It’s about ethics in journalism

4 septembre 2017 à 19:08

Vous m’entendez régulièrement me plaindre de ne pas trouver série sud-coréenne à mon pied ; l’analogie est boîteuse mais faisons comme si de rien n’était. Peut-être que cela pourrait changer avec Jojak, une série lancée cet été (et que les spectateurs anglomaniaques préfèrent sous le titre international de Falsify) qui se déroule dans le monde du journalisme. La série touche bientôt à sa fin, et me voilà, parce qu’il vaut mieux tard que jamais, et que c’est toujours un meilleur moment pour entamer un marathon de toute façon, à vous parler du premier épisode.

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…Sur lequel, avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous dois quelques remarques.

Et en particulier celle-ci : Jojak est l’une des rares séries sud-coréennes, à plus forte raison de primetime des grandes chaînes (SBS dans le cas présent), dont les épisodes durent environ une trentaine de minutes, là où une heure est d’ordinaire le strict minimum. Le premier épisode de Jojak en fait 37, pour être précise, et il y a une bonne raison à cela.
Enfin, disons… une raison : la loi sud-coréenne interdit de couper un épisode pour diffuser des pages de publicité. Les chaînes, qui estiment que dans le contexte actuel des diffuseurs, les finances ne permettent plus d’appliquer ces règles d’un autre âge, essaient ces derniers temps de contourner cette interdiction. La combine trouvée au printemps, pendant Gunju – Gamyeonui Juin sur SBS et Susanghan Partner sur MBC, est devenue celle appliquée à Jojak cet été, et elle est la suivante.
Puisque couper un épisode en deux n’est techniquement pas autorisé, et d’ailleurs pas bien perçu du tout par le public, l’idée est de… diminuer de moitié environ la durée des épisodes d’une série. Ce que ça donne, c’est que Jojak est donc diffusée, comme les autres séries de primetime en Corée du Sud, à raison de 2 soirs par semaine… mais aussi à raison de 2 épisodes consécutifs par soirée au lieu d’un seul. Voilà, c’est tout bête, ça permet de coller de la pub, c’est magique. Il suffisait d’y penser. Evidemment ça change quelque chose pour les spectateurs, qui se retrouvent techniquement à regarder 4 épisodes par semaine (quand bien même ils passent exactement le même temps devant leur écran), et bien-sûr ça leur rajoute de la pub qu’ils parvenaient à éviter auparavant, mais c’est un peu le but donc tout va bien. Et aucun épisode n’a été interrompu, techniquement.
Pour info c’est un procédé que SBS n’a pas exactement inventé : la VOD sud-coréenne a commencé à s’y mettre, en rendant chaque moitié d’épisode achetable séparément. Cela s’est produit en particulier parce que certains diffuseurs prétendent que les adeptes du catch-up et autres consommateurs via internet sont plus sensibles aux formats courts, mais ne nous trompons pas, il y a un objectif financier derrière.

Pourtant cela pose des questions. Cela pose des questions parce que, eh bien, d’ordinaire, la sagesse populaire veut que pour une série sud-coréenne, on attende que les 2 premiers épisodes soient diffusés pour que l’histoire se mette en place. Comme vous le savez, je ne le fais pas forcément, ou en tous cas quand je le fais j’écris quand même une review sur le tout premier épisode, parce qu’on devrait avoir le droit de se faire une idée du niveau d’une série sans s’investir pendant des heures, mais c’est assez fréquent que vous me voyiez le rappeler.
Cela signifie qu’en somme ce n’est pas l’unité « épisode » qui détermine nécessairement les orientations ou la structure d’une fiction sud-coréenne, mais plutôt l’unité « semaine ». Il est donc légitime de se demander si par conséquent, Jojak nécessite d’être jugée sur la base de ses 4 premières épisodes, soit 1 semaine de diffusion.

