Même dans une industrie toute entière construite sur le jeunisme, il peut y avoir de beaux rôles pour des femmes dans la quarantaine et plus ; un rappel toujours bienvenu. Misty, diffusée l’an dernier sur les écrans sud-coréens, est précisément l’un d’entre eux.
Son premier épisode propose un portrait fascinant d’une puissante femme mariée… Une radiographie qui fait du bien, quand bien même elle n’est pas totalement révolutionnaire et s’abrite derrière un ressort pour le moment limité, voire peu inspiré.
Misty est d’autant plus fascinante qu’elle adresse directement la question du jeunisme dans les medias : Hye Ran Go est une journaliste à l’apogée de sa carrière. La série commence alors que les Korea Broadcasting Awards vont être remis et que Hye Ran peut prétendre au titre pour la 5e année consécutive. Il ne fait aucun doute dans l’esprit de son entourage, pas plus que dans le sien (même si la politesse la force à une modestie feinte), qu’elle va remporter ce prix. Or, une jeune journaliste du nom de Ji Won Han commence à faire parler d’elle ; en fait, cette dernière est même convaincue qu’elle va pour la première fois remporter le prix de la meilleure journaliste ce soir-là. Mais juste avant de présenter le prix (c’est la tradition puisqu’elle a remporté le titre l’année précédente), Hye Ran décèle de multiples indices qui la font douter…
Tout finit plutôt bien, la récompense lui étant finalement attribuée, mais après la cérémonie, Hye Ran a perdu un peu de sa belle assurance. Ce léger vacillement n’a pas échappé à Ji Won, dont les dents rayent le parquet et qui croyait dur comme fer qu’était venue son heure, et a donc plus faim que jamais. La jeune journaliste n’hésite pas à aller féliciter son aînée sur l’air de : c’est admirable de travailler travailler encore à votre âge, quel bel exemple pour les jeunes générations, vraiment je devrais vous remercier pour les avancées que vous obtenez de haute lutte pour les jeunes journalistes comme moi. Sentant le souffle chaud de Ji Won dans sa nuque, Hye Ran n’en est bien-sûr qu’encore plus sur ses gardes ; pas seulement pour ce prix symbolique, mais aussi pour le fauteuil de présentatrice de News Nine, l’émission d’information phare de sa chaîne, dont elle sent qu’il pourrait lui échapper.
C’est que Hye Ran est elle-même ambitieuse également, et qu’elle n’a aucune intention de céder sa place juste parce que le monde a décidé qu’elle appartenait au passé. Et cette ambition, Misty la démontre tout au long de ce premier épisode… sans jamais mentir sur le fait que lorsqu’on est une femme de quarante ans et a fortiori dans un milieu professionnel hautement compétitif, cette ambition a un coût humain.
A plusieurs reprises au long de cet épisode d’introduction, Misty mentionne le nom d’un mystérieux golfeur coréen dont personne ne connaît l’identité réelle, qui joue sous le nom de Kevin Lee. Or, Kevin Lee vient de remporter un prestigieux trophée aux USA, et désormais c’est la star-locale-qui-a-réussi-ailleurs dont tout le monde veut percer le secret, et plus encore, réussir à l’approcher pour l’interviewer. Le directeur de la chaîne sur laquelle travaille Hye Ran s’est montré plutôt clair quant à son désir de se lancer dans la chasse à l’interview, et c’est bien ce sur quoi notre journaliste va miser en affirmant être capable d’obtenir pareille entrevue… avec un homme qui jusque là a réussi à échapper à tous les média coréens.
Il s’agit en fait d’un mensonge, mais il est hors de question pour elle de laisser passer sa seule chance de sauver son poste à la tête de News Nine. Et Hye Ran s’apprête à payer au centuple le prix de son ambition, à la fin de cet épisode inaugural, lorsqu’il lui faudra faire un choix difficile.
Mais ce n’est pas le seul domaine dans lequel l’âge de Hye Ran semble jouer contre elle : il y a aussi son mariage. Les photos de son cossu appartement rappellent qu’elle et Tae Wook Kang ont jadis été heureux, mais c’était une autre époque. Aujourd’hui le couple ne se parle presque plus, quand bien même ils vivent encore ensemble et font mine de vaguement sauver les apparences. La mère de Tae Wook est même convaincue qu’ils essaient de faire un enfant (elle culpabiliser Hye Ran à mots à peine couverts d’être la raison de leur infertilité et vient régulièrement apporter ce qui ressemble à de l’homéopathie pour « aider » le couple lors des pics de fertilité qu’apparemment elle surveille de son côté). Sauf que rien n’est plus loin de la vérité : outre le fait que Hye Ran et Tae Wook font lit à part, ils ne risquent pas d’essayer de concevoir. Tae Wook refuse semble-t-il de la toucher depuis qu’elle a avorté (on ignore quand cet avortement a eu lieu, en revanche ; mais si les propos confus de la mère de Hye Ran sont un indice, il peut s’agir de quelque chose de très ancien), et même de lui adresser la parole voire un regard. Pendant ce temps, l’horloge tourne…
A cela il faut aussi ajouter que Tae Wook, qui était précédemment un procureur en pleine gloire, a quitté son travail pour monter un cabinet d’avocats avec un ami et collègue ; pour talentueux qu’il soit, il n’a pas obtenu de victoire pour le moment et le cabinet ne survit que parce que la famille Kang est riche.
