Depuis ce matin et pour les prochains jours, je vous embarque à mes côtés au festival Séries Mania… et cela veut dire que vous allez également vous glisser avec moi dans l’espace réservé à la presse et aux professionnels, pour découvrir les séries dont le visionnage leur est réservé. Dans cette antre secrète, des séries du monde entier (…sauf l’Afrique) sont réunies, et je vais les reviewer pour vous, en plus des séries proposées en séance.
Pour commencer cette exploration des trésors cachés de Séries Mania, je vous propose une série de science-fiction colombienne intitulée 2091, et qui se déroule en… devinez.
Autant vous le dire tout de suite, il ne s’agit pas ici d’un coup de cœur, mais pas parce que 2091 repose sur une mauvaise idée, ou même de piètres effets spéciaux, mais parce que son épisode inaugural (sur une saison qui en compte six, au nom du ciel) est particulièrement laborieux. Le plus curieux, c’est que ces problèmes découlent d’un univers auquel son créateur Andrés Gelós a vraisemblablement trop réfléchi.
Du coup, la mise en contexte est longue. Très longue. On est partis : en 2091, les ressources de la Terre sont épuisées, comme par exemple l’Amazonie qui est devenue un désert. C’est également un monde où les e-sports de réalité virtuelle sont devenus à la fois une source d’escapisme majeure (voire parfois d’addiction), et de revenus. Le Gouvernement a décidé depuis de sévèrement réprimer le monde videoludique, d’éliminer les ligues officielles et de pourchasser les joueurs qui continuent de participer à des compétitions dans les bas-fonds du monde, les récidivistes étant même soumis à des mesures radicales grillant leur cervelle !
Bougez pas, il en reste. Des bas-fonds, il n’en manque pas, parmi lesquels New Manaus où réside la gameuse Lila Jalif. Bravant les interdits, cette ancienne compétitrice de e-sports se fait toujours quelques crédits online, dans des jeux de réalité virtuelle. Lors d’un raid de la police, ses activités illégales sont découvertes, et elle s’enfuit de chez elle. Dans sa fuite, elle est interceptée par un certain Monsieur Park, un homme mystérieux qui lui propose de le suivre à Destiny City (une ville propre et riche en ressources où une poignée d’élus mène une vie confortable) pour une compétition qu’il organise en secret.
C’est pas fini. Cette compétition est, promet Park, d’un genre nouveau. Elle met face à face plusieurs légendes du monde videoludique qui doivent s’affronter dans un jeu imaginé par la compagnie Neodimio, que possède Park ; le jeu est généré par une intelligence artificielle à la pointe du progrès, appelée Sonia. Le vainqueur de cette compétition recevra l’immense privilège de pouvoir vivre à Destiny City. En échange, Neodimio va se faire une fortune en permettant à quelques riches sponsor de miser sur le candidat de leur choix. Evidemment, il y a quelques clauses en petits caractères… les sept candidats ainsi recrutés ne peuvent pas jouer à un jeu de réalité virtuelle interdit par le Gouvernement ! Du moins, pas sur Terre. Neodimio a donc affrété un vaisseau devant les transporter sur Calypso, une lune de Jupiter en cours de terraformation ; sur place, le vaisseau leur servira de station où vivre ensemble et surtout jouer les uns contre les autres.
Yen a encore. C’est là qu’ils s’affronteront donc dans un jeu de guerre où chacun se retrouve à la tête d’une armée. Parmi les soldats de leur armée respective, chacun peut choisir un avatar à incarner (des connexions nerveuses permettent d’en ressentir alors toute l’expérience), dans le cadre de campagnes consistant essentiellement à récupérer un artefact (le « vital ») dans la base ennemie, ainsi que faire main basse entre deux raids sur les maigres ressources placées sur la carte. Des personnages non-joueurs appelés les Irkalis peuvent également les attaquer, généralement de nuit. Assez basique, donc, mais il faut que les joueurs restent prudents : mourir dans le jeu est définitif, et ils ne sont pas autorisés à continuer à jouer s’ils sont éliminés. Comme ils se trouvent sur une lune de Jupiter, leur élimination a des conséquences même assez désagréables : ils sont expulsés de la station via une capsule individuelle qui, selon la rotation de Calypso et quelques autres données astronomiques, peut donner lieu à un voyage allant d’une à deux années ! Le gagnant final, lui (ou elle), pourra revenir à bord du vaisseau spatial, qui étant équipé de chambres de mise en stase, n’a besoin que de 6 jours pour rallier la Terre, et donc permettre au vainqueur de commencer sa nouvelle vie à Destiny City.
Bien décidée à gagner, Lila Jalif embarque donc pour Calypso avec ses 6 opposants, parmi lesquels son ex, Ferràn…
Oui alors, ça, vous pouvez pas dire, hein : j’avais prévenu que ce serait long. Et le plus fort, c’est que ce que je viens de raconter, c’est juste la mise en situation. Ce n’est pas le coeur de son intrigue.
