Dans sa chair

21 juillet 2017 à 7:55

C’est une plutôt bonne surprise que de découvrir le premier épisode de Pulse, la série médicale australienne qui a démarré hier sur la chaîne publique ABC1. Bien qu’essayant de l’aborder sans idée préconçue, j’ai réalisé en voyant son épisode inaugural que je m’étais figuré qu’il s’agirait d’une série très grand public, un peu simpliste, voire même sans intérêt. Peut-être que j’ai vu trop de séries médicales occidentales passer pour désormais leur donner une véritable chance au préalable, je ne sais pas ; toujours est-il que je n’aurais pas pu être plus éloignée de la vérité.
Pulse, au final (ou du moins au final de son premier épisode), se révèle être une série dramatique réussie explorant aussi bien son univers médical lui-même que les thématiques douloureuses soulevées par l’intrigue. Sans que le résultat ne semble être à fleur de peau, il s’en dégage une très belle sensibilité qui permet d’embrasser la complexité de ses sujets sans détourner le regard.

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Cela en dépit, ou peut-être grâce à, une exposition à la fois brouillonne et efficace. Pulse passe par l’allusif d’un cauchemar traumatique pour nous dire ce par quoi son personnage central est passé, avant de nous lancer dans un début d’épisode plutôt classique pour une série médicale.
Étudiante en médecine, Frankie Bell est en effet confrontée à tous les défis typiques rencontrés par quelqu’un dans sa profession. Il lui arrive de faire des erreurs d’inattention, de vouloir bien faire en dépit des pratiques rigoureuses de son service, ou encore de se mettre certains autres professionnels à dos, tout en essayant de naviguer parmi les centaines de choses à apprendre, les milliers de gestes à faire, les millions d’interactions vitales à ne pas rater. Mais elle fait tout cela avec un poids supplémentaire : Frankie est une jeune femme qui a été greffé d’un rein, et qui a entrepris des études de médecine après la greffe en question, visiblement inspirée par son parcours médical. Son historique médical rend ce parcours d’apprentissage d’autant plus difficile qu’elle est toujours sous suivi médical, et qu’elle est également sous traitement immunosuppresseur alors qu’elle travaille au contact de malades au quotidien.
Pour ne rien arranger à cette situation déjà compliquée, elle a fait tout son possible pour intégrer le service de greffes d’un hôpital universitaire, garantissant ainsi de jolis transfert médecin-patient futurs… Enfin, elle est placée sous l’autorité de nul autre que le néphrologue qui l’a suivie, le Dr Chad Berger. En fait, pour tout vous dire, il la suit encore, ce qui est également la promesse de complications sur le lieu de travail de Frankie ; celle-ci n’a d’ailleurs prévenu personne dans son entourage professionnel quant à son passé médical, espérant ainsi n’être pas disqualifiée à cause de son état de santé, et jugée uniquement à l’aune de ses compétences. Seuls le Dr Berger ainsi que sa colocataire et amie (ainsi qu’interne en chirurgie thoracique) Lou sont ainsi au courant.

Pulse, toutefois, ne veut pas franchement nous raconter l’histoire de Frankie comme si cette histoire de greffe était un simple élément de sa backstory, une rudimentaire motivation pour expliquer pourquoi l’héroïne est décidée à devenir médecin.
Non, dés le premier épisode de Pulse, il est clair que la série va explorer non seulement les suites physiques de la greffe (chose que, si l’on veut être honnêtes, on ne voit que rarement dans une fiction médicale, où l’opération est plus importante que la convalescence parce que supposément plus riche en enjeux immédiats) mais aussi psychologiques. Il y a des choses auxquelles il devient vite évident que Frankie a mûrement réfléchi ; commencer des études de médecine, par exemple, ne s’est pas fait sur un simple coup de tête, elle a pris en compte les multiples difficultés qui se poseraient à elle, et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle a fait le choix de ne pas divulguer ses antécédents à ses collègues.

En revanche, elle aurait bénéficié d’une petite thérapie parce que clairement, elle n’a pas tout interrogé aussi consciencieusement ; ainsi, le Dr Berger est à la fois son supérieur et son médecin traitant, et si cela, au moins, est une décision consciente, les raisons qui la poussent à insister pour que ce conflit d’intérêt apparent soit maintenu sont peut-être moins clairement palpables pour Frankie. « Il faut que ce soit vous ! », s’écrie-t-elle à son sauveur vers la fin de l’épisode, comme dépassée par sa propre émotion, avant de se reprendre et, interloquée par la réponse de son patron, de froncer les sourcils.
C’est dans ce genre de mécanismes que Pulse se montre d’une grande richesse, allant bien au-delà des tourments habituels autour de la greffe. Il s’est passé quelque chose d’intime allant bien au-delà des chairs, lors de cette greffe, et Pulse semble bien partie pour les interroger. A ma connaissance, aucune autre série médicale n’a fait de ces questions un arc aussi central que Pulse, et je la trouve magnifiquement bien équipée pour aborder cela avec toutes les nuances que cela implique ; et, dois-je ajouter, justement sans faire passer Frankie par une thérapie plus classique. Au lieu de se confronter, dans l’abstrait et à l’abri d’un cabinet de psy, à ce qui lui complique la vie mais aussi semble l’animer plus que rien d’autre au monde ; ici Frankie est plongée en permanence dans un bain d’actions mais aussi d’émotions qui réveillent ses impulsions les plus contradictoires, mais aussi vitales. Pulse retranscrit d’ailleurs si bien la difficulté que Frankie a, à la fois à soigner en se détachant de sa propre expérience (on peut même dire que c’est une évangéliste de la greffe et je doute que cela passe bien avec tous ses patients ou familles de patient à l’avenir), et à piocher dans cette expérience pour aller de l’avant. Elle a parfois l’air d’être bloquée dans son service de néphrologie comme un fantôme entre le monde des vivants et celui des morts ; un fantôme avec une volonté d’airain, mais tout de même.

