.

Alors quand a débuté, au début du mois, la série Arthdal Yeondaegi (plus connue internationalement, et notamment sur Netflix qui la propose, sous titre anglicisé Arthdal Chronicles), il y avait de quoi être curieux.
Contrairement aux séries sud-coréennes en costumes que vous avez pu voir jusqu’ici, qui dans leur grand majorité s’intéressent à la période Joseon (ou éventuellement aux années la précédant, de façon à démontrer comment l’ère Joseon a vu le jour), Arthdal Yeondaegi s’intéresse à l’antiquité. Mais pas n’importe quelle antiquité : celle qui stimule l’imaginaire.
Celle où l’on parle de pays lointains, de langues oubliées, de coutumes disparues, de tribus éteintes, et de croyances évanouies. Arthdal Yeondaegi est la série d’heroic fantasy que vous n’avez jamais vue à la télévision coréenne, et pour cause.

Lorsque commence Arthdal Yeondaegi, deux tribus radicalement différentes vivent plus ou moins côté à côte : leurs territoires se juxtaposent, mais c’est bien tout ce que les deux peuples ont en commun. Il y a d’une part les Neanthals, qui parlent une langue primitive, ont le sang littéralement bleu, et sont de fiers guerriers ; et d’autre part les Saenyeok, des humains au sang rouge qui commencent à développer l’agriculture, et ne sont qu’une des nombreuses tribus Arthdal.
A l’initiative des seconds, une rencontre est organisée : les Saenyeok espèrent proposer aux Neanthals de travailler ensemble, leur alliance leur permettant d’atteindre l’abondance en cultivant la terre sans jamais être menacé par quiconque. Bref, les deux peuples pourraient construire ensemble une nation puissante. Cette proposition est rejetée par les Neanthals qui, tous puissants guerriers soient-ils, sont parfaitement contents de ce que la nature leur fournit, et ne nourrissent aucune forme d’envie pour ce que les Saenyeok considèrent être l’opulence ou le pouvoir. Il n’y aura pas d’alliance.

Or, en ces temps primitifs et troublés, pas d’alliance, ça signifie la guerre. D’autant que les terres des Neanthals sont fertiles et sauveraient les Saenyeok de la famine. Si vous n’êtes pas avec nous, alors vous êtes contre nous : les Saenyeok devisent avec les autres tribus Arthdal, et décident d’attaquer les Neanthals le jour d’une de leur célébrations rituelles. Sous le commandement de Tagon, le fils du chef Saenyeok, ils s’assurent en outre de la fragilité de leurs cibles en leur offrant des couvertures portant une terrible maladie touchant les Neanthals comme leurs chevaux, un avantage stratégique non-négligeable.
Le bain de sang qui s’en suit est évidemment tragique. Tragique, mais insuffisant : désormais les tribus Arthdal vont mener un génocide pendant 10 ans, jusqu’à s’assurer qu’aucun Neanthal ne survit.

Tous convergent sans le savoir vers une ancienne cité appelée Iark, lieu mythique inaccessible pour les hommes et où apparemment même les Dieux ne peuvent aller.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Arthdal Yeondaegi n’est pas franchement le genre de série coréenne qu’on voit tous les quatre matins. Née sur le chaîne câblée tvN, elle n’a en outre pas vocation à être une gigantesque fresque puisque seulement 18 épisodes sont au programme, divisés en 3 arcs de 6 épisodes chacun.
L’initiative est apparemment onéreuse (je crois avoir vu passer le chiffre de 50 milliards de won ?! c’est la bagatelle de 37 millions d’euros) et tvN a mis les petits plats dans les grands pour la promotion, précédant même le lancement d’un « episode 0 » essayant de présenter la série, et s’assurant en outre d’une distribution mondiale en parallèle de la diffusion nationale, grâce à Netflix.