Honnêtement, il est très probable que les 4 épisodes inauguraux fassent sens ensemble, plus que le visionnage d’un seul épisode… mais on parle de séries et j’ai envie de penser que c’est toujours un peu le cas, et qu’à ce compte-là, on n’a plus le droit de décider ou non de regarder une série avant de l’avoir vue en entier ! Je reste convaincue qu’un premier épisode, s’il n’est pas l’alpha et l’omega d’une série, doit permettre de déterminer si oui ou non on est intéressé par cette fiction. Après tout l’épisode, structurellement et narrativement, est sensé avoir un semblant de sens ; sinon on se retrouve avec des gens qui pensent regarder des films de 10 ou 20 heures. Il y a, à un moment, dans l’essence-même de la fiction sérielle, un concept d’épisode qu’on doit arrêter de vider de son sens, quand bien même un épisode seul n’est, par définition, pas une fin en soi. Je persiste à penser qu’on doit pouvoir dire, au vu d’un premier épisode, si une série est intéressante, ou émouvante, ou esthétique (ou rien de tout cela), quand bien même un premier épisode ne dit pas tout d’une série. C’est ma façon de voir les choses et vous êtes libres d’être en désaccord, de vous enfiler 4 épisodes pour vous faire une idée sur Jojak et par la même occasion sur l’acuité de mon regard sur son épisode introductif.

Je vais donc, dans la review ci-dessous (car oui à un moment je vais vous parler de Jojak elle-même et pas juste de son mode de diffusion !), vous parler uniquement de ce premier épisode ; mais sachez qu’il y a des clauses en petits caractères encore plus que d’habitude.

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Ce premier épisode a en fait largement le temps de mettre en place plusieurs épaisseurs de son intrigue, comme dans un feuilleté narratif. Parce que, newsflash, on peut tout-à-fait produire une série dramatique efficace en environ une demi-heure.

Tout commence donc alors qu’un jeune journaliste, Mu Young Han, est en train de travailler sur une histoire relative au crime organisé, et plus spécifiquement au trafic prostitutionnel. Sauf que ce n’est pas le genre de journaliste à la Spotlight qui va passer une journée aux archives ou qui va consciencieusement interroger des témoins ; le style de Mu Young, c’est, disons, le journalisme d’investigaction.
Il a en effet procédé à un sombre chantage d’un détective de la police pour obtenir d’être infiltré parmi les criminels sur lesquels porte son enquête ; déguisé en pimp, voilà  Mu Young Han qui débarque dans le bureau de Eun Mo Park, l’homme qui importe des jeunes femmes du Sud-Est asiatique pour les vendre à des entremetteurs. Rien n’est improvisé toutefois dans cette opération : Mu Young Han est venu avec des collaborateurs, qui suivent l’évolution de son infiltration à distance, et il a aussi quelque chose de vital dans sa mallette… Lorsque Park découvre que Mu Young est un journaliste, la scène tourne au pugilat. Dans le chaos qui s’en suit, notre héros n’a pas obtenu ce qu’il voulait (il s’avère que son but est un peu différent de la simple investigation sur la prostitution). Mais pendant ce temps, son équipe libère plusieurs femmes promises à un sordide avenir. Toutefois, ce faisant, ils découvrent aussi, totalement par hasard, des cadavres abandonnés là depuis longtemps. Ils appellent la police et prennent la poudre d’escampette.

Entrent alors en scène des protagonistes n’ayant qu’un rapport très lointain, au moins en apparence, avec cette affaire. La procureure Won, en particulier, a vite la puce à l’oreille, et commence à envisager que l’affaire soit plus complexe qu’il n’y paraît. Mais à quel point ?

Jojak ne s’arrête toutefois pas là, et pour comprendre un peu mieux cette histoire, nous permet de revenir dans le passé. Ah c’est la loi, un premier épisode DOIT revenir plusieurs années en arrière, ne discutez pas.
Nous apprenons alors que 5 ans plus tôt, Mu Young Han n’était pas du tout l’homme qu’il est aujourd’hui. Jeune champion de judo, il semblait promis à un bel avenir dans la compétition internationale jusqu’à ce qu’une sombre affaire de dopage lui vaille d’être viré de son équipe.
Naïf, Mu Young n’a même pas vraiment compris la gravité de l’affaire. Son grand frère Chul Ho Han, lui, pressent qu’il se trame quelque chose de plus compliqué.

