Priyam, Satyam, Hitam

19 avril 2019 à 17:51

Karan Sachdev est un pilote d’avion de ligne qui s’apprête à embarquer pour un vol direct Mumbai-Sydney. Jusque là rien de spécial à signaler, si ce n’est qu’il a pris grand soin, avant de monter à bord, d’acheter un poison illégal et extrêmement violent, qu’il a caché dans ses affaires. The Final Call nous embarque à propos de ce vol qui à défaut d’escale ne va certainement pas se faire sans encombre…

Trigger warning : tentative de suicide, mort, deuil, PTSD.

Du fait des choix narratifs de The Final Call, je suis au devoir de vous signaler que la review de saison ci-dessous, malgré mes meilleurs efforts, contient des spoilers.
…Parce que The Final Call a décidé d’inclure une moyenne de 712 twists par épisode, en fait. Ce n’est pas nécessairement un tort, mais pour raconter une série à des tiers, ce n’est pas très pratique. La série passe son temps à nous donner de fausses pistes ou au moins, des informations partielles qui vont nécessairement orienter notre appréciation des faits, pour ensuite faire volte-face et nous lancer un « aha ! vous l’aviez pas vue venir celle-là, hein ? » qui marche bien pour un thriller, mais en fait une véritable galère à reviewer. Vous voilà donc prévenus !

Cette pratique commence d’ailleurs dés le premier épisode, qui nous présente son personnage principal Karan d’abord comme un homme louche qui se procure donc sur le marché noir un puissant poison (mélange de cigüe, arsenic et aconit, donc ça rigole pas), avant de nous faire comprendre que ce poison n’est pas destiné à un assassinat, mais à un suicide. Toutefois cela ne signifie pas que Karan ne présente aucun danger : il a décidé d’absorber ledit poison alors qu’il pilote le Skyline 502 Mumbai-Sydney.
Le plan ne se déroule pas comme prévu. Après avoir vidé une capsule entière de son poison (quand une pincée suffirait à provoquer la mort) dans son café, il s’aperçoit que son co-pilote s’est trompé de tasse. Le jeune homme meurt dans la minute qui suit et Karan, dans la panique, ne sait pas du tout comment réagir ; il bloque le cockpit et coupe toute communication avec l’extérieur, y compris la tour de contrôle.

Bon, déjà, ça commence plutôt mal. Des suicides ratés, j’en ai vu quelques uns dans la fiction (dont un particulièrement tiré par les cheveux dans le pilote d’A Million Little Things récemment), mais celui-là il va être difficile à détrôner. Hélas les problèmes ne s’arrêtent pas là : Karan n’a pas remarqué que sa tasse a disparu, et qu’une hôtesse de l’air débordée l’a servie au troisième pilote du vol, celui qui est supposé assurer le renfort en cas de problème…
The Final Call démarre donc par une bien étrange situation. Il y a un net aspect de thriller dans cette intrigue… et en même temps il n’y a pas exactement de suspense puisqu’on sait dés le début comment les morts ont lieu et qui en est responsable. On sait aussi que Karan n’a absolument pas provoqué ces morts exprès, mais que rien ne joue en sa faveur vu l’ingéniosité qu’il a déployée pour faire passer deux capsules de poison à bord, sous le nez des douanes. A partir de là, les circonstances ne vont faire qu’empirer : malgré ses tentatives de camoufler la mort de son co-pilote, Karan est rapidement considéré comme suspect par les autorités aéroportuaires. Quand il s’avère qu’en plus, Karan est un ancien pilote des forces spéciales, les choses s’emballent.

Mais la réalité c’est que The Final Call n’est PAS un thriller. Ou en tous cas pas seulement.
Il faut cependant laisser à la série un peu de temps pour le prouver ; les ingrédients, certes semés dés le premier épisode, mettent du temps à s’imbriquer, mais il s’avère que The Final Call est une série sur la mort, et donc sur la vie. Et que, bien plus qu’un thriller, il s’agit d’une série profondément spirituelle.

