Vous souvenez-vous de la toute première série que vous ayez jamais vue ? Attention : pas la première que vous ayez aimée, mais la toute première à être passée sous vos yeux. Non, bien sûr. Affirmer le contraire est un odieux mensonge : vous ne vous rappelez absolument pas de la série que vos parents mettaient pendant qu’ils vous donnaient vos premières tétées, de la série devant laquelle vous avez pour la première fois tenu assis sans tomber, de la série qui tournait pendant que pour la première fois vous avez remarqué que ces images qui bougeaient formaient une sorte d’histoire.
Vous ne vous en souvenez probablement pas mais, si vous avez un peu de chance, votre entourage vous l’a raconté, construisant au fil des ans votre légende. Une légende téléphagique s’entend. Tout comme vous, je ne me souviens pas de ma première série, ni de la seconde, ni même de la troisième. Peut-être vaguement de la sept-cent douzième. Toutefois il est des titres qui m’ont été rapportés, ce qui m’offre à présent le luxe ultime de découvrir pour la première fois des séries dont j’ai le sentiment qu’elles m’ont accompagnées toute ma vie. La téléphagie est belle comme ça.
Je ne parle pas souvent de tokusatsu, et pourtant selon toute vraisemblance, Uchuu Keiji Gavan (alias X-Or sous nos latitudes) est ma toute première série japonaise. Comme son nom l’indique, en Japonais du moins, la série porte sur un shérif de l’espace nommé Gavan…
…eeet je vois à votre tête qu’il va falloir qu’on parle deux minutes de tokusatsu avant d’avancer dans cette review. On est donc partis pour un peu de Tivistory.
En 1954 naissait Godzilla, une créature géante débarquée des profondeurs de l’océan pour envahir les écrans de cinéma japonais dans un film éponyme. Le long métrage est une histoire de créativité contrariée depuis le départ, et en particulier, ses visuels sont source d’une grande frustration puisque le costume du monstre dinosauresque est en réalité un pis-aller (le directeur des effets spéciaux, Eiji Tsuburaya, voulait à l’origine utiliser des techniques d’animation mais cela aurait reporté la production du film de plusieurs années). Même son succès est très modéré à sa sortie. Cependant, la sortie internationale du film permet de financer un second opus sorti deux ans plus tard, et donne une occasion à la critique japonaise de réexaminer le film ; Godzilla obtient ainsi de la reconnaissance, un statut « culte », et de nombreux spin-offs cinématographiques.
Comme un peu toujours dans ces cas-là, le but devient de surfer sur un objet culturel populaire sans avoir à en payer les droits, chaque société de production espérant sortir sa propre marque à succès. C’est effectivement ce qui se passe dans le cas de Godzilla, qui obtient de nombreux spin-offs et une compétition au moins aussi nombreuse. On parle de l’ère du tokusatsu kaiju pour qualifier cette période de monstres géants (les fans de Pacific Rim sont en train d’avoir une révélation profonde en ce moment précis). Des dinosaures géants, des tortues géantes, des papillons de nuit géants, des extraterrestres géants, même… il y en a pour tous les goûts. De nombreuses copies de Godzilla font leur apparition sur le grand puis le petit écran dans les années qui suivent, avec des variations plus ou moins subtiles.
Du moment qu’il y a des effets spéciaux (ou « tokushu satsuei » en Japonais), roule ma poule. Les idées les plus folles sont permises, pourvu de se distinguer des autres… sans trop se distinguer.
C’est comme ça qu’à la fin des années 50, au lieu de mettre en scène des monstres, on commence à préférer des personnages dans des uniformes en tous genres. Ce type de tokusatsu, dit henshin (pour « transformation »), met un point d’honneur à mettre en scène des héros masqués, possédant donc une identité civile, et une autre, plus secrète, de superhéros. La télévision s’empare de l’idée.
