S’il y a bien quelqu’un qui se réjouit que la télévision française ait jeté son dévolu sur la télévision italienne, c’est bien Bibi. Entre Gomorra, 1992, Maltese, Non uccidere, The Young Pope, I Medici, L’Amica Geniale et maintenant Il Miracolo (sans parler prochainement d’Il nome della rosa), c’est vraiment fondamental qu’on ait accès à ce que nos voisins font après l’avoir ignoré pendant si longtemps. D’autant que plus il y en a, plus on a le choix : moi qui par exemple ai des difficultés à apprécier une série sur la mafia, je peux enfin me détendre un peu et trouver quelque chose à grignoter qui me convienne. Au lieu de regarder ce que je peux, désormais regarder ce que je veux. Quand bien même les choix quant aux séries ainsi importées ou non semblent parfois orientés (nombre d’entre elles ne nous arriveraient peut-être pas si elles n’étaient pas co-produites par des chaînes hors de l’Italie… en même temps ça veut dire que la stratégie des Italiens fonctionne !), on n’a quand même pas ce luxe avec la fiction de bien d’autres pays.
Hier soir c’était donc Il Miracolo qui débarquait sur arte, une série sur laquelle, vous le savez, je gardais un œil depuis plusieurs mois, a fortiori parce que la fiction touchant de près ou de loin au religieux me fascine.
Pourtant Il Miracolo rechigne à immédiatement nous dire de quoi elle parle. La série s’ouvre sur une intervention policière muette, dont on ignore le contexte, l’objet ou même le lieu ; tout ce que l’on sait, c’est qu’est découvert un appartement tapissé de sang dans lequel est retrouvé un homme nu et hébété.
Pendant le quart d’heure qui va suivre, Il Miracolo va mettre une foule de choses en place qui nous en dit très, très peu sur cette intervention ou sa découverte, et choisir à la place de nous introduire à des personnages dont on ne comprend pas spécialement leur lien avec cette étrange découverte.
Il y a d’abord le Premier ministre Pietromarchi, en pleine tourmente politique, alors que la nation toute entière débat d’un Italexit dans lequel il n’a pas réussi à imposer sa position. Les choses vont à peine mieux dans son foyer, qu’il semble négliger quelque peu si l’on en croit les rapports distants qu’il a avec sa femme, et le peu de capacité qu’il a à s’inquiéter de ce que font ses 3 enfants. Fabrizio Pietromarchi est en outre un homme froid, peu expressif, et ce en dépit du fait qu’il soit ce qui s’approche le plus d’un protagoniste dans cet épisode introductif.
Sole Pietromarchi, son épouse, apparaît dés le début comme une femme fragilisée par le peu d’attention que son mari lui donne. Alors que progresse l’épisode, toutefois, on va mesurer à quel point son besoin de reconnaissance et d’affection peut se reporter sur tout et n’importe quoi, une consommation déraisonnable d’alcool n’aidant pas.
Ailleurs, on ne sait trop où ni en quoi cela a un rapport avec les Pietromarchi ni notre fameux « miracle », un homme aux cheveux blancs semble en proie à ses pires démons, alors qu’il prend avantage d’une jeune femme paumée ou vole de l’argent à une autre dans un casino. Il tire une grande souffrance physique d’une maladie pour laquelle il prend un traitement médical, mais il n’est pas entièrement dit (et la fin de l’épisode va souligner cela) que cette souffrance ne soit pas aussi morale.
Un peu avant de finalement savoir ce qui se trame, Il Miracolo va aussi nous introduire le personnage du général de police Votta, un homme qui tente de garder la tête froide alors qu’il est chargé de garder un oeil, et de superviser les opérations, autour dudit « miracle ».
Alors justement, de quoi est-il question ? Eh bien après avoir installé ces personnages et commencé à raconter quelques uns de leur défauts (pour ne pas dire : de leurs péchés), Il Miracolo va finalement nous révéler qu’une statuette de la Vierge pleurant des larmes de sang a été découverte dans la cuisine d’une grande figure de la mafia, un dénommé Molocco (on comprendra ultérieurement que c’était donc ce même type qui barbotait nu et hébété dans le sang).
C’est évidemment une découverte saisissante, et les services de police ont d’ores et déjà commencé à étudier la statuette depuis plusieurs heures lorsque le Premier ministre est appelé par le général Votta pour venir voir l’objet. Il en ressort qu’il s’agit d’une vulgaire Vierge en plastique comme on en fabrique des milliers à la chaîne ; elle n’a rien de spécial, aucun mécanisme intérieur, rien… si ce n’est bien-sûr qu’elle ne pèse que deux kilos et demi, et produit près de 100 litres de sang par heure. Ce sang, analysé dans un laboratoire mis en place spécifiquement pour la Vierge, est un sang humain, un sang d’homme en vérité, dont on peut même déterminer le groupe sanguin. Tout dans l’existence de cette Vierge défie l’entendement.
