Historiquement, les séries de genre à la télévision nord-américaine ont toujours été très blanches. Aussi, quand SyFy (LA chaîne de la fiction de genre par excellence) se lance dans la commande de Superstition, une série fantastique avec une famille noire en son centre, on a spontanément envie de la voir réussir. Ne serait-ce que parce que la culture afro-américaine regorge de thèmes surnaturels peu ou jamais présentés dans une série (et encore moins souvent, présentés dans une série faite par des Afro-américains). Mais Angelica Jade Bastién en parle mieux que moi.
Pour le principe, à tout le moins.
Hélas, les principes ne suffisent pas souvent, dans le domaine téléphagique. Et si je veux bien reconnaître que certaines de mes difficultés avec le premier épisode de Superstition ont entièrement le fait de mes propres objections (ne serait-ce qu’à la présence de dents, dont j’aurais pu me passer)… eh bien, malheureusement, d’autres résultent directement des choix de la série elle-même, lesquels s’avèrent être des échecs.
Reprenons : Superstition se penche sur les Hastings, une famille vivant dans une petite bourgade du Sud nommée La Rochelle, où tous, chacun à leur manière, combattent les manifestation infernales depuis des décennies. C’était en effet déjà le cas 16 ans plus tôt, lorsqu’un phénomène à coûté la vie au cadet de la famille, Arlo. C’est toujours le cas aujourd’hui, quand bien même la famille a évidemment été profondément transformée par cette tragédie, et amenuisée d’une autre façon : l’aîné de la famille, Calvin, a rejoint l’armée, laissant ses parents seuls avec leur combat et leur deuil… ainsi qu’avec les deuils de La Rochelle. Eh oui, les Hastings tiennent officiellement des pompes funèbres, qui servent de couverture à leurs opérations mais aussi, comme nous allons l’apprendre, facilitent les rapports avec la police locale. Plus particulièrement avec la cheffe de la police locale, May, qui est également l’ex de Calvin.
Au terme de 16 années, Calvin revient justement au bercail, apparemment pour une permission de 30 jours. Cela fait 16 années que sa famille ne l’a pas vu, non plus que May. Quelqu’un d’autre ne l’a pas vu depuis 16 ans : Garvey, la fille dont il ignorait même l’existence.
Notre héros n’effectue pas cette visite sans raison. Calvin est revenu parce qu’il a eu une vision, la première depuis une décennie et demie : la mort de son père.
Déjà sur le papier, les idées novatrices ne se bousculent pas au portillon de l’entreprise funéraire des Hastings. Eh bien hélas, dans la pratique non plus : Superstition ne fait pas de faute magistrale de goût avec sa situation de départ, mais, malgré ou peut-être à cause de cela, de cette crainte de mal faire, la série se refuse à apporter un quelconque élément original.
On retrouve des clichés tout au long de l’interminable phase d’exposition de ce premier épisode, certains usants parce que courant dans la fiction même quand elle n’est pas fantastique (genre la geekette aux faux airs de Pauley Perrette), et d’autres repoussants parce que totalement assumés par la série (qui s’offre même une référence à Supernatural pour enfoncer le clou de son absence d’idées originales). Les acteurs ne déméritent pas, en particulier Mario Van Peebles qui s’est visiblement fait très plaisir, mais ils ont très peu à se mettre sous la dent au-delà des clichés initiaux, comme c’est le cas par exemple du personnage de Bea Hastings.
Au-delà de ça, on retrouve dans la mise en place très convenue de Superstition des problèmes autrement plus profonds. La plus marquante à mes yeux est l’impossibilité de cet épisode inaugural à nous donner des informations suffisamment longtemps à l’avance pour qu’on n’ait pas l’impression que la série saute d’un prétexte à l’autre pour nourrir son intrigue (« tiens là il faudrait qu’on puisse identifier quel danger nous guette, bah on va faire en sorte que Bea ait des pouvoirs surnaturels qu’on n’a pas mentionnés jusque là »… ce qui aurait quand même pu être traité plus finement quand on sait que Calvin lui-même a un don de prescience !). On pourrait aussi mentionner la réalisation parfois un peu grossière, encore plus évidente dans les scènes autres que strictement familiales, où les dialogues sont sans vie, et les scènes d’action aux limites du ridicule.
