J’ai l’impression d’avoir passé les derniers mois à vous parler des échanges télévisuels entre les USA et la Corée du Sud. Ce n’est, évidemment, pas tout-à-fait exact, mais le fait reste que les choses se décantées très récemment entre les deux pays ! Entre la Corée du Sud qui se met à adapter des séries US (cet été c’était Criminal Mind, adaptation évidemment de Criminal Minds ; et parmi les prochaines sur la liste, on trouvera un remake de Suits), ce qui est récent, et les USA qui tout d’un coup ont réussi à faire aboutir des projets d’adaptations de séries coréennes (avec cet été Somewhere Between, remake de Shinui Sunmool – 14 il), vous admettrez qu’il se passe un truc. Donc oui, je vous ai parlé de bien plus ces derniers mois que des échanges télévisuels entre les USA et la Corée du Sud, mais il y avait quand même pas mal de matière !
Et ça ne s’arrête pas là, puisque ce soir, aux États-Unis, démarre The Good Doctor, une série dont vous serez surpris d’apprendre, j’en suis sûre, qu’elle est adaptée d’une série sud-coréenne appelée… Good Doctor. Ca va, vous suivez toujours ? Bon.
Donc comme c’est devenu la tradition, me voilà à vous parler du premier épisode de l’une en attendant que vous regardiez le premier épisode de l’autre, histoire de vous donner des éléments de comparaison.
Avant d’aller plus loin, il me faut cependant vous prévenir : je ne suis pas fan du tout de l’original. Du tout du tout. Mais ça ne veut pas dire que vous ne devriez pas tenter la lecture, car parfois, même ce genre de confession peut réserver des surprises…
Pour ceux qui roupillaient dans le coin quand sont passés les Upfronts, rappelons que Good Doctor s’intéresse à Shi On Park, un jeune homme autiste qui se destine à la médecine. Le premier épisode mélange de nombreux flashbacks d’une enfance malheureuse avec des scènes contemporaines, pendant lesquelles Shi On sauve la vie d’un enfant, ce qui le met en retard pour le rendez-vous le plus important de sa carrière, alors qu’une commission médicale se réunit pour statuer sur son sort, au sein de l’hôpital où travaille son mentor.
S’intercalent donc les scènes revenant sur le passé tragique de Shi On (son père alcoolique, violent, et méprisant ; sa mère tentant comme elle peut de lui donner la meilleure vie possible ; son grand-frère qui essaie de le faire sortir de sa coquille ; les enfants du quartier dont Shi On devient la tête de turc ; même la mort de son lapin !), et les séquences à l’hôpital (le Dr Choi essayant d’argumenter en faveur de son jeune protégé alors que celui-ci ne paraît pas devant la commission), ponctuées par l’intervention digne d’Urgences pratiquée par Shi On dans un hall de gare. Et il se tient là, le premier vrai problème de Good Doctor : la série essaie de faire tout cela à la fois, mais ne fait rien correctement parce que ces scènes baignent dans des univers très différents.
L’enfance de Shi On, en particulier, relève du pathos le plus extrême. C’était déjà pas vraiment la peine d’en rajouter dans le mièvre (« regardez d’où vient ce jeune homme courageux alors que TOUT était contre lui ! »), mais il y a vraiment des moments insupportables dans ces scènes, tant les réactions des personnages confinent à la caricature. La seule chose qui en ressort de façon à peu près positive, c’est que cette origin story nous permet de savoir comment Shi On a rencontré le Dr Choi et s’est pris de passion pour la médecine. Je reste cependant convaincue que cette rencontre aurait pu être le coeur du flashbacks, et être détaillée pour nous donner plus d’émotion et de richesse dans la relation entre les deux personnages. Ils n’auront, en fait, pas beaucoup d’interactions dans les scènes se déroulant dans le présent, si bien qu’on avait un peu besoin de cela, pour comprendre pourquoi le Dr Choi est si passionné à l’égard du jeune Shi On.
Les scènes proprement médicales, elles, s’insèrent assez mal dans tout cela, en particulier parce qu’on lest a vues cent fois. Mais elles permettent de présenter aussi l’hôpital, les futurs collègues de Shi On Park (et son futur enjeu amoureux), et bien-sûr les compétences du héros, aussi on ne saurait y couper.
