Parfois, j’en ai un peu marre de prendre la télévision internationale au sérieux. Vous avez remarqué à quel point les séries dramatiques nous arrivent plus facilement que les comédies ? Eh bien c’est un tort ! Aujourd’hui je vous emmène en République tchèque pour parler humour absurde et… vie aquatique.
Neviditelní (« les invisibles ») nous parle d’une communauté secrète vivant parmi nous, sans que nous n’en ayons la moindre idée : les nixes. Si en apparence, ils semblent parfaitement humains, ils ont la faculté de respirer l’eau aussi bien que l’oxygène, ils sont des nageurs hors-pair, et tous leurs sens, de la vue au toucher, en passant même par le goût, fait qu’ils préfèrent l’eau plus qu’aucune autre substance. Ils vivent parmi les humains (des êtres qui certes leur ressemblent mais préfèrent le plancher des vaches) tout en les méprisant un peu, d’autant qu’au fil des siècles, ces idiots ne se sont toujours pas aperçus de cette cohabitation et vivent avec leurs certitudes ridicules.
Ce n’est pas entièrement vrai : les humains n’ont pas remarqué l’existence des nixes parce que cette communauté a mis un point d’honneur à se montrer discrète. Et si leur secret est en danger, eh bien, ces « invisibles » ont leurs propres lois, qui permettent de faire disparaître tout humain gênant…
Parce qu’elle a opté plutôt pour l’absurde que pour les gags à proprement parler, Neviditelní fait un peu figure d’ovni. Une grande partie de l’épisode inaugural est consacrée à nous faire entrer dans la culture nixe, nous en donner les clés, nous faire rencontrer ses personnalités les plus importantes… mais toujours en insistant sur le fait que ce qui est normal pour eux, est complètement loufoque pour nous. Le ton pince-sans-rire fonctionne d’autant mieux que les épisodes durent une heure, et sont tournés en single camera.
D’ailleurs, parler de culture n’est pas vraiment exagéré. L’épisode s’ouvre sur une clinique médicale ; un nouveau-né est plongé dans un baquet, entièrement submergé par l’eau, ses parents, un docteur, une infirmière et un prêtre (avec un col bleu) le regardant sans réagir si ce n’est en le chronométrant. Lorsqu’il apparaît avoir passé presque 10 minutes sous l’eau sans problème de respiration, le prêtre déclare solennellement que le petit est un nixe, félicite les parents, et les laisse rentrer chez eux avec leur bassine (et le bébé dedans). Non sans s’être signés au préalable, non d’une croix mais d’un geste de vague.
On nage dans le délire le plus total. C’était tellement incongru que mon premier réflexe a été de mettre l’épisode en pause et aller vérifier pourquoi, en République tchèque, le clergé était affublé d’un col bleu plutôt que blanc ! Mais c’est le genre d’absurde qu’a choisi de délivrer Neviditelní : normaliser l’impossible jusqu’au moment où il n’est plus possible d’ignorer le paradoxe. Les parents rentrent chez eux (ils habitent sur une péniche, ô surprise), et pour que leurs autres enfants fassent la rencontre du petit dernier, vident d’un grand geste leur bassine dans la rivière. C’est là que j’ai compris que j’étais sur le point de méchamment me régaler.
Une grande partie de l’épisode va donc se dérouler de cette manière, chaque personnage ayant à un moment ou à un autre une préférence, une habitude, une coutume culturelle, à la fois montrée comme absolument normal pour lui et décalée pour le spectateur. C’est succulent, sans doute au moins que les millésimes d’eau que consomment, comme de fins gourmets, les personnages les plus riches de la série.
Toutefois Neviditelní ne verse pas dans l’absurde pour l’absurde. Elle a une véritable intrigue, et pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il faudra posséder certains des codes culturels qui nous sont dévoilés.
Dans leur quête de discrétion (que certains, parfois, regrettent ; mais la loi est la loi), les nixes ont longtemps vécu entre eux. Mais depuis cette période, de l’eau a coulé sous les ponts ; récemment certains d’entre eux, frustrés de vivre dans l’entre soi par exemple, ont commencé à faire leur vie avec des humains. Génétiquement, être nixe à 100% est devenu une rareté. Cela ne préoccupe pas tout le monde comme cela pouvait être le cas jadis ; mais c’est un argument politique de poids pour ceux qui veulent prendre la tête de la communauté nixe. A l’approche des élections, Hubert Vydra aurait bien aimé pouvoir annoncer que son fils a trouvé un épouse nixe à 100%, et qu’ils s’apprêtent à avoir une descendance totalement pure elle aussi. Le seul problème c’est que chaque fois que son fils réussit à trouver une jeune femme nixe qui soit à son goût, ses résultats génétiques montrent qu’elle est de sang mêlé. Vydra s’inquiète de ne pas réussir à convaincre ses pairs de son engagement pour la communauté nixe s’il n’est pas capable de lui donner des petits-enfants génétiquement irréprochables.
Pendant ce temps, un homme d’affaires du nom d’Ivan Lausman, inquiété par la Justice, est au bord du suicide. Un soir, il conduit sa voiture droit dans la Vltava. Manque de chance, il peut parfaitement respirer et sa tentative de suicide tombe à l’eau lorsqu’il est retrouvé quelques jours plus tard. Un miracle médiatisé qui conduit bien des humains à se poser des questions. Lausman s’avère être ce que les nixes appellent un « loup », c’est-à-dire quelqu’un portant les gènes dormant faisant de lui un nixe, sans que ses parents n’aient appartenu à la communauté ni même ne soupçonnent son existence. En tant que tel, Lausman est donc un nixe, ce qui signifie que d’après leurs lois ils ne peuvent pas le faire disparaître pour avoir mis en danger l’existence secrète de la communauté ; mais grâce à quelques subtilité juridiques, Hubert Vydra utilise son influence en tant qu’élu nixe pour tout de même condamner Lausman à mort. Celui-ci, complètement déboussolé par la suite d’évènements, est recueilli au dernier moment par Eduard Baretti, prédécesseur de Vydra.
Il se passe donc des tas de choses pendant qu’on apprend qui sont les nixes. Et en un sens, ils sont comme nous : certains sont des gens bien, d’autres pas du tout. Leur communauté est elle aussi régie par le pouvoir, l’argent, le statut. Ils n’ont pas tous les mêmes idées politiques, quand bien même ils partagent une même culture.
Ce qui est plaisant c’est que Neviditelní est bien trop intéressée par l’absurde, par l’intrigue, par certains de ses personnages aussi, pour chercher à nous la faire à l’envers. Il ne s’agit pas d’une métaphore masquée sur telle ou telle minorité raciale, religieuse ou autre (même si rien n’interdit de faire le parallèle, l’humour de la série et ses enjeux montrent bien que ce n’est pas l’objet). La série cherche juste à nous plonger dans ce monde, nous apprendre ses codes, et nous raconter une histoire un peu barrée, mais avec de véritables enjeux, à partir de là.
« Manque de chance, il peut parfaitement respirer et sa tentative de suicide tombe à l’eau lorsqu’il est retrouvé quelques jours plus tard. » J’ai ri. Joli jeu de mot aussi :p
Cet article est largement plus encourageant que celui de Knightfall (en même temps… il aurait difficilement pu l’être moins o.o). L’humour absurde, le ton pince sans rire, et tout ce qui est aquatique, ça me parle, après tout 🙂