Au-delà des tourments qui animent Frankie, Pulse recouvre aussi des aspects médicaux plus classiques (l’un d’entre eux est même un fichu cliché, et je pense que ce pilote, ainsi que le personnage de Lou, méritaient mieux). Les trois jeunes apprentis médecins que sont Frankie, Lou et Tabb se soutiennent ainsi alors qu’ils sont bizutés par d’autres membres du corps médical, ils s’épaulent au moment de pratiquer des actes médicaux, et bien-sûr ils vivent tous ensemble ce qui leur permet de décompresser après une garde autour d’un verre (enfin, sauf Frankie, qui bien-sûr ne boit pas, mais vous saisissez l’idée). Il y a les médecins avec lesquels ça se passe plutôt bien, et ceux avec lesquels c’est tendu ; les rapports avec le coordinateur de greffe ne sont, également, pas simples. Il y a des opérations à pratiquer, des patients auxquels parler, ce genre de choses.
Mais en ne perdant jamais totalement son objectif de vue, celui de parler du rapport que nous avons à la greffe plus que des opérations elles-mêmes, Pulse réussit vraiment bien à intégrer ces quelques passages obligés à son motif central.

Bien-sûr, Pulse a plutôt beau jeu de réussir à maintenir ce genre de cohérence dans un seul épisode (son premier qui plus est). Le vrai défi sera pour la suite, même si elle ne s’écrit pas au fur et à mesure de la diffusion (ce qui est le cas des séries américaines de network, et la plupart des séries médicales américaines sont des séries de network) ; Pulse est en effet conçue comme une mini-série de 8 épisodes, bien que je la soupçonne à ce stade d’être potentiellement renouvelable. Les épisodes suivants me détromperont peut-être.
Je me suis surprise à penser pendant le visionnage de Pulse que si Mary Kills People avait eu l’équivalent de l’intelligence qu’a ce pilote, mais sur le thème de l’euthanasie au lieu de la greffe, j’aurais sans aucun doute trouvé le courage de finir la saison ; c’est exactement à ce genre de subtilité que je pensais quand j’ai écrit que j’aurais aimé Mary Kills People si elle eu du courage. Eh bien voilà, CE courage-là. Le courage de la complexité.

Franchement, ça se sent : Pulse apparaît d’emblée comme une série aboutie, soigneusement imaginée pour aborder des choses graves, certes sans se morfondre en permanence mais sans écarter d’un grand geste les nuances qui rendent la question de la greffe si complexe, au-delà du seul procédé médical. D’ailleurs la fin de l’épisode aborde aussi la question du système des listes d’attente, et des injustices parfois causées par cette automatisation de l’allocation des organes… comme si Pulse n’avait déjà pas mille choses à raconter ! Pourtant, l’épisode parvient parfaitement à gérer ; en cela il m’a un peu rappelé ce que font la plupart des séries médicales asiatiques, qui utilisent le parcours de médecins d’exception pour s’attaquer aux défaillances de tout un système (sous diverses formes).

Peut-être que je venais à Pulse sans être convaincue (c’est un peu ma faute, vu que j’évite les trailers et à peu près tout ce qui précède le visionnage d’un pilote !), mais une heure plus tard, me voilà totalement convertie. J’ai été émue, mais pas seulement émue, par la richesse thématique de cet épisode introductif. Rien que ça, c’est une promesse que peu de séries médicales peuvent tenir, surtout si vite. Sa brièveté joue probablement en faveur de Pulse, mais plus largement, c’est à une série pleine de finesse qu’on a affaire ici.
On pourrait dire que… la greffe a pris. Pardon.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila dit :

    Je te pardonne.
    Probablement parce que j’aurais sans doute fait le même jeu de mot si j’y avais pensé.

    J’avoue qu’au poster, ce n’est pas une série que j’aurais trop prise en considération, parce que je suis rarement attirée par les séries hospitalières (pour des raisons…), mais j’ai particulièrement aimé ce passage de ta review: « chose que, si l’on veut être honnêtes, on ne voit que rarement dans une fiction médicale, où l’opération est plus importante que la convalescence parce que supposément plus riche en enjeux immédiats » Parce que, bah, c’est souvent vrai, en effet. Les séries hospitalières que j’ai vues, pour la plupart, suivent les médecins, en faisant des patients une étape dans leur vie, si bien qu’on s’intéresse au moment où il faut « sauver » les patients, et après ils sortent de la vie du médecin/de la série. Après, on dans House, je pense qu’on peut dire que House vit avec les conséquences de *son* opération, qu’il apprend toujours à gérer, mais on prend les choses un certain temps après, quand même.

    Bref.
    C’est intéressant, et puis 8 épisodes c’est pas long. Bon, en ce moment, comme d’hab, j’ai pas le temps (préparations pour aout, tout ça, le programme est serré, et niveau séries non-asiatiques, je suis lancée dans LOST -oui, je sais, pas exactement ta recommandation- et Jane the Virgin), mais c’est bien de savoir que cette série existe ! Merci ♥

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