Lancée au cours de l’hiver 2014, et depuis devenue l’une des séries russes les plus regardées, la série historique Ekaterina nous emmène au 18e siècle pour suivre comment une princesse prussienne, Sophie Auguste Friederike von Anhalt-Zerbst, est devenue la reine russe Catherine II, alias Ekaterina Velikaya (la Grande Catherine). Rien ne la destinait à monter un jour sur le trône de Russie, et pourtant la voilà, entrée dans l’Histoire non seulement pour sa longévité mais aussi pour avoir suscité un véritable âge d’or sous son règne.
Dans un premier épisode particulièrement peu original, Ekaterina va commencer à nous raconter son étonnant parcours malgré les intrigues de palais.
Tout débute alors qu’Elizaveta Petrovna, impératrice depuis le coup d’État qu’elle a mené avec succès un peu plus de 2 ans plus tôt et fille de Piotr I (Pierre le Grand), commence d’ores et déjà à penser à l’avenir. C’est que, cet avenir, pour le moment, elle est contrainte de le voir sans enfant : trois fois elle a failli être mariée, et trois fois les tentatives ont échoué (en deux occasions pour des raisons politiques, une troisième parce que le promis est mort peu avant le mariage). Aujourd’hui âgée de 35 ans, Elizaveta a un amant avec lequel elle ne parvient pas à concevoir de descendance.
La question se pose donc de façon douloureuse pour elle à bien des égards ; et en particulier, elle s’inquiète de sa succession. La seule personne qui pourrait hériter du trône à l’heure actuelle est Piotr, son neveu ; mais c’est vraiment uniquement parce qu’il est le seul autre descendant de Piotr I à être encore en vie. Ca ne pèse pas bien lourd. Amateur d’arts et de chasse, à l’esprit peu fin et perpétuellement obsédé par la Prusse (…l’un des ennemis naturels de l’empire russe), le jeune Piotr ne montre pas d’intérêt pour la politique ou même de déférence envers Elizaveta. Cette dernière ne voit donc pas en lui une future tête couronnée, et envisage plutôt de le marier aussi vite que possible, pour qu’il ait un enfant. Le plan est de miser sur un éventuel fils, qu’Elizaveta pourrait alors élever pour être un parfait souverain prêt à prendre sa relève.
Comme c’est souvent le cas à l’époque, la recherche d’épouse potentielle se tourne donc vers les autres familles royales d’Europe. Piotr a jeté son dévolu sur une princesse polonaise, mais Elizaveta a d’ores et déjà choisi pour lui Sophie, une princesse prussienne qui est donc dépêchée au palais impérial de Saint Petersbourg. Lors de sa visite, il sera décidé si elle deviendra, oui ou non, la future épouse de Piotr, et donc la mère du futur empereur… Elle n’est ainsi destinée à rien de plus que porter ce futur enfant royal.
On ne va pas se mentir : Ekaterina est un puissant soporifique. Pas tellement de par son sujet, qui ne varie pas tellement des autres fictions sur les têtes couronnées que l’on peut trouver sur les télévisions du monde… surtout pendant une décennie au cours de laquelle tout le monde cherche à mettre en valeur une figure historique féminine (en témoignent les séries Victoria, Maria Theresia, Muhtesem Yüzyil: Kösem, Isabel, The White Queen/The White Princess ou dans un registre différent, The Crown). Mais surtout parce que l’approche de la série russe est très conventionnelle. Très. Trop. En fait, elle évoque plus le docudrama que la série de fiction, une nuance qui certes peu parfois sembler subtile. Ici, cette nuance apparait comme évidente, surtout quand on constate la présence appuyée d’une narration pour situer historiquement les évènements ou la reconstitution de faits historiques… même quand ils n’ont aucune répercussion directe sur l’intrigue. A cela il faut ajouter des scènes relativement brèves, qui vont donc droit au but : il s’agit de montrer que tel personnage a telle intention, en général. Pas le temps pour l’étude de l’âme humaine (à une exception près, et j’y reviens). On est donc quasiment toujours dans la restitution factuelle.
Au final, plus que la plupart des autres épisodes introductifs de séries historiques, ce premier épisode d’Ekaterina donne l’impression d’être en permanence dans l’exposition, avec peu sinon aucune dimension… rha, comment ça s’appelle déjà ? Ah oui : dramatique. C’est un peu gênant pour une fiction, quand même.
Dans tout cela, on est supposés s’intéresser à ce qui se passe, mais c’est assez difficile. En particulier lorsqu’il s’agit de Sophie, présentée très succinctement, et à laquelle il n’est pas permis de beaucoup accorder d’attention étant donné la superficialité avec laquelle elle se présente à nous : elle veut se marier avec Piotr, et donc elle apprend à parler russe. Voilà, je vous ai économisé une heure de visionnage, ne me remerciez pas. Pourquoi veut-elle épouser ce type ? Bah on se doute qu’elle a été éduquée pour vouloir épouser un prince, vu l’époque et le contexte, mais en-dehors de ce présupposé (qui n’est qu’à peine étayé par ce qu’on nous montre à l’écran), franchement, on n’aura pas d’explication. Pire encore, au départ elle semble s’éprendre d’un autre jeune homme, Sergei Saltykov, qu’elle semble avoir oublié avant la fin du premier épisode (…l’Histoire veut que ce ne soit pas entièrement exact, et qu’il n’a donc pas été introduit par hasard).