Le premier du genre, c’est Gekkou Kamen qui apparaît en 1958, alors que la télévision nippone est encore en noir et blanc. Ce justicier que vous pouvez voir ci-contre (les fans de Sailor Moon sont d’ailleurs en train d’avoir une révélation profonde en ce moment précis !) remporte un énorme succès auprès des enfants, pour qui à l’époque, on produit encore peu de fiction au Japon. Au départ, pourtant, rien n’augurait de pareil résultat. Pour commencer, les premiers épisodes produits ne durent que 10 minutes, diffusés en quotidienne vers 18h. Et surtout Gekkou Kamen n’est pas exactement une aventure créative : comme bien des séries de l’époque, c’est à une agence de publicité, la Senkousha, qu’on doit la série. Le résultat est un peu mitigé au départ, mais grâce à à l’obstination de son président et le sponsor de la firme Takeda, des épisodes continuent d’être produits, offrant l’occasion à la série de trouver son public. C’est d’ailleurs l’occasion pour la Senkousha de créer sa propre société de production, et de porter la durée des épisodes à une demi-heure. La persévérance paie : la série décroche finalement le succès, et c’est également le cas des multiples films sortis à suite, qui reprennent les intrigues des épisodes. Gekkou Kamen devient alors non seulement un phénomène… mais aussi une affaire bien lucrative : c’est l’un des tous premiers exemples de fiction produite pour le petit écran japonais donnant lieu à des tonnes de produits dérivés. Un détail qui ne manque pas de susciter des vocations…
Dans son sillon, toute la télévision japonaise se prend donc de passion pour le henshin. Il faut dire que le petit écran nippon est en pleine mutation, et qu’on y interroge sérieusement l’importation de séries étrangères (qui sont presque toujours américaines). La création de séries de tokusatsu n’est pas le seul fait de cette réaction, mais cela joue : on peut créer de toute pièce des héros 100% japonais, et en plus c’est lucratif. Tous ces ingrédients combinés font que le sous-genre va s’imposer et régner en maître jusque dans les années 70, période pendant laquelle il connaît un pic de popularité plus jamais égalé depuis. Cela forme l’essentiel de la production de science-fiction à la télévision japonaise. C’est encore vrai à ce jour, même si l’on inclut la vague de high concept d’il y a quelques années.
Certaines des franchises nées pendant cette période faste sont toujours en exercice, avec des déclinaisons télévisuelles plus récentes et souvent des sorties régulières au cinéma (sans parler d’un nombre très confortable de produits dérivés). Plus que de séries, il faudrait plutôt parler de meta-séries : des univers complétés, année après année, par de nouvelles incarnations, chaque série étant totalement indépendante mais indéniablement liée aux précédentes. C’est le cas des franchises Ultraman depuis 1966, Kamen Rider depuis 1971 (ci-contre), et Super Sentai depuis 1975 (cette dernière, achetée, démontée et rebricolée aux USA, a donné naissance à la franchise étasunienne Power Rangers).
Uchuu Keiji Gavan, lancée en 1982, arrive donc plutôt en queue de cortège. Mais contrairement à beaucoup d’autres, il s’avère qu’Uchuu Keiji Gavan a été diffusée en France, que je suis née dans les années 80, et abracadabra, voilà comment on en arrive à la review du jour. Enfin, presque, parce que j’ai encore deux ou trois trucs à expliquer.
Le henshin est un genre extrêmement codifié : on y retrouve les mêmes éléments de base encore et encore… ce qui n’est pas surprenant quand on sait qu’à la grande époque, ces séries étaient fabriquées à la chaîne par les sociétés de production, chacune espérant trouver son héros à succès. Vu le budget injecté dans chaque nouvelle série, la rentabilité était en outre essentielle, et formaliser certains aspects permettait de recycler certains composants. Rien que la Senkousha a produit quelques dizaines de ces séries, beaucoup étant tombées dans l’oubli dés leur générique de fin.
L’un de ces ingrédients-clé est directement hérité, bien-sûr, des tokusatsu kaiju : l’utilisation de costumes en latex. Cet aspect, qui comme on l’a vu ne faisait initialement pas vraiment partie de ce que le directeur des effets spéciaux envisageait pour Godzilla, est même devenu emblématique ! Eiji Tsuburaya est crédité comme étant le créateur du tokusatsu, un peu malgré lui. D’ailleurs quand il a créé sa propre série, Ultra Q (la première série de la franchise Ultraman), il voulait en faire une anthologie de science-fiction jusqu’à ce que la chaîne TBS lui « demande » d’en faire une série de kaiju…
Au-delà de l’aspect des héros, une technique qualifiée de suitmation, il faut aussi mentionner d’autres éléments majeurs dans tout tokusatsu, y compris le cas particulier du henshin : l’utilisation de maquettes, la mise en scène d’explosions, et le recours croissant à des cascadeurs. Et c’est au moins aussi important, comme on va le voir.
(X-)Or, donc, de quoi parle Uchuu Keiji Gavan ? Eh bien d’un shérif de l’espace, Gavan (qui en fait se prononce Gyaban en Japonais… et n’est rien d’autre que la transcription phonétique de Gabin, oui, comme Jean : c’est un hommage volontaire), dépêché sur la planète bleue après qu’une organisation criminelle interstellaire du nom de Makuu ait décidé de coloniser la Terre, rien que ça.
Gavan provient de la planète Bird, mais si son père est bel et bien un extraterrestre, sa mère, elle, est terrienne. Une origin story qui nous permet à la fois de l’admirer et de nous identifier un peu à lui… Il n’arrive toutefois pas seul : à bord de son vaisseau, on trouve aussi Mimi, la fille du commandant de la police intergalactique ; elle s’est un peu imposée à lui. Là où Gavan a une capacité hors du commun au combat, Mimi, elle, possède le don d’utiliser des hologrammes pour se téléporter et se transformer à volonté.
