Le 4 avril dernier, le scénariste, réalisateur et producteur Daniel Berman s’est installé avec une pizza chez lui pour regarder la diffusion du premier épisode de la série hispanophone Supermax… et il a alors pris conscience que, je cite : « c’est quand même super d’avoir la télévision ». Pour ce cinéaste qui jusque là n’avait encore jamais travaillé pour le petit écran, c’était peut-être une pensée un peu plus nouvelle que pour vous qui me lisez, mais les faits sont là : Supermax, projetée au public lors de Séries Mania, nous rappelle que la fiction sérielle est quand même une fichue belle invention.
A l’origine, Supermax est un concept inventé au Brésil par trois scénaristes lusophones : José Alvarenga Jr., Marçal Aquino et Fernando Bonassi. Le concept plait à la chaîne Rede Globo, qui commande une première saison en vue d’une diffusion à l’automne 2016… mais va aussi plus loin. Pour la première fois, la télévision publique veut en effet produire une série hispanophone à destination du reste de l’Amérique du Sud (la plupart de ses voisins parlent en effet l’espagnol).
Il ne s’agit pas, cependant, de simplement traduire les scripts et les tourner avec d’autres acteurs, mais bien d’en faire un projet indépendant, amené à évoluer par lui-même à partir du concept de la version de Supermax créée au Brésil. Le projet est confié à Daniel Berman, également sous le titre de Supermax ; il vient donc de démarrer en Argentine et va progressivement être diffusé en Amérique latine et en Espagne dans les mois qui viennent. C’est lui que nous avons découvert hier soir.
Les comparaisons s’arrêtent là : bien que partant d’une même idée principale, les deux Supermax ont chacune leurs histoires, leurs thèmes, leurs développements, leur traitement, aussi. La version brésilienne est apparemment plus horrifique si j’en crois mes sources sur le sujet ; j’aimerais pouvoir vous le confirmer mais les séries brésiliennes ne nous parviennent quasiment jamais.
Une émeute sanglante, réprimée dans la violence, a conduit voilà plusieurs années à la fermeture d’une prison isolée dans un désert de sel ; bien des années plus tard, la prison trouve une étonnante seconde vie lorsqu’elle est utilisée par la production d’une émission de télé réalité.
Supermax s’intéresse clairement à ce que si produit lorsque la prison devient un studio de télévision géant, mais cela ne signifie pas qu’elle néglige les événements de l’émeute. Loin d’être simplement mentionnés en passant, ceux-ci monopolisent au contraire un quart à un tiers d’épisode environ (à vue de nez, hein : je ne regardais pas franchement ma montre pendant la projection !), et leur violence est détaillée dans toute son horreur.
Tout a commencé un 31 décembre à minuit exactement : les prisonniers s’étaient organisés pour lancer une offensive depuis le réfectoire. Les premières minutes de la révolte semblent tourner à leur avantage : de premiers gardiens sont brûlés vifs, incapables de se défendre sous l’effet de la surprise, d’autres sont égorgés, la foule de taulards en colère semble progresser dans la prison, dévastant tout sur son passage. L’intervention des unités anti-émeutes, toutefois, les coupe vite dans leur élan ; les premiers prisonniers sont éliminés par des tireurs d’élites, d’autres sont roués de coups, et à partir de là… A partir de là Supermax commence à ne plus être simplement violente mais aussi terrifiante : les gardiens semblent autorisés à tuer, voire même exécuter, tout le monde et n’importe qui.
Nous, nous avons suivi cette émeute en partie à travers les yeux de deux prisonniers pas comme les autres. Lorsque l’émeute a commencé à la cantine, ils n’ont pas bougé. Ils n’ont pas suivi le mouvement. Ils sont restés assis, et ont attendu patiemment que tout le monde se soit dirigé vers d’autres zones de la prison, afin de se glisser ni vu ni connu par un tunnel dans la cuisine, derrière un frigo. Manque de chance, leur cavale est amputée alors que le tunnel s’effondre, et ils sont contraints de retourner dans les parties communes de la prison. C’est là que l’un d’entre eux est abattu de sang froid par un tueur d’élite, alors qu’il ne faisait rien d’autre que marcher appuyé contre son ami.
A la violence de l’émeute elle-même (et quiconque a vu Oz sait que rien que ces circonstances peuvent prendre à la gorge), s’ajoute donc la violence du système carcéral, qui s’exprime ici hors de tout contrôle. Les gardiens ne sont supervisés par personne, semble-t-il ; ils n’ont l’air de craindre de rendre de comptes à personne, franchement. Les heures qui suivent nous indiquent qu’ils sont autorisés à torturer et éliminer les prisonniers un peu à leur guise. En particulier, la présence dans la cour de la prison de cages à ciel ouvert (…on est en plein milieu du désert) fait froid dans le dos. Supermax n’a, à en croire les deux épisodes proposés hier, aucune mais alors, aucune intention de critiquer cela. Juste d’en exposer la violence la plus crue.
Imaginez donc qu’après avoir assisté à ce carnage, les images suivantes que propose Supermax sont celles du trailer d’une nouvelle émission de téléréalité, justement appelée Supermax, sur le point de commencer dans la prison du désert de sel. Un trailer qui inclut des néons, des danseuses, et tous les clichés de reality tv. Le summum du mauvais goût. Avec un arrière-goût de ferraille dans la bouche.
Le concept de Supermax est dérangeant, mais pour d’autres raisons : 8 candidats, filmés 24 heures sur 24 dans une prison de haute sécurité, doivent surmonter des épreuves toujours plus violentes pour tenter de gagner un million de dollars en étant traités comme des prisonniers. La seule autre personne à se trouver dans la prison avec eux est le présentateur, Orlando, qui à la fois opère les cameras et s’assure du bon déroulement du jeu (pas faute d’avoir réclamé un assistant à la production). Ils sont donc là, seuls tous les 9, dans cette prison coupée du monde.
Enfin, probablement seuls.
Supermax est hybride : un mélange de série carcérale, de critique de télé réalité (pas trop acerbe, parce que ce n’est pas le propos ; l’idée est plutôt d’ajouter au malaise ambiant), de radiographie de la folie humaine (le seul bagage que les candidats ont tous apporté est psychologique), de thriller, et d’épouvante. Parfaitement, de l’épouvante, même si pour le moment ce serait plutôt « à maux couverts » : la prison abrite de terribles secrets dont on ne perçoit pas entièrement la gravité, mais qui commencent à faire froid dans le dos. Que cherchent plusieurs des personnages dans les profondeurs de la prison ? A quoi conduit le plan que l’un d’entre eux a emmené discrètement avec lui ? Pourquoi l’un des anciens taulards de la prison est-il revenu, des années plus tard, pour être enfermé avec les autres candidats ? Et pourquoi la production de Supermax semble-t-elle de moins en moins investie dans l’émission, si c’était possible ?
Ce n’est pas avec moi que vous trouverez les explications, les deux épisodes vus hier offrant plus de questions que de réponses. Je suis facilement effrayée par l’ambiance de la série, et absolument horrifiée par le degré de violence dépeint à divers moments de la timeline de la série… mais je ne demande qu’à découvrir quels secrets cache Supermax, l’une des séries les plus inventives du moment, quoique dans toute son horreur.
Daniel Berman a raison : c’est quand même super d’avoir la télévision. Il ne manque plus que de pouvoir regarder Supermax dessus.