Et pourtant même avec tout ça (le peu de comparaisons à la télévision sud-coréenne, le pognon investi, la promotion d’envergure, etc.), je ne suis pas super convaincue.
Arthdal Yeondaegi a un gros défaut, celui d’une narration brouillonne, tentant de mettre en place de l’action, des dynamiques, des enjeux, alors que l’exposition n’a pas été posée de façon suffisante. Or s’il y a bien un genre où un peu d’exposition est bienvenu, c’est la fantasy, surtout si on se met à inventer des peuples, des territoires, et des croyances sortis de nulle part. Game of Thrones n’a pas commencé à décapiter des personnages principaux dés le premier épisode (au contraire, sa première saison était construite comme une longue exposition), et Game of Thrones avait au moins l’avantage d’avoir des bouquins sur lesquels s’appuyer si jamais on était perdus… Là, Arthdal Yeondaegi est un projet original qui ne s’appuie sur aucune propriété intellectuelle accessible aux spectateurs largués.
Je suis d’ailleurs bien peinée de mettre Game of Thrones sur le tapis (vous savez combien les comparaisons simplistes m’agacent), mais force est de reconnaître qu’Arthdal Yeondaegi voudrait vraiment avoir le grandiose de la série inspirée des travaux de George R. R. Martin, quand bien même elle n’opère pas sur les même thématiques.
On en est bien loin, et pas que des thématiques.

A essayer de tout faire à la fois, Arthdal Yeondaegi finit par déboussoler tout le monde. Vous savez combien il y a de tribus dans ce scénario, chacune avec ses caractéristiques et ses ambitions propres ? Vous savez combien de personnages défilent sur une période de 10 ans (certains apparaissant à 10 ans d’écart et donc incarnés par deux acteurs différents) ? Vous savez combien on nomme de Dieux, de légendes et de croyances rien que pendant ce premier épisode ? Il y a même non pas un, mais deux bébés étranges (on les appelle Igutu) sauvés du massacre des Neanthals. C’est le foutoir, osons le dire.
Il y a pourtant des choses intéressantes dans cet épisode introductif d’Arthdal Yeondaegi, aussi bien sur un plan narratif qu’esthétique (la façon dont les terres Neanthal sont incendiées, c’était… à la fois fourbe et poétique, et ça méritait au moins un épisode à part entière, ne serait-ce que pour développer en parallèle l’esprit retors de Tagon). Mais rien à faire, tout se bouscule, et il y a peu de chances que le rythme se calme dans les épisodes suivants.

En somme, ce qui aurait pu être une série de fantasy parfaitement décente, surtout vu son budget, devient très décevante parce qu’on n’a pas le temps d’y développer une quelconque substance. Il ne suffit pas pour être épique d’avoir du maquillage tribal sur chaque figurant, des costumes partout, et des mots inventés histoire de faire spirituel. En d’autres termes : ce n’est pas facile de créer de toute pièce une série inoubliable dans un genre où personne n’a d’expérience.
Une leçon apprise à la dure par Arthdal Yeondaegi, mais qu’elle se rassure, dans les mois et années à venir, elle ne sera sans doute pas la seule à en faire l’apprentissage.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila ♥ dit :

    J’ai loupé des tas de choses, mais cet article-là, j’ai sauté dessus, même à New York. J’attendais ce drama avec énormément d’impatience, car les scénaristes ont signé deux de mes dramas historiques favoris… Ton avis est peu enthousiaste et ça m’attriste :'( Je ne m’inquiète pas trop du nombre de personnages et tribus à retenir (je pense que j’ai pris le pli à ce niveau-là, haha… la différence étant que les dramas que j’ai vus de ces scénaristes faisaient plus de 50 épisodes, certes) mais pour le reste… enfin, dans un sens, tant mieux: j’ai toujours hâte de le regarder (quand il sera terminé) mais ça tempère un peu mes attentes, et c’est pas plus mal 🙂
    Merci pour cet article ! Je m’en vais rattraper les autres que j’ai manqués 🙂

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