En arrière la musique

29 janvier 2019 à 23:15

Des séries sur la musique classique, il n’y en pas des milliers. Franchement pas. Sorti de Mozart in the Jungle, QuartetMolanders et Nodame Cantabile (ou son remake Naeildo Cantabile), le téléphage mélomane n’a pas beaucoup de choix. C’est dans ce panorama de dénuement que débarque France2, parfaitement à sa place en tant que chaîne publique pour tenter l’impossible : faire une fiction sur la musique classique, se déroulant au sein de l’univers a priori peu excitant d’un orchestre philarmonique, et y conduire une série aussi moderne que possible.

Le pari est-il beau ? Résolument. Le pari est-il réussi ? Au vu du tout premier épisode, je serai moins catégorique.

Avec la nomination de la prodige Hélène Barizet à la tête du Philharmonia (une décision émanant du ministère de la Culture et certainement pas de qui que ce soit au sein de l’administration de l’orchestre), le changement est en marche. Un changement à marche forcée, d’autant que Barizet est débarquée pour remplacer le précédent conducteur, décédé d’une attaque sur scène, devant ses musiciens. Et un changement d’autant plus radical qu’il s’agit là de la toute première fois qu’une femme se trouve à la tête du Philharmonia. Il y a donc bien des raisons pour le personnel de l’institution musicale de se méfier de la nouvelle venue, qui, fraîchement débarquée des USA où elle a passé les deux dernières décennies, semble totalement imprévisible et indéchiffrable.

Si Philharmonia nous autorise à découvrir les coulisses sous cet angle, il ne s’agit cependant pas de son préféré ; bien que nous ne sachions pas tout d’elle, nous allons essentiellement passer cet épisode introductif à apprendre à connaître Hélène Barizet. La série nous invite à vivre à ses côtés une arrivée qui semble poussée par la passion, l’envie de faire au mieux, le désir de propulser l’orchestre dans une nouvelle ère de son existence. Sans aucun doute, Hélène Barizet est une cheffe d’orchestre moderne, et si les changements qu’elle apporte ne sont pas dus à sa condition de femme, en revanche la façon dont ils sont reçus, eux, ne saurait être totalement détachée de ce fait. Avant même de la rencontrer, chacun a trouvé une raison plus ou moins rationnelle de la rejeter, et de le lui faire sentir. Et à mesure que lesdits changements sont introduits, tous trouvent plus de raisons encore.
Tous ? Non ! Car en arrivant au Philharmonia, Barizet a décidé de déchoir le premier violon (et accessoirement son ancien maître) en faveur d’une jeune inconnue de second ordre. Selena, qui admire la cheffe d’orchestre depuis toujours, est prête à suivre son idole n’importe où.

Mais Philharmonia n’est pas seulement une histoire de partitions, de gueguerres entre musiciens ambitieux, et de concertos solennels. Prenant pleinement avantage de son personnage central, la série s’abime aussi dans la contemplation des zones d’ombres de son héroïne, et introduit donc une intrigue secondaire d’un ordre tout-à-fait différent, relatif à sa vie privée.
Tout s’y mélange : la relation atypique entre Hélène et son mari Peter, un compositeur qui jusque là vivait seul à Paris ; le retour en France, qui semble indiquer à Peter qu’il est temps de mettre un bébé en route ; la distance mise entre Hélène et ses parents, entre autres à cause de la maladie de sa mère ; et un secret qui, rapidement, n’en est qu’à moitié un, mais ce n’est pas cela l’important. Le premier épisode, sans l’expliciter, nous dit plutôt bien qui est Hélène Barizet.

C’est un peu là que le bât blesse, d’ailleurs. Peut-être que j’ai loupé quelque chose, mais je ne vois pas trop ce que Philharmonia veut me dire de plus quand elle a déjà apporté cet éclairage sur les aspects plus sordides de la personnalité de son héroïne. S’il s’agit d’écrire un personnage de femme complexe, et imparfait, et ambivalent, fort bien… c’est donc fait. Et ?

Difficile de voir que Philharmonia a une créatrice, Marine Gacem, et de ne pas sentir une forme de parallèle entre la scénariste et la cheffe d’orchestre qu’elle a imaginée. Toutes deux sont des femmes dans des milieux encore passablement masculins. Toutes deux ont la quarantaine. Toutes deux apparaissent comme passionnées. Et surtout, toutes deux ont pour mission de transformer quelque chose de classique, d’engoncé dans ses habitudes, de facilement perçu comme réservé à un public de niche, en une proposition artistique moderne et ouverte à un large public. (je ne m’avancerai en revanche pas sur la relation de Marine Gacem à sa mère, bien-sûr !)

