La Warner Bros. tente de faire revenir Wonder Woman à la télévision ; et qui est mieux placé pour cela que David E. Kelley ? A peu près tout le monde, en fait, mais ça n’a pas l’air de freiner la WB, qui toque à toutes les portes pour vendre ce projet de série. Problème : personne n’en veut. Finalement, NBC, après avoir une première fois passé la main, décide quand même de commander un pilote. L’histoire n’ira pas au-delà, la série n’ayant jamais vu le jour ; mais ce pilote a fuité sur internet à l’époque, et l’heure semble particulièrement appropriée pour en parler aujourd’hui.
Comme beaucoup de remakes et de reboots, Wonder Woman se propose de vous faire oublier tout ce que vous pensiez savoir de la fameuse Amazone, et d’imaginer à la fois un univers qui n’ait rien à voir, et quand même quelques points de repère, réduits ici à l’état de gimmicks.
Reprenons donc : Wonder Woman sévit à Los Angeles, où elle fait régner l’ordre quitte à créer parfois un peu de désordre. Bien qu’opérant en costume, son identité alternative, Diana Themyscira, est parfaitement connue : la jeune femme est en effet à la tête d’une puissante compagnie spécialisée dans le jouet, Themyscira Industries, qui commercialise directement les produits dérivés à l’effigie de Wonder Woman. Les activités de superhéroïne de Wonder Woman sont ainsi directement financées par ses fans, en quelque sorte !
Cela n’empêche nullement que la mission de Wonder Woman soit critiquée, en particulier par les forces de l’ordre et désormais, semble-t-il, par le ministère de la Justice. Et au privé, Diana Price (c’est l’identité secrète de la jeune femme) se sent aussi de plus en plus seule depuis sa rupture avec Steve Trevor…
Parfois on se demande pourquoi un pilote n’a pas marché, et jamais conduit à une série. En levant un poing serré en direction du ciel, en crispant la mâchoire et en maudissant les exécutifs responsables sur 712 générations, on imagine la série qui aurait pu être, mais n’a jamais été. Dans le cas de Wonder Woman… non, ça va, on a tout ce qu’il nous faut, merci.
En cause ? Par où commencer ! Il n’y a rien qui vaille dans cet épisode au scénario simpliste ; résumons-le si vous le voulez bien. Et si vous ne le voulez pas, j’ai trois suggestions d’articles qui vous intéresseront peut-être plus que celui-ci ; croyez-moi quand je vous dis qu’en tous cas ils ont été plus plaisants à écrire.
Wonder Woman se lance à la poursuite de ce que l’on présume être un criminel dans les rues de Los Angeles, et finit par l’épinglé devant la foule arpentant Hollywood boulevard, ainsi que des cameras et la police. Elle délivre sa capture aux autorités à contre-cœur, puisque maintenant qu’il entre dans le système judiciaire le criminel va probablement avoir recours à un avocat. Quelques heures plus tard, Diana Themyscira tient une conférence de presse officielle pendant laquelle elle explique que ce criminel est impliqué dans un trafic de drogues visant à améliorer la performance, dont 6 jeunes sont déjà tombés victimes. D’après Diana Themyscira, la coupable n’est autre que Veronica Cale, une puissante industrielle à la tête d’une compagnie pharmaceutique, et qui serait en train d’utiliser des cobayes humains pour développer son prochain produit.
Bien que la police tente de raisonner Wonder Woman, celle-ci décide d’agir sans attendre que l’enquête ne suive son cours : elle se présente à l’hôpital pour torturer l’homme dont elle a permis l’arrestation, et ainsi obtenir l’adresse du laboratoire où Cale mènerait ses expériences. Une fois ce renseignement acquis, Wonder Woman se rend au laboratoire en question, se bat contre les hommes de main et officiers de sécurité de Veronica Cale (en tuant certains), découvre les cobayes encore en vie dans le laboratoire, les rend à la police qui peut ainsi officiellement mettre Cale en examen. Fin.
Si l’on enlève toute la partie d’exposition du pilote de Wonder Woman, il reste donc une série d’action sans grande ambition, où l’on ne verra pas une seule fois comment Wonder Woman/Diana Themyscira a obtenu ses informations. Tout ce qui est explicité, c’est qu’elle est en contact avec la mère d’une des victimes, dont les atroces souffrances ont servi d’ouverture à l’épisode ; mais on ignore comment Wonder Woman a découvert que cette drogue était liée à Veronica Cale, ce qui a tout de même un tout petit peu d’importance.
Apparemment pas le moins du monde, et le spectateur doit tenir pour acquis que tout cela est vrai dans toutes les scènes où Diana Themyscira démontre sa haine féroce envers Veronica Cale. Mais le pilote de Wonder Woman n’a même pas envie, semble-t-il, de faire de cette détestation un élément d’une hypothétique série à venir : Veronica Cale est arrêtée à la fin de l’épisode, l’affaire résolue de bout en bout, rien n’est laissé en suspens. La détestation de Diana pour Veronica (qui n’existe a priori qu’à travers les agissements criminels de celle-ci), n’a plus de raison d’être. Wonder Woman n’a donc pas de villain prévu pour ses épisodes suivants…
On pourrait éventuellement penser que ce qui intéresse David E. Kelley dans cette histoire est moins l’existence de cette drogue, ou les agissements peu éthiques de Veronica Cale, que la question de la Justice telle que la rend Wonder Woman.