Ce grand frère est alors journaliste au sein de la rédaction du Daehan, et il a écrit, lui aussi, sur le trafic prostitutionnel. Il en paie le prix : il est suivi, intimidé, et clairement mis au ban de sa rédaction. Le patron du journal lui-même semble préférer Chul Ho vivant dans la peur. Dans le climat d’il y a 5 ans, les gros titres se font sur les scandales de la presse elle-même et de son rapport au pouvoir, et on ne veut pas d’un gêneur comme lui… Même si le premier épisode ne détaille pas forcément en quoi Chul Ho a pu gêner les hautes sphères avec son article, on devine sans problème qu’il y a une question de trafic d’influence sous-jacente, perceptible dans le sous-texte de certaines scènes, et de certains propos.
Le seul qui soutient Chul Ho Han, c’est Seok Min Lee, un autre journaliste auquel il demande de veiller sur Mu Young. Mais même ainsi, Chul Ho soulève des problématiques épineuses : Seok Min accepte d’aider le jeune judoka au prétexte qu’il a été, je cite : « celui qui a écrit sur sa toute première victoire » ; en somme, même à leur niveau, il y a une certaine dose de copinage derrière la couverture des événements, et le devenir des gens en général. Le système semble gangréné à tous les étages, quand bien même de bonnes intentions peuvent se cacher derrière certaines utilisations de ces dynamiques.

Et c’est en substance ce que Jojak promet d’explorer : ces connivences. Leur gravité. Leur impact sur la presse, et à travers elle sur la bonne santé d’une démocratie. Comme beaucoup de séries sud-coréennes, Jojak oriente clairement son discours vers une opposition entre les puissants et les faibles. En mettant en lumière combien, en 5 ans, la situation de plusieurs personnages a changé (celle de Mu Young Han bien-sûr, qui entretemps a perdu son frère, mais aussi de Seok Min ou de la procureur Won), on peut voir combien certains ont pu gagner en pouvoir. La question sera évidemment de savoir comment ils vont l’utiliser.
Dans Jojak, l’influence est une monnaie, et comme dans presque toute série sud-coréenne, les riches et les pauvres ne peuvent en user de la même façon.

Cela ne fait pas de Jojak, toutefois, un thriller étouffant. Craignant vraisemblablement d’être trop sombre, et de poser des questions trop inconfortables à ses spectateurs, la série a fait le choix que font hélas trop de séries dramatiques sud-coréennes à mon goût (et ça ne date certainement pas de la division en 2 épisodes d’une demi-heure), qui est d’accentuer les scènes d’action (très présentes en début d’épisode) et d’humour (particulièrement palpable vers la fin) de façon à la limite du grotesque. Si Jojak avait un peu plus de courage, elle s’autoriserait à faire l’impasse sur certaines de ces séquences. Ce n’est pas le cas. On se retrouve ainsi avec des passages d’épisode assez creux, alors que pourtant la série a plein de choses à dire, et c’est bien plus dommageable au plaisir du visionnage, à mon sens, que le découpage pour obtenir deux épisodes au lieu d’un. Il faut noter toutefois que structurellement, on a bien un premier épisode en 3 actes, et non un vulgaire épisode coupé en deux pour les besoins des annonceurs.

En somme le vrai péché de Jojak, ce n’est pas vraiment la gourmandise de son diffuseur, mais plutôt son refus de vouloir s’engager entièrement dans une intrigue pourtant riche. Peut-être que le format d’une demi-heure accentue le vide de certaines scènes, c’est en revanche possible ; cependant le nœud du problème n’est pas là.
Très franchement, malgré les défauts de ce premier opus, j’ai envie de poursuivre mon visionnage parce que les thèmes, l’angle, et l’absence de romance (pitié faite qu’elle dure) m’attirent quand même.
Bien-sûr comme toujours, les problèmes de Jojak peuvent être résolus par les épisodes ultérieurs (ou aggravé d’ailleurs !). C’est le propre d’une série. Mais j’ai aussi l’impression confuse que j’ai plus de chances de finir Jojak que d’autres séries sud-coréennes l’ayant précédée et portant des défauts similaires, précisément parce que ses épisodes sont moins longs et que c’est plus facile de retrouver patience quand on sait que l’épisode est bientôt fini. On en reparle si j’arrive au bout.

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Fleya dit :

    Je trouve ton analyse vraiment très intéressante, ça me donnerait presque envie de reprendre cette série.
    J’avais plutôt apprécié les premiers épisodes, mais pour une raison qui m’échappe, elle a du mal a capter mon intérêt sur le long terme et je peine à me motiver à la continuer (j’en suis au 17/36)

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