Si cette année vous n’avez pas pu vous rendre à Séries Mania, laissez-moi vous parler d’une nouvelle initiative prise par le festival cette année, et surnommée « Séries Mania Culte ». Pas de dérive sectaire ici, je vous rassure (…quoique, à me voir parler de l’événement depuis deux semaines, je vous accorde que la question soit légitime !), mais l’envie de proposer aux festivaliers l’opportunité non seulement de voir des séries récentes, voire totalement inédites puisque proposées en avant-première mondiale, mais aussi de s’accorder un temps plus nostalgique, pour découvrir ou redécouvrir des séries plus anciennes, et en discuter.
Je ne peux qu’approuver pareille entreprise. L’addiction à la nouveauté, à laquelle tous les téléphages ont succombé au moins une fois (encouragés par des diffuseurs qui aiment à leur faire croire que si l’on n’a pas regardé un épisode dans le weekend suivant sa sortie, on est « en retard« ), ne doit pas nous faire oublier que nous avons aussi un énorme patrimoine télévisuel mondial.
La curiosité, c’est aussi explorer les séries finies de longue date ! Et s’interroger sur leur apport à notre culture téléphagique…
Dans le cadre d’une mini-rétrospective sur les années 80 (constituée de 2 séries ; je n’ai hélas eu le temps d’en voir qu’une), Séries Mania proposait de retrouver les deux premiers épisodes de Pause-Café, une série produite en 1979 (et commandée par la première chaîne l’année précédente) mais dont la diffusion a début en 1981. C’est-à-dire, comme on nous l’expliquait en début de projection, qu’elle a été conçue sous Giscard mais vue sous Mitterrand, dans deux France bien différentes. Bien involontairement, le premier épisode représente justement le choc entre ces deux écoles de pensée.
Joëlle Mazart est une jeune assistante sociale qui, pour son premier poste, est assignée au lycée Jules Verne, un lycée de banlieue dont on lui promet qu’il n’est pas le pire, loin s’en faut. Elle débarque donc pleine de bonne volonté… et découvre des conditions moins qu’idéales pour exercer, à commencer par le bureau qui lui est affecté, les tâches qui lui sont confiées… mais aussi étant donné le climat général du lycée Jules Verne.
C’est qu’elle arrive en plein conflit : les lycéens ont organisé des manifestations pour exiger du Proviseur qu’il leur concède l’installation d’un panneau d’affichage public. Ça n’a l’air de rien, mais le Proviseur ne cède pas d’un pouce, encouragé en ce sens par le Censeur (un lèche-bottes de première).
Très vite, Joëlle prend le parti des élèves, les soutient dans leurs démarches, et obtient pour eux, avant la fin du premier épisode, l’installation de ce fichu panneau d’affichage… sans savoir que les conflits du lycée Jules Verne ne vont pas se résoudre pour autant. C’est que, dans le fond, le vrai problème de l’établissement repose sur l’incompréhension totale du Proviseur face à des élèves qu’il traite comme des nuisances, et non comme des personnes… Joëlle Mazart, quant à elle, devient l’amie des adolescents, et les aide dans leurs problèmes avec toute la douceur et la bienveillance dont elle est capable.
Pause-Café, c’est le surnom que finissent par lui donner les lycéens après qu’ils aient pris l’habitude de prendre le café dans son bureau le matin ; l’occasion de tisser des liens…
Présentée comme une « madeleine » cultissime et aimée par plusieurs générations de spectateurs français y compris très jeunes (…euh, sûrement ?), Pause-Café a fait grande impression aux organisateurs de Séries Mania, qui ne tarissaient pas d’éloges à son sujet. Il s’agissait d’ailleurs de l’une des rares séances présentées par la directrice du Forum des Images elle-même Laurence Herszberg.
Et je peux le comprendre en un sens, car il se dégage quelque chose d’éminemment positif de ce premier épisode. En se posant comme l’adulte qui comprend les lycéens au lieu de les traiter comme des quantités négligeables, Joëlle Mazart devient instantanément un personnage qui crée du lien avec le spectateur (à la condition, j’imagine, que le spectateur se sente plus proche des lycéens que du Proviseur, mais la série fait tout pour présenter celui-ci, si ce n’est comme ridicule, au moins comme ridiculement obstiné).
Mais pour la même raison, Pause-Café est aussi une forme de nostalgie simpliste. Dans le monde de Pause-Café, les problèmes les plus graves semblent être l’obtention d’un panneau d’affichage (un personnage secondaire cherche aussi un endroit où s’entraîner à la guitare, un autre adolescent est poussé par son père à devenir ingénieur, un élève a de bonnes notes à l’anglais écrit mais pas à l’anglais oral… vous voyez l’ambiance). Il ne semble rien arriver de réellement difficile aux élèves, et donc les problèmes que Joëlle doit résoudre semblent eux-mêmes positifs.
Cette nostalgie du « problème heureux » n’est pas en soi condamnable, bien-sûr ; foule de séries produites pendant les décennies passées ont présenté leur époque comme idyllique, passant sous le tapis les difficultés les plus terribles et présentant la résolution de conflits sous un jour quasiment paradisiaque. Qui n’a pas la nostalgie de l’époque Pause-Café en voyant que le plus gros problème de Joëlle Mazart dans ce premier épisode… est précisément qu’aucun élève ne semble avoir de problème, et qu’elle n’a donc rien à faire à part remplir des dossiers de bourse ! Du moins, jusqu’à ce qu’elle se passionne pour le fameux panneau d’affichage…
A regarder l’épisode introductif de Pause-Café, on en oublierait que nombre des problèmes d’aujourd’hui ont pris leur racine à l’époque, et que nombre des problèmes d’aujourd’hui se produisaient déjà voilà trois décennies. Bien-sûr, Pause-Café, dans sa bienveillance et sa douceur, ne veut surtout pas parler de ça ; en soi je ne le lui reproche pas, mais en revanche je conteste que Pause-Café soit présentée comme le reflet de la France d’hier, la France d’avant que les choses tournent supposément au vinaigre. Comme bien des séries des décennies passées, elle est surtout le reflet de l’image de la France d’hier, une image que la France avait d’elle-même, et que la première chaîne française passait à la télé pour se rassurer. C’est d’ailleurs également vrai au-delà de l’Hexagone.
Bien qu’accompagnant effectivement un tournant dans la conscience collective du pays (…qui aurait plutôt commencé avec mai 68 qu’à la fin des années 70, si on veut être tout-à-fait honnêtes), Pause-Café était déjà au moment de sa diffusion une série rassurante à l’excès, sous ses airs de vouloir « parler vrai ».
C’est là tout le problème de la nostalgie, après tout : cette réécriture du passé comme d’une période forcément meilleure que le présent. Regarder des séries des décennies précédentes peut soit rappeler que cette image d’Épinal est erronée, soit au contraire nous encourager à cette nostalgie surannée. Regarder Pause-Café aujourd’hui, c’est déjà choisir.