Vous allez dire que je suis perpétuellement insatisfaite, et vous aurez raison. Mais voilà : je m’apprête une fois de plus à râler quant à certains choix de séries qui sont importées ou non sous nos latitudes.
Pendant la journée d’hier à Séries Mania, par le hasard du calendrier, je me suis retrouvée devant deux fictions dont les thématiques sont assez voisines, quand bien même elles sont différentes sur bien des points : la série allemande 4 Blocks et la série russe Salam Moskva. Toutes deux font le choix de parler d’une minorité ethnique (turcs et arabes dans l’une, avars dans l’autre), mais aussi religieuse (il s’agit chaque fois de musulmans, dont certes la pratique varie d’un personnage à l’autre). Toutes deux présentent ces personnages comme baignant dans le monde du crime organisé, et touchant de près ou de loin au trafic de drogues.
Hm. C’est sûrement un hasard. Il y a des tas de séries, présentées à Séries Mania et plus largement présentes sur nos écrans, qui permettent de regarder des personnages arabes et/ou musulmans. Plein ! Par exemple, euh… Cannabis. Ah non attendez, Cannabis aussi parle de crime organisé et de trafic de drogue. Je crois que c’est la première fois de ma vie que je suis soulagée de penser à Jour polaire / Midnattssol ; il y a quand même aussi Chérif, bien que je ne la regarde pas.
Toni Hamady, un beau personnage musulman, mais quand même trafiquant.
Face à ce choix d’importer des séries qui effectivement ont choisi un contexte très précis pour parler de ces minorités, où sont les séries venant du monde arabe ? Même en salle des collections (l’espace réservé aux accrédités, qui leur permet de visionner notamment des séries n’étant pas projetées au public), on n’en trouve pas cette année ; l’an dernier il n’y en avait qu’une seule, le legal drama Qalb Al Adalah, une série des Emirats Arabes Unis qui ne sera probablement jamais acheté par aucune chaîne malgré la présence au générique d’un Américain, William M. Finkelstein, qui aurait pu servir d’argument de vente. Dans Qalb Al Adalah, l’héroïne était une avocate, son père était avocat, et les affaires étaient aussi peu glauques que possible (l’un des clients était un poète qui voulait attaquer son éditeur en Justice, c’est vous dire si c’était l’opposé de glauque).
Ce portrait positif de personnages à la fois arabes et musulmans, vous ne le verrez donc jamais. Ni lui, ni un autre portrait similaire.
Ecoutez, je vais vous dire ce que je vous ai dit l’an dernier, et l’année précédente : je suis consciente qu’on ne peut pas tout demander à un seul festival. Pas plus qu’on ne peut tout attendre d’arte lorsqu’il s’agit d’acquérir les droits des séries internationales que nous dévorons en partie lors dudit festival, ce qui est souvent notre réflexe aussi. A un moment, la question de la « diversité » que nous attendons dans nos consommations télévisées, elle vient aussi d’une diversité de sources, et c’est un mécanisme plutôt logique quand on y pense. Vous voyez, même à moi il arrive d’être raisonnable !
Mais à un moment il faut tout de même se poser la question de savoir si, à travers les séries qui obtiennent le sésame d’une projection ou diffusion grand public, et à travers celles qui ne l’obtiennent absolument jamais, on ne fait pas des choix politiques, et surtout si on n’influence pas la perception des spectateurs.
La question de la représentation des personnages arabes et/ou musulmans va bien au-delà des séries qui sont, ou non, proposées à Séries Mania, évidemment. D’ailleurs vous trouverez mille personnes mieux informées que moi (et plus concernées au premier chef, surtout) pour vous parler de la récurrence dangereuse des portraits négatifs dans ce domaine.
En fait je crois que je me sens plus préoccupée par la question actuellement parce que, dans quelques jours, un certain nombre de festivaliers de Séries Mania se présenteront dans les urnes. Or, si l’on part du principe qu’une série véhicule des messages, s’ancre dans la société, et exerce un soft power culturel voire idéologique sur ses spectateurs (…et si on ne le croit pas, que faisons-nous à Séries Mania ?), comment ignorer que les représentations visibles pour les amateurs de séries même les plus curieux sont extrêmement orientées ?
A l’avenir, il va falloir commencer à se poser des questions importantes, collectivement (pas juste au niveau des programmateurs de festival, ou des directeurs des acquisitions des chaînes… mais là aussi), sur les séries qui ne nous parviennent jamais.
Sur le fait que la Turquie est le deuxième plus gros exportateur mondial et qu’on n’en trouve trace nulle part en France, y compris dans des contextes où pourtant la curiosité est brandie comme étant la règle. Sur le fait que le Ramadan, c’est chaque année plusieurs dizaines de séries dont pas une seule ne parvient au public francophone (je ne parle pas d’importer une série religieuse comme Omar, mais déjà juste un thriller ou un drame social, voire pourquoi pas une série historique). Sur le fait que ces séries existent, qu’elles ne parlent pas forcément d’activités illégales (trafic, terrorisme…), et qu’on leur préfère systématiquement celles qui en parlent.
Les séries qui nous sont montrées en disent au moins aussi long sur nos préconceptions que celles qui ne le sont pas. Demandons à voir le monde dans toute sa variété, plutôt que de nous contenter d’une vision partielle, déformée, et étrangement homogène. Nous n’en attendons pas moins des séries américaines ; il est grand temps de l’exiger des autres.