Tout cela ne serait pas grave si sur le fond, Superstition mettait en place quelque chose d’un peu plus profond. A ce stade : n’importe quoi de plus profond. Explorer un thème, n’importe lequel, vraiment. Il y a l’embarras du choix.
De Superstition, honnêtement, j’attendais en priorité une mythologie. Le premier épisode y échoue en dépit du bon sens. Le concept de mythologie semble en fait totalement étranger aux créateurs de la série, qui ne fournissent que le minimum syndical en la matière. Ils ont clairement pensé qu’offrir une backstory tragique aux Hastings (la mort du jeune Arlo voilà 16 ans) représentait la totalité des ingrédients du passé auxquels il fallait songer au moment de la conception de la série, et pire, de l’élaboration des personnages.
Car il faut en plus ajouter qu’à cette tragédie initiale, Superstition n’apporte pas grand’chose de dramatique au présent ; et même si j’ai apprécié l’embryon de fil rouge initié entre Calvin et Garvey, le reste de la famille joue totalement de la figuration, rendant impossible de ressentir quoi que ce soit pour qui que ce soit. Rien que le fait que les Hastings vivent officiellement d’un business de pompes funèbres tout en ayant perdu un être cher devrait se matérialiser sous la forme d’une émotion quelconque… Je suis la seule ici à avoir vu Six Feet Under ou quoi ? Bon, bah alors ?!
Et en fait, même sur ce que les Hastings combattent, on ne sait que très peu de choses. Jusqu’à ce que, pire, elles semblent contradictoires ! La série semble vouloir s’aventurer du côté du religieux… jusqu’à ce que Hastings senior s’aventure dans un speech écologiste et quasi-animiste.
En somme on ne sait pas ce que les Hastings font là, et du coup, on ne sait pas trop ce que les spectateurs font là non plus. C’est un peu gênant parce que les seconds sont supposés rester pour s’intéresser aux premiers.
En soi, la plupart de ces difficultés sont surmontables… mais séparément.
Prises ensemble, elles donnent le sentiment d’assister à une série fantastique médiocre des années 90. Mais si, vous savez, quand tout le monde et son chien voulait surfer sur l’appétit pour le surnaturel à peu de frais, et produire une fiction pour un public souvent peu regardant. Si l’on arrive à considérer que Superstition est probablement tournée avec le même budget que ces séries (là où à l’ère de Peak TV tant d’autres fictions ont hélas pour Superstition souvent placé la barre bien plus haut depuis), et que cela excuse une grande partie de ses travers, alors ok, soit, on peut essayer de mettre de côté plusieurs de ses défauts. Mais tous ? Non.
Superstition aurait dû assurer un peu plus que le service minimum et c’est terrible qu’elle ne le fasse pas, précisément parce qu’aucune autre avant elle n’avait eu l’opportunité de faire quelque chose d’immense par et pour le public afro-américain dans le domaine des séries de genre. Personne ! Comment peut-on rater quelque chose quand on est le premier à le faire ?
Bien que la série ait été commandée directement sous la forme d’une saison complète (ce qui pourrait éventuellement laisser espérer qu’un élément brouillon de ce bazar soit là à dessein), je ne pense pas pouvoir lui offrir plus de mon temps.
Rho, c’est vraiment dommage, parce que sur le papier, ça avait l’air d’avoir du potentiel. :/
Je seconde Tiadeets.
J’avais cette série dans un coin de ma tête, pour des raisons que tu dois probablement deviner, et du coup c’est un peu triste de voir que tu ne l’as pas trouvée convaincante, et ton article me refroidit un peu. Bien sûr, je finirai sans doute par tenter le coup un jour où l’autre mais… je suis moins enthousiaste, mettons.
Oh well.
Merci pour l’article néanmoins ♥