On est dimanche et les festivaliers sont donc loin d’avoir tout vu à Séries Mania, je vous l’accorde, mais je crois que j’ai trouvé la série la plus décalée de l’événement ! La mauvaise nouvelle, c’est qu’elle n’est disponible en visionnage que pour le personnel accrédité, mais ne vous en faites pas, je vous raconte tout pour que vous puissiez commencer à faire du lobbying auprès de votre diffuseur préféré pour que cette série finlandaise nous parvienne.
Cette série, c’est Myrskyn Jälkeen, une étrange série policière qui échappe à toute classification. La série se déroule 6 mois après que la terrible tempête Tuula ait ravagé le pays (aucun rapport avec Als de dijken breken dont on parlait ce midi) et laissé le pays dans un état chaotique, de nombreux services n’ayant toujours pas été restaurés sur le territoire finlandais lorsque commence la série.
Mais Myrskyn Jälkeen ne veut pas exactement parler de cette catastrophe, en fait : elle s’intéresse à un groupe de policiers, et en particulier à Rauni Kolehmainen, une officière de police qui tente de bien faire son boulot dans un monde devenu fou, et alors que sa vie familiale est en train de partir en sucette aussi.
Dans Myrskyn Jälkeen, rien n’est ouvertement drôle, mais beaucoup de choses sont absurdes. Le ton a priori naturaliste de la série ne fait en réalité qu’accroître l’impression de décalage de certains éléments discrets.
Lorsque le premier épisode commence (je n’ai pas vu les deux autres mais aimerais en avoir le temps et la possibilité), cela fait donc 6 mois que Tuula a frappé la Finlande et les gens semblent avoir pété une durite. Il y a une scène pendant laquelle deux flics en patrouille dans leur voiture roulent sans échanger le moindre mot, filmés en plan fixe par la camera embarquée à bord de tous les véhicules de police, alors que défilent des appels sur leur radio… des appels de l’ordre du braquage d’un fleuriste (« gardez l’œil ouvert sur tout suspect portant beaucoup de fleurs ») ou un homme ayant décidé de vider un extincteur sans raison dans le rayon lingerie féminine d’un magasin. Le monde est clairement devenu dingue. Mais doux-dingue, car il ne s’agit jamais de crime absolument atroces.
D’ailleurs l’intervention à laquelle nous allons assister dans cet épisode, et qui va occuper les flics de la ville toute la matinée, c’est une prise d’otages… où le coupable n’a ni otage, ni même une arme. Il est simplement retranché dans le bureau d’un gynécologue d’où il hurle comme un damné qu’il exige de voir le dossier médical de son épouse, parce qu’il la suspecte de le tromper. Les flics font leur possible pour réagir à la situation, mais tous semblent légèrement incapables d’en juger la gravité et la dangerosité. Finalement le preneur d’otage se rend, toujours en hurlant certes, mais après avoir admis qu’il ne cherchait à faire de mal à personne. Il voulait juste qu’on lui donne accès au dossier…
Hm, je réalise en essayant d’expliquer pourquoi Myrskyn Jälkeen est un peu loufoque que son humour repose vraiment sur des subtilités qui se perçoivent essentiellement dans son ton, ainsi que dans le contraste entre ce qui se déroule et la façon dont les personnages le prennent au sérieux.
Peut-être que ce sera plus clair quand je vous aurai raconté que la police, dont les locaux sont en cours de réfection suite à Tuula, est forcée de partager temporairement les bureaux d’Yle, la télévision publique finlandaise. Les flics partagent donc leur cantine, entre autres, avec des journalistes et reporters ; de ce fait les deux entités ont un accord qui autorise Yle à tourner une émission quotidienne sur les activités de la police, ce qui ne manque pas de créer des problèmes, surtout lorsqu’il s’avère qu’un cameraman a été empêché de filmer la prise d’otage. Mais clairement les choses iraient mieux si le commissaire avait été joignable, or, toute la matinée, il n’a pas répondu à son téléphone. On finit par le trouver dans la salle de sport du commissariat en travaux, sur le trottoir en face d’Yle, où il a couru pendant près de 4 heures sur un tapis parce que… l’horloge de la salle de gym n’avait plus de piles.
