Celui avec les amis d’enfance

13 avril 2017 à 9:54

Le mois dernier, l’envie m’a prise de revoir le pilote de Friends. Une chose en entraînant une autre, me voilà bientôt à finir la première saison, puis la deuxième… vous-mêmes vous savez. Résultat des courses, 236 génériques plus tard et les paumes rougies, je me suis fait une intégrale de Friends.

Vous êtes donc sur le point de vous attaquer à une review globale de ces 10 saisons, et je précise pour la forme mais vous l’aurez compris : il va s’agir d’un article très bavard. C’est ce qui arrive quand on essaye de parler d’une décennie de Friends… du moins, en attendant que quelqu’un soit capable d’allonger le cash nécessaire à une saison de réunion. Allons, vous et moi savons que Netflix y a pensé.

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Celui avec les vieux amis

Depuis quelques années, je me suis mise à regarder des sitcoms plus anciens. Intégrés à ma pratique téléphagique, ces marathons de « vieilleries » me permettent de parfaire ma culture téléphagique, de rattraper les séries que j’ai peu ou pas du tout connues à l’époque de leur diffusion (…parfois parce que je n’étais pas encore un embryon au moment de leur diffusion, parfois pour une autre raison moins poétique), ou tout simplement de voir des classiques que j’avais parfois « mal » regardés la première fois. Après avoir vu ou revu des séries comme Three’s company, The Golden Girls, The Rapist Show, Roseanne, Will & Grace, ou encore Madame est Servie l’an dernier (quelle aventure !), Friends était vouée à passer un jour à la casserole.

Le problème initial était que, plus encore que les autres séries de cette liste, Friends est à mes yeux un tendre classique.
Bien-sûr, c’est un classique aux yeux de pas mal de monde, et son succès immense n’est un secret pour personne ; Friends était de son vivant une série absolument incontournable, et ce à tous les égards puisque, outre sa popularité démentielle, son statut de série multi-rediffusée l’a rendue absolument impossible à ignorer. Son accessibilité, jadis et depuis lors, joue sur son statut : rares sont les sitcoms américains des années 90 à avoir obtenu une telle place dans les grilles des chaînes françaises, pendant et au-delà de leur production. Peut-être parce que nous regardions d’autres sitcoms plus français, peut-être par snobisme institutionnalisé envers la comédie, allez savoir ! C’est une période troublée de notre passé téléphagique commun qu’il n’est jamais vraiment bon de remuer…

Au-delà de ça, Friends est l’une des rares comédies que je regardais dans les années 90, non pas parce que j’avais pour elle le type d’affection que je peux porter, par exemple, à Une Nounou d’Enfer, mais parce que c’était l’une des rares séries qui me faisait me sentir normale. Pour rappel, au milieu des années 90, ma série fétiche était SPACE 2063, pas vraiment un objet de culte pour mes camarades de classe, qui en ignoraient jusqu’à l’existence ! Une fois mon deuil fait, j’ai embrayé sur Invasion Planète Terre et là encore, je n’étais pas trop dans le mouvement général…
Le sentiment d’appartenance à une communauté de spectateurs partageant les mêmes goûts, et donc les mêmes références, était donc accessible uniquement en regardant Friends pour moi (j’avais bien tenté de me mettre devant Beverly Hills, mais à un moment il ne fallait pas trop m’en demander non plus ; plus tard j’ai mis deux saisons avant de me mettre régulièrement devant Buffy, mais c’est une autre histoire pour une autre lapidation publique). La comédie était, qui plus est, souvent diffusée pile en fin d’après-midi, en rentrant du collège/lycée, c’est-à-dire l’un des créneaux horaires où la télévision avait le moins de chance d’être gardée par mon cerbère de père. En primetime, je n’aurais pas eu la possibilité de la voir aussi souvent ! Il était en fait quasi-impossible pour moi, dans les années 90, de voir tous les épisodes d’une même série via la diffusion télé…
Mais Friends réunissait toutes les conditions nécessaires à s’installer dans ma vie téléphagique à moi aussi, quand bien même celle-ci était atypique. Dans un monde où je dépendais à la fois des diffuseurs ET de l’absence d’au moins un de mes parents pour pouvoir suivre une série de façon régulière, c’était important. Résultat, Friends est l’une des rares séries que j’ai pu voir… comme une série, c’est-à-dire régulièrement.
C’est aussi l’une des rares séries que ma sœur et moi avons regardée ensemble, et pour un duo de frangines n’ayant absolument pas les mêmes goûts, c’était une nuance d’importance.