Alors justement : que faire de ces informations ? Qu’en conclure ?
Contrairement à ce que son nom laisse entendre, Il Miracolo ne voit pas vraiment les choses comme une bénédiction tombée du ciel, et cette histoire de Vierge en plastique qui pleure des larmes de sang est en fait présentée comme inquiétante. Avant même que ne soit révélée au spectateur l’existence de cet objet, la série prend à cœur de tout rendre oppressant, refusant de donner du sens immédiatement à certains détails comme pour les rendre plus troublants pour ne pas dire lugubres. L’un des meilleurs exemples en est la façon dont Sole tente d’alerter son époux sur le comportement de ses enfants, qui restent assis, immobiles, de longues minutes, tout en émettant un étrange vrombissement ; Fabrizio Pietromarchi l’interprète comme un jeu initialement, mais il est difficile pour le spectateur de ne pas immédiatement ressentir une sensation de malaise. Tout est à l’avenant, et le comportement de l’homme aux cheveux blancs (qui s’avère être un prêtre), ou l’étrange séquence de baise entre Sole et un chanteur d’opéra, plus tard, ne vont que renforcer cette impression que quelque chose ne va pas, que le monde qu’on nous montre est repoussant et défectueux.
On ne peut pas dire qu’aucune de ces actions soit liée au « miracle » de la Vierge larmoyante, mais cela met le spectateur dans une certaine condition d’esprit lorsqu’il est véritablement question de celle-ci. Comme si, avant même que quiconque ait conscience de son existence, cette statuette mettait en exergue les bassesses humaines. Que rien ne fasse sens et que tout semble décrire des humains en perdition n’est pas sans rappeler certains des passages les plus malaisants de The Leftovers.
Mais plus que The Leftovers, Il Miracolo exige de ses personnages une réaction, pour ne pas dire une décision. C’est particulièrement vrai pour le Premier ministre Pietromarchi, qui doit décider s’il rend publique l’existence de cette statuette, ce qui pourrait avoir des conséquences directes sur son avenir politique, y compris sur le referendum portant sur l’Italexit. Mais l’épisode s’achève sur le choix fait par la biologiste Sandra Roversi (introduite tardivement), qui après avoir procédé à des analyses de l’hémoglobine, va prendre une décision à la fois surprenante et compréhensible. Et comment ne pas songer à l’impact qu’aurait (et vraisemblablement aura) une telle révélation sur le père Marcello, forcé par ce « miracle » de réfléchir à la façon dont il a si longtemps cédé à ses instincts ? La réaction n’a pas nécessairement besoin de se traduire par des actes forcément significatifs ; mais nul n’échappera au bouleversement des certitudes induit par la Vierge ensanglantée.
Il Miracolo en appelle en outre, ouvertement, à la religion catholique, là où The Leftovers donne le vertige par sa capacité à laisser chacun interpréter les faits surnaturels à sa façon. Ici on ne fait pas plus clair : il s’agit d’une Vierge, en Italie, et elle pleure le sang d’un homme. Difficile d’échapper aux références. C’est justement cette confrontation à un « miracle » qu’on ne peut réinterpréter à l’aune de ses croyances personnelles qui fait de cette Vierge une chose si difficile à assimiler pour ses personnages : elle rend impossible de se raccrocher à des explications (à peu près) rationnelles. Cette impossibilité va à l’encontre de tout ce que notre époque nous intime de croire.
Capturant une confusion palpable, mais qui n’en est qu’à s’est balbutiements, le premier épisode d’Il Miracolo confronte ses personnages, progressivement, à leurs certitudes. Pour l’instant, la série ne pousse pas le spectateur à en faire de même, mais avec un tel épisode introductif, il ne fait nul doute que cela va arriver… et c’est bien la seule chose qui ne laisse planer aucun doute dans Il Miracolo.
Ca a l’air intéressant comme série (et puis je n’ai jamais vu de série italienne) et je suis particulièrement intriguée par la scène que tu décris avec les enfants qui « vrombissent »… ça donne toute suite l’impression d’une ambiance vraiment particulière. Qui, cela dit, ne s’accorde pas franchement à mon humeur du moment. J’ai plus envie de légèreté, et clairement, cette série n’a pas l’air d’être du genre léger. Néanmoins ça ressemble fortement à quelque chose qui me parlera à un autre moment 😀 !