…Ce qui serait une piste parfaitement valable si le pilote l’employait vraiment. Mais ici tout est fait non pas pour discuter de l’ambiguïté du rôle de la justicière, mais plutôt pour lui donner une forme de street cred. Et faire du remplissage.
Ainsi, Wonder Woman n’est pas franchement une superhéroïne positive : elle fait au contraire partie de ceux qui pensent que la fin justifie les moyens, tous les moyens. Elle ne se préoccupe pas des accidents causés à Los Angeles pendant sa course-poursuite (ne se demandant même pas si qui que ce soit peut avoir été blessé par effet de ricochet d’ailleurs). Elle n’hésite pas un instant à torturer un homme qui, bien que participant au trafic, est également un cobaye humain du laboratoire Cale. Et lorsqu’elle investit ledit laboratoire, elle n’éprouve aucun remord à blesser voire tuer non seulement les superhumains qui font partie de la garde personnelle de Cale, mais aussi un simple agent de sécurité qui avait toutes les chances d’être payé au salaire minimum pour monter la garde de nuit devant le labo sans savoir ce qui s’y passait.
Le pilote de Wonder Woman utilise l’intervention de personnalités médiatiques (Nancy Grace et Dr Phil venant à la soupe, par exemple) pour commenter à la fois la bravoure de l’héroïne, et les doutes qui planent sur le bien-fondé de ses méthodes ; mais parce que Diana Themyscira ignore perpétuellement ces critiques, ces dernières restent sans conséquence, y compris de la part du scenario. Quand un sénateur (incarné par feu Edward Herrmann) promet à mots à peine couverts de braquer les projecteurs sur le peu de légalité des pratiques de Wonder Woman, l’emphase est mise sur la proximité du sénateur avec Veronica Cale. Et quand finalement le ministère de la Justice dépêche un représentant pour établir un rapport sur la constitutionnalité du travail de Diana Themyscira, il s’avère que c’est son ex Steve Trevor qui s’est porté volontaire pour le faire, qu’il pose une question et demie avant de statuer en faveur de Diana (en quoi la situation est-elle plus éthique que les liens entre Veronica et le sénateur ? posez donc pas des questions comme ça).
Du coup, l’héroïne n’a pas de problème, le Gouvernement américain n’a pas de problème, tout va bien. Wonder Woman peut continuer à causer le chaos pour attraper des gens sans preuve aucune de leur culpabilité, c’est pas grave. On a connu Kelley plus à cheval sur les dilemmes éthiques.
Par-dessus le marché, le « féminisme » de David E. Kelley vieillit incroyablement mal : comme à l’époque d’Ally McBeal, le showrunner pense que des symboles de réussite et de force caricaturaux (Diana Themyscira est une Fortune 500 à la tête d’une compagnie richissime, Wonder Woman est littéralement une semi-déesse à la force surhumaine…) se doivent d’être composés par d’aussi stéréotypées situations personnelles rendant le bonheur d’une femme seule impossible (Diana Price est célibataire donc totalement isolée).
Techniquement, les trois identités pourraient être chacune l’incarnation d’une facette différente de l’héroïne, pour rappeler que chaque femme contient une multitude ; la métaphore serait évidente, mais elle pourrait marcher. Ce n’est pas le cas dans le pilote de Wonder Woman où deux identités sont strictement similaires, au point que tout le monde sait que Diana Themyscira est Wonder Woman (et elles sont toutes les deux aussi belliqueuses et bornées ; seul le costume change), et où la troisième est totalement inutile, puisqu’à l’inverse, à part les deux employés les plus proches de Diana Themyscira, personne ne sait que Diana Price existe ! A quoi sert d’avoir une identité secrète juste pour acheter une petite maison de banlieue et boire du vin en papouillant son chat tous les soirs (not a metaphor, le chat s’appelle Sylvester et remplace avantageusement, je suppose, un bébé dansant), je vous le demande.
Wonder Woman essaie de défendre une certaine idée de la « femme forte » parce que son héroïne est, ma foi, forte. Mais c’est, comme trop souvent, une féminité forte qui doit forcément signifier déception amoureuse et isolement. Et c’est malgré tout un personnage de femme qui continue d’avoir besoin qu’une figure masculine l’approuve (Henry Detmer, qui officiellement tient le poste de Directeur des Opérations de Themyscira Industries, mais semble plus souvent être Figure Paternelle en Chef) alors que l’assentiment de son assistante noire Etta est considérée comme acquise.
Alors, oui, ok histoire de dire, en cours d’épisode, on balance des dialogues avec quelques buzzwords (comme « objectification », parce que les exécutifs de Themyscira Industries veulent commercialiser une poupée Wonder Woman à gros seins), mais dans le fond on en revient toujours aux mêmes clichés.
Wonder Woman, a aucun égard, ne pense que la complexité a droit de citer dans une série de superhéros, a fortiori de superhéroïne, à quelque égard que ce soit… démontrant que ce n’est pas parce qu’on change le costume (deux fois) ou la profession de Diana que Wonder Woman s’en trouve alors, magiquement, modernisée.