Misty raconte la complexité de Hye Ran sous un angle qui semble neuf. Oh, si, bien-sûr, on a vu plusieurs fois ce rôle de la femme « âgée », froide, dure, ambitieuse ; on l’a vu dans pléthore de séries asiatiques, où généralement l’héroïne était fraîche et jeune, et où cette froideur, cette dureté, cette ambition, se présentaient soit sous la forme d’un antagonisme, soit d’une figure maternelle austère dont l’héroïne pouvait alors apprendre en exigeant plus d’elle-même.
Mais que Hye Ran tienne le rôle principal est assez rare (pas unique, mais rare) pour être noté.
Il n’est jamais question d’atténuer la froideur, la dureté ou l’ambition de Hye Ran dans cet épisode introductif ; en revanche Misty les contextualise, les explique, les nuance. Il ne s’agit pas de traits de caractère immuables, mais d’une armure qu’à son « grand âge » (ou du moins perçu comme tel), Hye Ran a dû se forger si elle souhaitait continuer à exister selon ses propres règles, et non celles d’un monde où seule la jeunesse peut ouvrir des portes. Pour autant tout sacrifice a son prix et Hye Ran doit user de son influence, déployer des stratagèmes, ou tout simplement négocier avec elle-même, pour garder la place qu’elle a obtenue de haute lutte.
Tout ça serait déjà pas mal, mais Misty a aussi une autre intrigue plus policière, qui dans ce premier épisode est assez succinctement présentée parce que l’épisode préfère nous donner le contexte avant de se lancer. Mais la façon dont l’enquête clôt et ouvre l’épisode en fait aussi un ressort narratif peu fin.
C’est qu’en réalité, je vous ai un peu menti : l’épisode ne commence pas tout-à-fait sur la cérémonie de récompenses, mais sur la découverte d’une voiture accidentée sur laquelle la police commence son enquête. Et nous assistons alors à un interrogatoire de Hye Ran par le flic chargé de l’affaire, qui semble convaincu qu’elle a un lien avec un homme dont on devine alors qu’il est la victime. Mais quel est ce lien ? Bon, c’est assez évident en regardant l’épisode (et notamment les souvenirs qui font irruptions dans les pensées de notre protagoniste), mais en revanche rien n’indique au spectateur si Hye Ran est coupable de quoi que ce soit. Dans les épisodes à venir, on va donc suivre à la fois l’enquête et le déroulé des faits, semble-t-il.
La promesse n’est en soi pas franchement originale ; mais elle a ceci de prometteur qu’elle place en son centre un personnage supposément antipathique (franchement Hye Ran a des relations tendues avec tout le monde dans son entourage, sauf éventuellement un assistant de production), présenté comme unlikeable (parce qu’une femme froide, dure et ambitieuse ne peut jamais être assez aimable), et démontrant sa capacité à mentir et dans une certaine mesure manipuler (non pour autrui mais pour son propre bénéfice, en plus).
Cela fait de Hye Ran une coupable idéale, a priori. Une coupable que non seulement des faits ou circonstances pourraient pointer du doigt, mais ceux qui la connaissent, aussi. Une coupable dont le crime essentiel est de n’avoir jamais transigé, jamais courbé l’échine, jamais montré la docilité qu’on attendait d’elle, et donc jamais mérité la clémence de qui que ce soit.
C’est le revers de médaille pour les femmes de pouvoir : une fois qu’elles ont commencé à faire montre de la moindre once d’orgueil, de distance, d’ambition, elles n’ont plus droit à ce qu’on donne aux autres femmes. Et encore moins si elles n’ont plus le privilège de la jeunesse. Le soutien dont Ji Won bénéficie au sein de la chaîne, parce qu’elle est jeune, et belle, et feint relativement bien l’innocence avec un certain enthousiasme juvénile, est totalement hors d’atteinte pour Hye Ran. Il est là, le premier crime commis dans Misty, et son héroïne a déjà reçu sa sentence.
…Évidemment ce n’est pas le seul crime commis dans Misty, et si j’en crois ce que j’ai lu (par accident, je crois que je me suis spoilée sans faire exprès l’an dernier quand la série a été diffusée…), l’intrigue policière et judiciaire n’en est qu’à son commencement, et va continuer de mélanger la vie privée et la vie publique de Hye Ran. Mais que la série semble si ouvertement focalisée sur cette question du jeunisme me donne vraiment envie de voir jusqu’où Misty osera aller.