Ainsi, je n’ai jamais pensé que Friends était la meilleure série au monde, mais elle avait le mérite d’être là, d’être accessible à bien des égards, d’être facile à partager aussi, d’être un point de connexion avec d’autres, et finalement, elle était un peu vouée à obtenir ce statut de « culte » quelles que soient ses qualités intrinsèques, voyez…

Quand j’ai réalisé que j’étais en train de m’attaquer à un marathon, et pas simplement à un petit épisode par-ci par-là, j’ai été prise de panique pour toutes ces raisons. Se lancer dans un marathon d’une telle série, ce n’est pas anodin. Revisiter une série ancienne (car oui, faites-vous à cette réalité, Friends est vieille, elle a démarré il y a quasiment un quart de siècle) est une chose, mais revenir sur une série avec laquelle on a une histoire longue et unique en est une autre. Comment revoir ces épisodes, qu’en plus j’ai le sentiment de connaître par cœur ? (même si je ne l’ai pas revue depuis environ 7 ans)

La mission allait être de m’extirper de tous les souvenirs, dus plus à mon histoire téléphagique qu’à mon affection pour la série elle-même d’ailleurs, afin de regarder Friends pour ce qu’elle est. Et peut-être, juste peut-être, tenter d’en écrire une review honnête.

…Challenge accepted.
Une fois qu’on met de côté la nostalgie, l’effet de popularité, l’impression de tout connaître par cœur, et tout le reste du bruit qui entoure Friends, la série devient plus facile à passer au microscope. Le temps qui passe et le recul aident à faire la part des choses, au final. Peut-être pas sur tout, mais sur beaucoup. Et le résultat, le voilà.

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Celui avec les mauvais amis

Même après deux semaines (oui, deux semaines) passées avec les amis du Central Perk, je ne suis toujours pas capable de dire exactement ce qui les rend si attachants. Pourtant les faits sont là.
Chandler, Monica, Rachel, Ross, Joey et Phoebe sont notoirement de mauvaises personnes, et la formule de la série elle-même n’a rien de révolutionnaire, mais Friends fonctionne, même en essayant de mettre la nostalgie de côté.

C’est en partie une question de rythme… On oublie facilement (surtout à force de voir et revoir les épisodes) combien Friends peut être hautement feuilletonnante. J’irai même jusqu’à dire que c’est un véritable soap.
Dans Friends, pas question de rendre les épisodes visibles dans le désordre (les chaînes étrangères, en France comme ailleurs, ne s’en sont pourtant jamais privées). Un épisode a certes suffisamment d’intrigues individuelles pour sembler bouclé, et c’est un peu ce que rappelle la structure gimmick des titres d’épisodes, mais en réalité il appartient à une continuité. La vie amoureuse des six amis sert ainsi de fil rouge constant pendant 5 à 6 saisons ; cela s’atténue ensuite, puis, souhaitant clairement jouer sur ses forces, la série revient à une feuilletonnisation systématique en saison 8 (même si c’est essentiellement pour répliquer les recettes d’antan au niveau des romances à l’intérieur du groupe d’amis).
Très tôt, peut-être parce que son succès est rapidement tenu pour acquis par ses scénaristes, Friends part du principe qu’aucun rappel à des faits antérieurs n’est nécessaire. Vous voyez le truc que The Big Bang Theory fait, chaque fois que la série veut utiliser un évènement issu d’un épisode précédent ? Si, vous savez, cette structure « rappel du fait > gag intermédiaire > gag sur le fait » ? Eh bien Friends n’éprouve jamais le besoin de procéder à ce rappel, elle compte sur le fait que ses spectateurs la suivent assidument et se souviennent de qui est sorti avec qui, comment, pourquoi, dans quelles circonstances ça s’est fini, et bien plus. Certains gags récurrents n’interviennent pas plus d’une fois par saison (dans le passé de Phoebe, par exemple), mais la série considère que cela suffit et que cela n’empêche pas la blague de fonctionner, précisément parce qu’elle est consciente de sa haute feuilletonnisation.

