Arrivée en gare de Fatale-Station. Population : 1804 têtes de pipe.
Et pas une de plus.
Fatale-Station, la série qui doit son nom au patelin, c’est l’histoire de ce patelin, de ses habitants, de leur routine… et d’une intruse. Sarah Dembski débarque un jour dans cet univers, et entreprend de s’y installer. Le problème c’est qu’elle n’est pas la bienvenue ; à Fatale-Station, on vit tellement en cercle fermé que la dernière arrivée d’une nouvelle tête remonte à deux ans (…et le malheureux Français qui a voulu poser ses valises au village est mort le deuxième jour).
C’est en particulier la glaciale Jean O’Gallagher qui annonce la couleur, et décrète que Sarah n’emménagera pas dans la bourgade. Et O’Gallagher ne manque pas de moyens de barrer la route à Sarah : elle possède en effet la moitié de la ville, salarie la plupart des habitants, et elle est, en outre, la personne qui a financé la campagne du maire François Lemieux (en toute honnêteté, c’est elle qui prend les décisions municipales pour lui). Malgré la réticence de Jean O’Gallagher, et par extension de toute Fatale-Station, Sarah insiste néanmoins pour s’établir sur place.
Proposée aux spectateurs québécois il y a quelques mois (et prochainement aux Français, je suppose, puisqu’arte co-produit la série), Fatale-Station aime à se décrire comme un western moderne. Je suis un peu sceptique sur ce qualificatif, qui me semble bien moins adéquat que pour Le Clan qui le réclamait aussi récemment. Une fois n’est pas coutume, je suis plutôt d’avis que les comparaisons avec Twin Peaks seraient plutôt à l’ordre du jour (et pourtant Dieu sait qu’on en voit trop souvent, des comparaisons simplistes à Twin Peaks ; tant pis, je prends le risque), tant la série repose en grande partie sur son ambiance et sur l’hostilité étrange des habitants de la ville dont elle porte le nom. Bien-sûr je ne suis pas en train de dire que les deux séries sont rigoureusement semblables : Fatale-Station n’a (au moins pour le moment) pas de meurtre en son centre, et Sarah n’a rien d’une enquêtrice aimant le café et la tarte à la cerise. C’est plutôt dans la façon dont cet univers clos vit que les ressemblances se trouvent.
Fatale-Station est une bourgade où il devrait faire bon vivre, mais où tout le monde semble étouffer. On n’échappe pas au regard des autres, à plus forte raison parce que tout le monde se connaît, et que tout le monde n’a connu que Fatale-Station ou presque.
La venue de Sarah est perçue comme négative par O’Gallagher simplement parce qu’elle représente une inconnue dans cette équation déjà explosive ; la vieille femme de commenter : « y’a d’autres villages, qu’elle s’en trouve un autre. Elle va vouloir un travail, elle va vouloir des amis, elle va vouloir un homme… qu’elle aille faire son dérangement ailleurs ». Le simple fait d’exister est une menace, surtout si cette existence ne peut être contrôlée par la O’Gallagher comme ce peut être le cas pour le reste de la communauté.
Pas de chance, Sarah a décidé que ce serait ici qu’elle s’installerait, et nulle part ailleurs. On se demande un peu pourquoi vu l’accueil qui lui est fait (il serait bon que la série explicite cela un peu plus que les raisons qui l’ont fait partir de là où elle habitait précédemment).
Outre la mise en scène de cette confrontation entre la vieille O’Gallagher et Sarah, Fatale-Station se fait un devoir de parler de ce à quoi ressemble la vie de nombre des habitants du patelin, en général (la grogne monte face à la main-mise de la puissante O’Gallagher) comme en particulier : Eddy le barman un rien philosophe mais sombre, François le maire qui a perdu toute envie de s’impliquer, Johanne son épouse catatonique, Jean-Pierre le politicien qui a des vues sur la mairie et toute l’énergie du monde pour la prendre d’assaut, Carolane la coiffeuse littéralement bloquée à Fatale-Station après les troubles de son mari avec la Justice, Ina la serveuse et également d’une des rares jeunes femmes célibataires de ce trou perdu, ou encore Céline, une aborigène vivant dans la communauté amérindienne voisine de Fatale-Station. J’en oublie sûrement.
Pour info il me semble bien que c’est la première fois que je vois une série canadienne francophone parler des questions aborigènes.
Le résultat est froid, à dessein. Il est légèrement intrigant, mais surtout inquiétant. L’atmosphère de violence rentrée (qui s’exprime ponctuellement, comme par hasard, essentiellement sur les femmes…) n’est pas nouvelle mais en même temps, suffisamment menée pour donner du caractère à Fatale-Station. Dans ce décor menaçant, Sarah parviendra-t-elle à mettre son ancienne vie derrière elle ? Je ne sais pas s’il faut le lui souhaiter…