Celle-ci est révélée dans les dernières minutes du premier épisode. Une fois tous ces éléments mis en place de façon extrêmement détaillée (on parle d’une scène de plusieurs minutes où Lila fait mentalement le portrait de chacun des joueurs, en faisant l’inventaire de l’identité, l’origine, les forces et les faiblesses de chacun), ainsi qu’un premier rebondissement dans le jeu lui-même (Lila a couché avec Lodi, le plus narcissique de la bande, et a profité qu’il était endormi après l’effort pour aller liquider les troupes du joueur et voler son « vital »…), 2091 nous révèle que… même avec tout ce qu’on sait sur cette époque, cet univers, ces personnages et ce jeu, on ne sait rien.
La lune Calypso n’est pas en cours de terraformation : elle est déjà habitable. Elle est même habitée. Par, mais c’est sûrement un hasard, 7 factions qui sont en guerre les unes contre les autres. Ils ont été envoyés au plein cœur d’un véritable conflit !
Que vont faire les joueurs de 2091 ? Le dilemme moral est réel, car il leur est impossible d’arrêter le jeu : pour que les combats cessent, il faudra que quelqu’un gagne. Et Lila est résolue à gagner le plus vite possible, car elle a sur Terre un jeune fils gardé par une institution qui exige un paiement tous les 365 jours… Si elle perd à ce jeu, pour quelque motif que ce soit, son voyage de retour sera trop long !
Parlons boutique : 2091 a donc de solides idées (même si clairement, son créateur a lu Ender’s Game). Elle en a plein ! Ce n’est vraiment pas la série qu’on peut accuser de passer trop rapidement sur la construction d’un univers ou les circonstances de l’intrigue. Ou même les règles du jeu, longuement détaillées pendant plusieurs interminables minutes de ce premier épisode pendant que le joueur partant favori, Reznik, teste la demo sous nos yeux.
Au point parfois qu’on a l’impression que 2091 fourmille de détails inutiles, cependant. Tout ce qui est dit dans ce premier épisode méritait-il d’être dit, et méritait-il d’être dit d’entrée de jeu ? Ne pouvait-on pas laisser les personnages donner des éléments de leur background au fil de la série, par exemple ? La question se pose.
Elle se pose aussi parce que, ce que n’a pas forcément prévu 2091, c’est que ce jeu video, là… bah il est nul. Je ne veux pas parler de son principe-même, d’autant que comme on l’a vu il génère un twist important en fin d’épisode inaugural ; non, c’est surtout qu’à regarder, il est absolument chiant. Regarder les avatars des joueurs se tirer dessus dans la réalité virtuelle est totalement inintéressant, entre autres parce que le jeu ressemble à s’y méprendre à un FPS codé à la va-vite. Et franchement faut pas chercher à regarder à quoi ressemble l’UI du jeu, parce que c’est pitoyable. Des jeux comme ça, on n’en fait plus en 2017, alors j’ai du mal à comprendre l’engouement des champions d’e-sport en 2091…
C’est un défaut qui en rejoint un autre : 2091 cherche ostensiblement à impressionner au niveau des effets spéciaux (assez clairsemés cependant), mais le reste du temps, son esthétique emprunte plutôt aux séries de science-fiction des années 90, au mieux. Un siècle de décalage dans les dents. Visuellement, c’est quand même très moyen, pas toujours super bien filmé, voire même souvent grossier, et en fait globalement assez moche.
En soi je ne crois pas qu’une série commettant des bévues esthétiques, même si elle appartient à la science-fiction, soit passible de la peine de mort. Mais quand on ajoute à cela les longueurs de l’exposition, qui font qu’on n’a souvent que le décor et la réalisation sur quoi reporter son attention… ça devient très gênant.
Et pourtant, quand j’ai fini cet épisode de 2091, dans la Batcave de Séries Mania, j’étais plutôt positive. Je me suis dit : c’est chouette de voir qu’il y a des séries de SF qui se donnent du mal de par le monde. La science-fiction, on la connaît essentiellement sous ses traits anglophones (USA, Canada et Royaume-Uni formant les grands pôles de production), et je suis toujours contente de voir ce qu’en font d’autres contrées. J’ai envie de donner sa chance à une série qui prend en compte autant de paramètres pour raconter son histoire de la façon la plus complète possible. Je ne suis pas convaincue qu’Andrés Gelós ait joué à un seul jeu video pendant la décennie écoulée, mais je ne doute pas un instant qu’il maîtrise sa mythologie, ses personnages, et probablement le propos vers lequel se dirige 2091.
Le côté indigeste est difficile à surmonter, avouons-le. Peut-être qu’il aurait mérité de durer plus longtemps, ce premier épisode (les introductions de durée double ne sont pas dans la culture télévisuelle sud-américaine), ç’aurait arrondi quelques angles. Certaines scènes longuettes de pure exposition auraient ainsi pu être distillées dans d’autres types de scènes, qui sait. J’aurais moins eu l’impression d’assister à une litanie de données factuelles sur la série que je cherche à voir, mais qui ne commence pas vraiment.
Il ressort une grosse impression de « c’est dommage » du premier épisode de 2091, mêlé de façon étrange à une envie puissante de tout de même donner sa chance à la série. Bon sang, il suffirait de diffuser 5 malheureux épisodes suivants… mais je ne suis pas convaincue que des diffuseurs sous nos latitudes pensent que les défauts de 2091 compensent ses qualités. Surtout pour une série de genre. Il faudra donc faire sans…