Dés le départ, Uchuu Keiji Gavan se présente comme une série de science-fiction au sens où on l’entend en Occident : le premier épisode démarre alors que l’humanité est en train de construire une station spatiale en orbite de la Terre. Celle-ci est détruite par Makuu, une attaque qui n’est pas identifiée par les Terriens comme telle ; tout le monde pense que la station orbitale a été détruite par une météorite. Tout le monde, sauf un photographe éminemment curieux des phénomènes extraterrestres, Ooyama, qui va faire la rencontre de Gavan et Mimi pendant ce premier épisode sans bien-sûr soupçonner quoi que ce soit de leur origine.
En fait, une grande partie de l’intrigue de cet épisode inaugural se déroule dans l’espace, ou assimilé : le Vilain Méchant™ de la série, qui répond au nom subtil de Don Horror, planifie son attaque depuis un immense vaisseau spatial, qu’il ne quitte d’ailleurs pas de tout l’épisode. C’est depuis cet engin que sont tirés les missiles détruisant la station orbitale, que sont envoyés des hordes de soldats sur Terre (commandés par Hunter Killer, un ancien shérif de l’espace désormais traitre à la cause), et qu’est dépêché un horrible monstre (une espèce de trilobite géante ; je, euh, non j’ai pas d’explication non plus). Plus tard, dans le combat opposant Gavan au dit monstre, ce n’est rien moins qu’un trou noir qui sera généré sur Terre !
En outre Gavan continue d’utiliser les ressources de son propre vaisseau, tranquillement stationné dans un coin désertique près de Tokyo. Des ressources qui incluent un side-car (…écoutez, je crois qu’on a tous dépassé le stade de chercher le pourquoi du comment) et un robot géant prenant l’apparence d’un dragon (cessez, vous dis-je). Pourquoi rien de tout cela n’a la forme d’un oiseau alors que ça vient de la planète Bird, eh bien… mystère.
Le plus étonnant c’est que, malgré tous ces ingrédients qui n’ont pas totalement de sens, Uchuu Keiji Gavan m’a fait sourire béatement de bout en bout. C’est tellement barré que ça marche, certes, mais il y a aussi… eh bien, il y a tout ce qui peut être incontournable dans un henshin : des enfants, des costumes en latex, des explosions, des maquettes (surtout en début d’épisode, sinon ça fait cher), et des cascades. Et très franchement, les cascades, même avec les décennies, eh bien elles fonctionnent ! Et ce n’est sûrement pas un hasard d’ailleurs, car Kenji Ooba qui incarne Gavan est lui-même cascadeur… et d’ailleurs ce n’était pas du tout son premier rôle dans un tokusatsu, ça faisait depuis une bonne décennie qu’il tournait dans diverses séries henshin.
C’est fou de ressentir ce mélange de nostalgie et de découverte. J’ai eu l’impression d’avoir de la chance de pouvoir m’esclaffer devant certaines pirouettes absurdes mais réussies, de me laisser surprendre par des contorsions narratives inutiles (« la transformation de Gavan prend 0,05 secondes, nous allons donc passer 2 solides minutes à en détailler le processus »), de battre des mains avec un enthousiasme enfantin devant certaines trouvailles visuelles, de retrouver des éléments qui m’avaient marqués en dépit du bon sens (ce personnage de femme oiseau, par exemple, qui rit de façon sinistre à longueur de scène sans rien faire d’autre).
La spectatrice adulte que je suis a bien essayé de voir s’il y avait du symbolisme dans Uchuu Keiji Gavan (une critique de la mafia ? de l’occupation américaine ? du nazisme ?!), mais c’était peine perdue, je m’amusais trop.
Bon sauf quand Mimi s’est transformée en plein milieu d’une scène d’action et que son seul rôle a été… de protéger les enfants. Gros facepalm sexiste, quand même.
Peut-être que toutes les nuances d’un tokusatsu ne sont pas accessibles pour le spectateur européen… a fortiori des décennies plus tard, hors contexte. Peut-être aussi qu’un genre aussi commercial, surtout en fin de vie, avait un peu épuisé son pouvoir métaphorique à ce stade. Peu importe : Uchuu Keiji Gavan, c’était le visionnage le plus sympa de mon weekend, et l’occasion, à bien des égards, de s’offrir un petit voyage dans le temps.
Si d’aventure tu comptes à nouveau nous faire faire un petit voyage dans le passé un de ces jours, j’adorerais un article dans Ladyteruki Paradise sur les origines de la J-Pop, depuis l’époque du Kayôkyoku par exemple.
Merci pour la leçon d’histoire, en plus de passer un bon moment durant ma lecture, j’ai appris plein de choses !