Car bien-sûr, une fois de plus, comme pour toutes les séries françaises, la mission pour Philharmonia est de répondre à l’épineuse question : « que fait-elle pour la fiction française ? », et plus encore si elle est diffusée par la télévision publique. Vous le savez bien, chaque série française est toujours jugée à l’aune de ce qu’elle apporte au patrimoine télévisuel national, et pas juste au spectateur qui la regarde. C’est injuste mais c’est comme ça, et tant qu’on aura cette blessure d’orgueil causée par quelques décennies plutôt malheureuses et un sérieux complexe d’infériorité, on continuera d’avoir ces critères et attentes déraisonnables. Quelque chose en Philharmonia est profondément conscient de cela, comme Hélène Barizet est profondément consciente d’être attendue au tournant ; quelque chose dans Philharmonia veut à la fois prouver ce que la série a dans le ventre, et en même temps faire les choses exactement à sa tête. Quelque chose dans Philharmonia veut réagir contre ce phénomène critique et cependant l’amadouer, pour aller au succès.

Tout dans ce premier épisode réclame qu’on le prenne au sérieux… mon problème est que cette faim ambitieuse ne se retrouve pas autant qu’espéré dans l’épisode délivré.
Les dialogues ? Ils sont raides (toujours dans l’explicitation et le premier degré), dans la surexposition (le sexiste dit qu’il n’aime pas les femmes, comme ça c’est clair), et débités par des personnages qui, s’ils ne sont pas Hélène Barizet (laquelle a droit à des silences et donc une intériorité bienvenue), les résument à quelques lignes, presque des caricatures. Les passions au sein du Phiharmonia ? Très franchement à certains moments j’avais l’impression de voir Jean-Claude et Hervé dans Caméra Café (pardon) tant la série insiste pour faire répéter à l’envi aux musiciens qu’ils en ont gros. Peu de choses dans ce rejet est enraciné dans quelque chose de réellement dramatique, en-dehors d’une vague histoire de triangle amoureux sans grande saveur. Quant à la place de la musique, elle apparaît comme très tiède, personne à part Hélène et Selena ne semblant animé par autre chose que l’attrait d’un statut.
Si Philharmonia voulait prouver qu’elle n’avait rien à prouver, il aurait fallu tenter d’autres choses. Étayer un peu l’introduction des personnages de second plan. Voir l’orchestre apprécier la musique sans Barizet, et pas seulement l’utiliser contre elle. Peut-être faire planer de l’ambiguïté sur d’autres que l’héroïne, puisqu’il n’y a aucun intérêt à ce qu’elle soit la seule à être complexe si le reste de la distribution est transparent.
La seule chose qui apparaît comme digne d’intérêt, c’est le potentiel de la relation entre Hélène et Selena, la première façonnant la seconde… mais rien ne dit que cette relation réserve des surprises émotionnelles par la suite, je ne veux donc pas m’avancer à l’heure actuelle.

Philharmonia est une série française moderne, c’est entendu… en cela que comme beaucoup d’autres depuis quelques années, elle veut prouver qu’elle n’a rien à envier à la concurrence étrangère, mais sans s’autoriser à vraiment oser. Il y a des ingrédients décents dans ce premier épisode, mais rien de prenant, rien de surprenant non plus. Et sur le fond, on peine à comprendre ce que Philharmonia veut transmettre si ce n’est son ambition d’être différente sans s’en donner totalement les moyens.
Est-ce uniquement la faute de Philharmonia ? Probablement pas. D’ailleurs on sait que dans les bureaux des chaînes, on ne laisse pas toujours la liberté dont auraient besoin nos séries. Sans parler du fait que devoir à tout prix faire progresser La Fiction Française™ est un scénario sans victoire. Philharmonia révolutionne-t-elle la télévision française ? Non. Et c’est injuste de ne lui en demander ne serait-ce que la moitié. Mais en même temps si elle avait pu faire un petit effort, ç’aurait été bien sympa, quand même.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Manon B. dit :

    Merci pour cet article qui donne une très belle analyse de ce premier épisode. Je suis complètement d’accord avec ta conclusion : Philarmonia a de grandes ambitions, et est forcément jugée sévèrement au titre de sa contribution au rayonnement de la Fiction Française, mais en même temps, on a du mal à défendre ses petits (mais nombreux) défauts.

    • ladyteruki dit :

      Peut-être qu’on ne remarquerait pas autant certains de ces défauts sans cette ambition affichée, d’ailleurs. Mais c’est un vrai paradoxe dans lequel les critiques français font exister les fictions de ces dernières années, et je pense qu’à un moment il faudra qu’on s’interroge nous-mêmes sur ce phénomène parce qu’il est intenable au cas par cas, et sur le long terme.

  2. Mila dit :

    Okay, je ne prends pas du tout ces articles dans l’ordre, haha. Mais j’avais envie de lire sur de la musique classique 🙂 Parce que j’aime bien ça, mais que pourtant j’en écoute peu, et ai tendance à plus l’apprécier au sein de fictions (Nodame Cantabile, que tu cites, en est d’ailleurs un bon exemple^^). Je dois dire que pour le coup ton article ne me donne pas très envie. Malgré son manque d’enthousiasme (et les défauts qu’il pointe du doigt), il n’est pourtant pas aussi négatif que certains autres que j’ai pu lire de toi, et pourtant… meh. (pas l’article, la série)

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