Cette dimension est introduite par le biais d’un personnage a priori secondaire, mais en fait fondamental : un passager de l’avion du nom de V. Krishnamurthi. Il s’agit d’un astrologue védique qui exerce depuis des années. En faisant son propre horoscope alors qu’il n’était qu’un adolescent, il a appris la date et l’heure exactes de sa propre mort, et sait aussi qu’elle se déroulera loin de chez lui. Avant de prendre l’avion, il a donc dit adieu à sa famille, et il est parti vers ce qui lui semblait être son Destin : mourir dans cet avion. Son seul regret ? N’avoir jamais eu l’apprenti qu’il pensait avoir un jour.
Petit-à-petit, d’autres passagers vont s’intéresser à sa pratique de l’horoscope, et c’est vraiment par cet angle que The Final Call se singularise : le rapport de Krishnamurthi à la vie et à la mort est profondément apaisé, mais surtout il est contagieux. Complètement par hasard, l’un des autres passagers va devenir son apprenti… apprenant à son tour la date et l’heure exactes de sa propre mort. Loin de chez lui. Ce qui donne certainement la plus belle réplique de ces dernières années.

Bien que seul Krishnamurthi soit, au départ de la série, familier avec l’astrologie védique, il y a dans la série toutes sortes d’éléments qui relèvent, de la même façon que le rapport de l’astrologue à la vie, la mort, et tout ce qui se trouve à l’interconnexion des deux (donc le Destin), s’apparentent vaguement au surnaturel. Chaque fois que cela apparaît dans la série, on trouve une acceptation immédiate et complète de ces manifestations. Ainsi, le passager millionnaire Siddharth Singhaniya, qui voyage en première classe au début du vol, est-il capable de percevoir immédiatement le mensonge dans les propos des autres ; il a aussi une chance insolente qu’il attribue à une pierre en apparence quelconque, et qu’il crédite pour avoir suscité son succès.
Cette acceptation totale du surnaturel dans la vie quotidienne m’a un peu rappelée celle de Cloudstreet, d’ailleurs.
Plus largement l’univers entier semble avoir tout fait pour que ces personnages se trouvent dans cette situation en même temps, à ce moment précis de leurs histoires personnelles. L’usage de nombreux flashbacks dans The Final Call n’est ainsi pas seulement l’occasion d’expliquer la backstory de chacun (le jeune joueur de foot plein d’avenir, l’hôtesse de l’air terrifiée par les avions, l’autrice qui craint de ne jamais trouver l’amour), mais aussi de raconter pourquoi chaque protagoniste a été conduit, par le reste de son existence, à exister dans cet instant précis.
C’est à la fois par hasard, et pas totalement du hasard, si chacun est amené à jouer un rôle dans la vie des autres aujourd’hui. Bref, c’est le Destin.

Car dans le fond si The Final Call n’est pas tout-à-fait un thriller, c’est parce que vous savez comment cette histoire se finit. L’important n’est pas la façon dont l’histoire se finit. L’important se situe dans la façon dont l’histoire se déroule, et dans la façon dont chacun aborde la façon dont l’histoire se finit…