Avec pareille approche, Ekaterina n’arrive pas à nous intéresser à Sophie… c’est légèrement dommage parce qu’elle est un peu supposée devenir l’héroïne de la série. Oops.
Ne partez pas tout de suite, j’ai une bonne nouvelle pour vous cependant. Une bonne nouvelle relative, mais bonne nouvelle quand même.
Il s’avère que ce premier épisode d’Ekaterina réussit son coup là où on ne l’attendait pas : dans son portrait d’Elizaveta Petrovna.
Interprétée avec une prestance incroyable par Yulia Aug, Elizaveta Petrovna est une reine sûre d’elle, intelligente, diplomate, mais humaine et donc faillible. Elle est aussi, à ma grande surprise, dépeinte comme une femme assumant pleinement sa sexualité, et c’est plutôt rare non seulement de voir une série historique dépeindre une figure historique féminine sous cet angle, mais en plus de voir une femme grosse tenir ce genre de rôle (grâces soient rendues à la réalité historique si chère à Ekaterina, puisque c’était selon toute vraisemblance le cas de la vraie impératrice).
Les seules émotions autorisées dans ce premier épisode, c’est Elizaveta qui va les exprimer, et il y en a quelques unes : de l’inquiétude (à l’idée de n’avoir pas de descendance), de la culpabilité (d’avoir fait enfermer le jeune Ivan VI après le coup d’État), de la passion (pour son amant Alexei Shubin), de la colère (face à des conseillers qui n’ont pas sa finesse diplomatique), et bien plus. En outre, son intelligence et sa prévoyance se manifestent de multiples façons, y compris plus malfaisantes, comme par exemple lorsque l’on découvre qu’elle place des espions derrière les murs de la chambre de Sophie et sa mère… ou lorsqu’elle expose calmement à l’un de ses conseillers ses plans pour cette niquedouille de Piotr, c’est-à-dire de l’exiler dans un monastère ou une prison sitôt qu’il aura pondu un héritier. Dépeinte avec de multiples nuances, pas toutes nécessairement favorables, comme un personnage à la fois beau mais aussi dangereux ouvulnérable, Elizaveta Petrovna est la vraie héroïne de cet épisode.
Et c’est un peu dommage parce qu’il faut qu’elle meure pour que Sophie devienne l’impératrice Ekaterina. Donc bon. On a un problème, je vous le disais.
Alors en attendant, on profite de ce beau personnage d’Elizaveta Petrovna, on regarde d’un œil distrait la série reconstituer les belles toilettes et les beaux intérieurs du palais impérial. Et on soupire en imaginant ce qu’aurait pu être une série juste sur Elizaveta. Ah, et on s’impatiente aussi un peu devant les multiples passages de la série horriblement doublés, parce que l’épisode propose des dialogues en russe mais aussi en allemand, en français et en italien, selon les personnages de la cour qui intriguent face camera… mais alors que les acteurs ne parlaient pas toutes ces langues et que ça a été rectifié en post-prod, et. ça. se. voit.
Bref c’est tragique, tout ça. Mais pas dans le sens où on l’aurait voulu. C’est de la série historique comme on pensait que plus personne n’en faisait (ne croyez surtout pas son générique tout entier pompé sur The Tudors ! on en est à des kilomètres).
A la base je ne suis pas opposée à un retour aux formes classiques du period drama ; et puis après tout la série historique est essentielle au patrimoine télévisuel russe, non ? Mais ça ne devrait pas lui interdire d’avoir de l’âme, et j’ai rarement vu une série produire aussi peu d’efforts pour captiver son audience avec ses intrigues ou ses personnages. Apparemment ça lui a quand même réussi, et grand bien lui fasse ainsi qu’aux spectateurs russes qui se sont massivement engoués pour elle… Toutefois vous ne me verrez pas vous recommander de soulever des montagnes pour réussir à voir Ekaterina.
Zut, c’est dommage que ça ait l’air si « bof » (je note bien sûr le personnage d’ Elizaveta Petrovna réussi, mais ça me parait un peu trop mince pour lancer la série), ça m’aurait intéressée une série sympa sur cette figure historique. Merci quand même pour cette review (savoir quand passer sa route c’est bien utile aussi :p) !
L’avantage c’est que des figures historiques féminines, fort heureusement, on en trouve de plus en plus souvent 🙂
« On ne va pas se mentir : Ekaterina est un puissant soporifique. »
Bon bah au moins, c’est clair o.o
Et c’est dommage. Ce que tu décris (la narration, et le côté documentaire) me fait penser à ce que j’ai pu voir dans certains taigas japonais, et j’en ai jamais fini un seul, du coup ça m’effraie un peu (pourtant je suis sûre qu’ils sont cools, mais.. ;;). Moi qui aimais tellement la robe sur l’image en tête de l’article. Et j’aime aussi le portrait que tu fais de Elizaveta Petrovna, du coup double déception.
Je tenterai peut-être un jour quand même, mais une série sans âme, ça fait pas très envie. Tant pis.
Après j’avoue volontiers ne pas être fan de beaucoup de séries historiques, mais là quand même faut vraiment ne pas être très exigeant sur le fond. Si tu arrives à te contenter de la forme, ma foi, c’est potentiellement jouable ?
Haha, malheureusement la forme m’inquiète presque encore plus (les narrations, si elles ne sont pas vraiment bien utilisées, ont tendance à me taper sur les nerfs) Donc je vais ranger dans « maybe peut-être un jour lointain si j’ai rien de mieux à faire »
Tiens ! C’est aussi comme ça que j’appelle ma pile « jamais » 😛