Non, vraiment il est difficile de décrire Myrskyn Jälkeen, je m’en aperçois maintenant. A plus forte raison parce que son objet n’est pas exactement le travail policier, ou les déboires de la flicaille finlandaise, mais les relations interpersonnelles… D’ailleurs, son titre international de Myrskyn Jälkeen (pour les exécutifs qui se seraient perdus dans le coin et voudraient contacter le distributeur) est délicieusement nommé « Love & Order« .
L’héroïne de Myrskyn Jälkeen, c’est donc Rauni, une femme policier dans la quarantaine, mariée, mère de famille. Quelqu’un avec un solide sens du travail bien fait, et la tête sur les épaules pour le faire. Qu’un de fiable, mais qui ne gère pas aussi bien sa vie personnelle : ce matin-là, son mari Kai lui a appris qu’il voulait divorcer. Enfin, il le lui a crié, en fait, au sortir d’une visite chez le médecin qui n’a pu déterminer pourquoi celui-ci ne semble pas aller bien (« le dernier médecin que j’ai vu a dit que j’étais peut-être amoureux ! », s’exclamera Kai, désemparé, au cours de l’épisode ; « amoureux de qui ? », lui demandera-t-on … »mais je sais pas !!! »). En l’absence du commissaire, c’est Rauni, encore abasourdie par l’annonce de ce divorce qui sort un peu de nulle part, qui doit gérer la prise d’otage. Elle prend sur elle d’essayer de superviser les autres flics…
Certains ont leurs propres problèmes, comme ces deux officiers qui patrouillent ensemble et qui couchent ensemble (enfin, couchaient… eux aussi sont un peu en crise), ou ce policier expérimenté mais désœuvré. Et puis il faut parfois gérer des choses assez complexes, comme l’autorisation d’un spectacle érotique dans une patinoire : est-ce que ce n’est pas dangereux pour les chevaux ?
Il faut aussi ajouter que Myrskyn Jälkeen est la série finlandaise, voire la série du monde nordique dans son ensemble, affichant la plus belle diversité que j’aie jamais vu, et avec le plus grand naturel. Des personnages qui ne sont pas conventionnellement beaux occupent la plupart des rôles principaux : Raudi est une femme en surpoids dans la quarantaine (j’adore son unique coquetterie qui consiste à se remettre régulièrement du baume à lèvres rose dans les pires des circonstances), l’un de ses collègues et amis est également un homme en surpoids dans la même tranche d’âge (il a droit à une scène de douche, d’ailleurs, que j’ai trouvé vraiment belle), et ainsi de suite. On trouve aussi des personnages racisés, ou un médecin en fauteuil roulant.
Ils ont une vie amoureuse, ils sont capables de nudité, ils sont vulnérables de différentes façons… ce sont vraiment de beaux personnages. Bien que la série semble parfois un peu décalée, aucun de ces personnages n’est moqué, ni traité comme une blague ; la série porte au contraire une grande attention à leurs émotions, et à leurs interactions.
A la réflexion, c’est précisément le fait qu’elle soit difficile à décrire qui fait de Myrskyn Jälkeen une série à découvrir impérativement. Ce mélange improbable, cet humour légèrement caustique, cette radiographie des rapports amoureux, cette critique fine de certaines institutions aussi (le portrait fait d’Yle est vitriolique ; et, oui, c’est une série prévue sur Yle), ce désespoir teinté de folie douce, tout cela est unique.
Le premier épisode de Myrskyn Jälkeen s’intitule « Finland is in its best shape ever« . C’est aussi ce que dira le commissaire à la fin de cet épisode, alors qu’interrogé en direct par une journaliste d’Yle, il se lance dans un monologue passionné sur le fait que, je cite : « les policiers aussi sont des humains. Les policiers ne sont pas des machines. Il y a un être humain sous l’uniforme. Vous voyez ? On a de la peau comme vous ! Des poils comme vous ! Des parties génitales comme vous ! ». Démonstration à l’appui.
Oui, le commissaire nous fait un petit pétage de plombs dans les règles de l’art, ce qui n’annonce rien de bon pour les responsabilités de Rauni. Je l’aime tant, cette héroïne, et cette série dans son ensemble ! J’ai vraiment envie de savoir la suite. A vot’ bon cœur, amis directeurs des acquisitions.