Parfois, je vois des gens (y compris des téléphages très bien !) s’interroger sur la fiction internationale : quel peut bien être l’intérêt de séries dont on n’a pas l’habitude ? A quoi bon regarder des fictions qui nous semblent « étrangères » (comme si les USA, ce n’était pas l’étranger, mais passons), venant de cultures auxquelles on ne connaît ni ne comprend tout ? Et pourquoi les regarder, vu l’inconfort qu’elles suscitent ainsi, quand elles sont parfois produites moins chichement que celles auxquelles ont est accoutumé, surtout ?
The Final Call n’est pas une série très riche et cela se voit à plusieurs reprises (rien que les vues aériennes sont une vaste blague), son cast n’est pas toujours égal (surtout les personnages australiens, qui laissent penser que l’agence de casting a vraiment pris ce qui lui tombait sous la main), et ses dialogues peuvent parfois sembler simplistes voire maladroits (quand ce ne sont pas certaines articulations du récit). Produite pour la plateforme de streaming indienne Zee5 (une filiale du groupe tentaculaire Zee TV), elle a clairement bénéficié d’un investissement limité, et cela se conçoit dans la mesure où, comme de nombreuses plateformes similaires, Zee5 se lance dans la production massive de contenus originaux, et cela a un coût. En 2019, alors qu’elle n’existe que depuis un an, Zee5 offrira ainsi un total de 72 nouveaux programmes originaux ! Qui peut financer ça et produire de la fiction de prestige, franchement ? Et donc j’entends l’argument.

Devant The Final Call, la réponse m’apparaît pourtant clairement : ce qui donne de l’intérêt à ces voyages téléphagiques, c’est précisément les surprises qu’ils réservent. The Final Call a un pitch de départ somme toutes convenu, mais son traitement est unique, et il n’aurait pu exister dans aucun autre pays. En tous cas pas sous cette forme. Comment séparer le propos de la série de son utilisation de l’astrologie indienne, en particulier ? Comment ne pas entendre ce que la série dit sur la guerre du Kashmir, voire la guerre tout court ? Avec tout ce que cela implique d’impossible à répliquer, quand bien même, par un quelconque miracle, The Final Call devait un jour obtenir un remake. Quand bien même des scénaristes s’y attèleraient, avec une production à plus grand budget, un cast à tomber par terre et toutes les meilleures intentions du monde, The Final Call serait alors imaginée par un autre auteur que Priya Kumar, la scénariste de la série qui a elle-même adapté pour l’occasion son propre livre.
Voilà donc, une histoire qui ne peut exister qu’une fois en l’état, une seule. C’est devant des séries comme The Final Call qu’il devient évident que ces spécificités culturelles conduisent à une série unique, dans son propos comme dans son traitement, et que cela permet ainsi d’emmener la forme artistique télévisuelle là où elle n’est jamais allée avant. Et n’ira jamais ensuite. Les limites de la série, en termes de financement, de production, de distribution ou autre, ne changent rien au fait qu’elle est une proposition artistique unique.

Alors certes, cela implique de parfois faire face à l’inconnu. De tenter, comme on peut, d’acquérir quelques codes culturels nouveaux, pour comprendre ce qui se dit, ce qui se trame, ce qui se signifie (et de ne jamais y parvenir totalement, bien-sûr).

Mais à la clé, il y a des rencontres téléphagiques qui n’auraient lieu nulle part ailleurs et à aucun autre moment. Il y a cette impression d’un hasard heureux, qui peut-être n’est pas tout-à-fait un hasard (pourquoi ai-je regardé cette série ? pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? pourquoi à ce moment ?), mais qui ne répond pas à mon contrôle non plus, aboutissant à une expérience qui, si elle n’est pas totalement transformatrice, n’en est pas moins profondément enrichissante. Une expérience qui m’apporte à la fois de quoi m’interroger sur moi-même et de quoi comprendre l’autre. Cela peut, bien évidemment, se produire avec des séries plus familières (et ça s’est produit croyez-moi !), mais chaque fois que je m’aventure plus loin, j’augmente mes chances de vivre ce genre de choses.
En somme, ce que je ressens face à une découverte téléphagique venue d’une contrée lointaine, c’est exactement ce que The Final Call décrit : l’univers est grand et insondable, mais riche de ses possibilités. Imprévisible mais rassurant dans sa constance.

Souvent je dis, à moitié en plaisantant, que je vis ma téléphagie comme une forme de spiritualité. Parfois il vient des séries pour me rappeler pourquoi ce n’est qu’à moitié.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Ca m’a l’air d’être une série ma foi très intéressante ! Et une très belle réflexion sur les séries internationales hors des sentiers battus. <3

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