Lorsque pendant Séries Mania, une série commence par un acte barbare, genre, mettons, au hasard, un homme dont le visage est défoncé au club de golf, plus personne ne s’étonne. Mais quand cette série s’avère non pas porter sur le crime lui-même, mais sur la vie de la coupable une fois qu’elle arrive derrière les barreaux, devenant alors une série carcérale, on dresse l’oreille.
Fangar, proposée dans les coulisses du festival pour un visionnage de la presse et des professionnels, est cette série. Malheureusement, vous ne la verrez pas en projection, alors permettez que je vous parle de ce drama islandais plein de rage.
Entrant directement dans le vif du sujet, Fangar met en scène une jeune femme qui, dans la maison familiale, a sauvagement attaqué son père. Cette agression, le spectateur la voit sans la voir : un mur nous sépare de la pièce où se déroule la scène, seuls quelques cris (féminins d’abord, puis masculins) nous permettant de comprendre ce qui se trame avant de voir la jeune femme sortir avec son club ensanglanté. Quittant la maison comme en état de choc, elle ne prend même pas la peine de payer le taxi qui l’attendait dehors ; c’est le chauffeur, en s’inquiétant du montant de sa course dans la maison, qui découvre le corps de l’homme. La police la cueille un peu plus tard alors que, comme un fantôme, elle faisait la queue à la caisse d’un supermarché. Se démenant comme une furie, elle est embarquée sans ménagement.
Pendant que le glaçant générique (jugez vous-même de la musique) s’écoule alors à l’écran, je réalise : nous ne savons pas son motif, nous ne savons pas son histoire, nous ne savons même pas son nom. Nous avons pourtant, bizarrement, déjà pitié d’elle. Je ne suis pas certaine de savoir pourquoi.
A son réveil en cellule, il ne lui faut pas plus de quelques secondes avant de céder à nouveau à la colère. Curieuse, aussi, son obsession pour le maquillage, quasiment la première chose qu’elle réclame à ses geôliers. Cela semble être la seule perspective, se maquiller, qui ait sur elle le moindre effet.
A mesure qu’avance le premier épisode de Fangar, nous apprenons que cette jeune femme s’appelle Linda, que sa sœur Valgerdur est récemment devenue une membre du Parlement, que sa mère Herdís la soutient toujours, que sa nièce Rebekka est effondrée… et que son père Thorvaldur est toujours en vie. Il est dans sa chambre d’hôpital, le visage démoli.
Bien qu’un avocat plutôt en vue ait été commis d’office à Linda, celle-ci est très pessimiste, à plus forte raison parce qu’elle refuse de coopérer et d’expliquer son geste. En attendant que la Justice statue sur son sort (elle risque 4 à 6 ans pour tentative d’homicide), elle est envoyée en détention provisoire dans l’unique prison pour femmes d’Islande.
Et alors là, je vous arrête tout de suite : ce que vous pensez savoir sur la prison (a fortiori la prison pour femmes), il faut vraiment l’oublier séance tenante. La structure où débarque Linda, toujours aussi furieuse d’ailleurs (bien qu’une altercation avec un gardien l’ait temporairement calmée), ressemble plus à une gigantesque colocation. Bien que ce ne soit pas le grand luxe, elle a sa propre chambre ; les détenues partagent en outre les espaces communs dont la cuisine, et certains vivent même avec leurs enfants. La série la plus proche de l’organisation de cette prison est éventuellement Unité 9, mais de loin. Après une inévitable fouille corporelle, et la découverte des conditions dans lesquelles elle est logée (son matelas a été souillé plusieurs fois par le passé !), sans parler de la confiscation de sa crème exfoliante hors de prix (peut-être la plus grande source d’indignation de Linda), notre criminelle passe sa première nuit en prison. La première mais, semble-t-il, pas la dernière.
Vous l’aurez peut-être remarqué, les femmes ne manquent pas dans Fangar : 4 générations de femmes d’une même famille occupent les rôles principaux, la prison est réservée aux femmes, gardée par des femmes… D’ailleurs au générique de la série, ça se retrouve : la série a été co-créée par deux femmes, développée par cinq personnes dont trois femmes… Cela se ressent dans de nombreux détails, comme par exemple la scène de fouille au corps, un passage obligé de toute série carcérale féminine, ici dénuée de toute gratuité, de tout voyeurisme, et pourtant forte à la fois dans sa vulnérabilité et dans son indignation. Même l’obsession de Linda pour le maquillage semble avoir plus de lien avec le visage qu’elle a besoin de présenter, qu’avec une superficialité creuse. A côté, son passé de toxicomane (la série ne dit pas clairement si elle consomme toujours) semble moins
Le plus saisissant dans Fangar, pourtant, c’est la colère constante de Linda. Elle a quoi, la vingtaine, peut-être à peine la trentaine ? Et pourtant plus de rébellion bout en elle qu’en la totalité des adolescentes de la planète. Réunies. Une colère qui se manifeste en permanence par de l’hostilité, mais qui ne signifie pas nécessairement qu’elle est violente, de façon à ne pas éliminer une question de la série : pourquoi Linda a-t-elle failli tuer son propre père ? Très vite, à son avocat, elle affirme avec véhémence que l’homme ne lui a rien fait. Alors pourquoi ? Et pourquoi sa mère est-elle si encline à prendre son parti ? Et pourquoi sa sœur, elle, s’y refuse-t-elle ?
Au-delà de ces interrogations, dont il ne fait aucun doute qu’elles seront abordées au cours de la série, Fangar veut aussi raconter autre chose, semble-t-il. Quelque chose sur l’expérience de Linda lorsqu’elle arrive en prison, et rencontre des femmes issues de milieux modestes, peu diplômées, peu considérées. Elle veut s’intégrer (on lui affirme qu’il y a une bonne ambiance dans le groupe), mais réalise dés ses toutes premières interactions qu’elle ne vient pas du même monde, et ne parle pas le même langage. Elle arrive dans ce monde carcéral dénué de violence mais où, paradoxalement, elle se sent comme agressée en permanence par le choc culturel.
A la fin de l’épisode, pourtant, une toute autre préoccupation la guette : l’état de Thorvaldur, laissant redouter le pire. Si le père de Linda meurt des suites de ses blessures, la jeune femme encourt cette fois 12 à 14 ans de prison…