Le soucis, c’est que l’ensemble donne l’impression de partir dans tous les sens, et de ne rien réussir à raconter de sincère. Good Doctor présente un personnage autiste dont, pour commencer, on ne connaît pas les détails du quotidien, son ressenti, rien. Il n’est que souvenirs et actes de médecine, pendant ce premier épisode. Son cheminement de pensée est, pour l’essentiel, absent. En outre, les questions dont l’hôpital veut connaître les réponses pendant la commission (« est-il capable ? de quoi ? dans quelle mesure ? ») sont légitimes aussi pour le spectateur, quoique pour des motifs différents (en l’occurrence c’est le job d’un épisode introductif de dire pourquoi ce personnage-là mérite qu’on le fréquente pendant les prochaines semaines). Good Doctor n’y répondra que de façon superficielle parce qu’elle a décidé que Shi On était un héros tragique, point barre.
Good Doctor souffre en fait des travers des séries sud-coréennes tournés à la chaîne. Vous me direz que beaucoup d’industries télévisuelles de par le monde tournent à la chaîne, mais en Corée du Sud il faut quand même admettre que c’est à un degré plus radical qu’à peu près partout ailleurs.
Et à mon sens, la conséquence que cela a, c’est que même quand une série tient des ingrédients intéressants, le temps n’a pas été pris pour qu’elle les pose avec finesse. A la place, l’épisode introductif est mélodramatique à outrance, et l’exposition verse systématiquement dans la lourdeur, tout devant être impérativement explicité faute de pouvoir prendre le temps de la nuance. C’est difficilement supportable. Structurellement Good Doctor suit le cahier des charges des mélodrames très grand public parce que le cahier des charges, c’est encore ce qu’on a inventé de mieux pour travailler efficacement et dans les délais ; mais aucun cahier des charges ne fait de la grande télévision.
C’est d’autant plus dommageable que le personnage central apparaît comme un stéréotype [de plus] du brave mais très simple jeune homme frappé du syndrome du savant. Personnellement, je ne sais pas comment il est possible de se lier à ce personnage, quand il est brossé de façon si grossière dans cet épisode introductif. Quand aux autres protagonistes, n’en parlons même pas : les dynamiques apparaissent toutes comme très manichéennes. Je serais bien surprise d’être surprise par eux…
En somme tous les éléments de départ, pour ce premier épisode de Good Doctor, sont l’inverse même de ce qu’on pourrait attendre en termes de nuance.
Il y a bien-sûr une précision d’importance à formuler : cette nuance peut toujours intervenir plus tard ; parce qu’une fois l’exposition derrière elle, la série aura le temps de tenter plus de choses. Un premier épisode, c’est toujours difficile, et ce quel que soit le pays. Surtout quand on vise le très grand public. Je connais des tas de gens très bien qui ont adoré Good Doctor, ont été émus par cette série, son personnage central, preuve que ce doit être possible par la suite… mais personnellement je n’ai pas réussi à accrocher du tout. Du tout du tout, comme je le disais.
Pour le meilleur ou pour le pire, ma philosophie est que si je ne vois rien de plaisant dans un premier épisode, je ne pousse pas plus loin. Ca a été le cas avec Good Doctor, dont le simplisme est caricatural, les séquences de tension manufacturées sans détail, et les scènes supposées émouvantes bardées de clichés. Ces caractéristiques m’ont empêchée d’avoir envie d’y passer une minute de plus.
La bonne nouvelle (car il y en a une), c’est que The Good Doctor a une sorte de seconde chance : il lui est possible de reprendre ces ingrédients, dont aucun n’est intrinsèquement fautif, et de les traiter autrement. D’apporter un peu de la finesse qui manquait à l’introduction de la série sur laquelle elle prend modèle. Là encore il n’y a aucune garantie qu’elle le fasse, mais c’est une possibilité, et je pense que c’est, l’air de rien, l’un des gros avantages des remakes : quand ça n’a pas collé avec la première version, peut-être que ça ira mieux avec la seconde. Ou peut-être que non, mais n’est-ce pas formidable d’avoir l’option ?