…Mais c’est aussi autre chose, de moins structurel, de plus impalpable.
Friends se veut être une série sur le passage à l’âge adulte, illustré par la trajectoire de Rachel qui sert de tutorial aux spectateurs. Friends s’enorgueillit d’accompagner ses spectateurs, qu’elle estime être du même âge que ses protagonistes, à travers le dédale de codes de la « vraie vie », du paiement des factures au lancement d’une lessive réussie, en passant, bien-sûr, par les rencontres amoureuses.
Les premières saisons sont remplies de répliques, si ce n’est d’intrigues, soulignant combien à la fois les six protagonistes sont en train d’apprendre à se comporter en adultes, mais aussi combien cela leur est difficile, voire déplaisant (chacun à sa façon cultive assez tardivement une tendance à ne pas vouloir grandir…). La série se risque parfois à des discussions intéressantes sur les conséquences de cette progression variable ; l’épisode dans lequel les trois moins riches d’entre eux expliquent aux trois plus riches leurs difficultés financières est un petit morceau de bravoure du genre, par exemple.
D’une manière générale, pourtant, Friends fonctionne précisément parce qu’elle ne veut rien prendre au sérieux, en cela qu’elle ne veut pas parler de sujets importants. Ses personnages eux-mêmes le refusent (leur récalcitrance à parler culture ou science est affichée, et tant pis pour Ross qui aimerait bien discuter d’autre chose de temps en temps), et la plupart de leurs conversations portent soit sur des choses totalement superficielles (c’est particulièrement vrai dans les scènes au café), soit sur leur nombril et leurs préoccupations très terre-à-terre du moment. Des préoccupations qui consistent généralement à déterminer avec qui sortir, ne pas sortir, coucher, ne pas coucher, et ainsi de suite. Et quand ils ouvrent un journal, c’est pour se disputer sur des broutilles, jamais pour commenter l’actualité. Les Friends ne sont pas des intellectuels, soyons clairs… et cela joue dans leur succès.
Cette supposée simplicité authentique permet au spectateur de finalement se glisser dans leur peau avec aisance, sans être jamais gêné par leurs opinions politiques, mettons. Si l’on savait que Monica est encartée à la NRA (ça lui ressemblerait bien pourtant) ou que Joey verse de l’argent à Planned Parenthood (peut-être une façon de se donner bonne conscience ?), ce ne serait plus Friends.
Tiens, d’ailleurs, je ne suis même pas sûre que l’un d’entre eux ait jamais voté de sa vie (ya pas d’épisode là-dessus, visiblement voter ne fait pas partie des rites du passage à l’âge adulte pour les copains new-yorkais).

Et vous savez quoi ? Rien de mal à ça : tous les sitcoms ne sont pas obligés d’être des séries de Norman Lear.
Adultes, donc, mais surtout pas trop, comme ces potes que vous aimez bien voir précisément parce qu’ils n’ont pas changé depuis le lycée, et qui vous donnent l’impression qu’ils vous comprennent, tout en perpétuant l’idée que les choses, dans la vie, sont simples et faciles à cerner. Le genre d’amis que vous fréquentez parce qu’ils représentent un côté un peu puéril de vous-même. Friends, c’est avoir à grandir mais ne le faire avec d’autres grands enfants.

Et ça se retrouve dans le style d’humour de la série lui-même. Friends aime à mettre en scène des conflits ridicules, partant de trois fois rien et s’enlisant dans des bisbilles enfantines de niveau école primaire (aller surprendre l’autre sous la douche, porter tous ses vêtements en une fois, etc.).

Dans ses premières saisons, elle a également un étonnant ressort récurrent : jouer sur des scènes de trahison exagérée jouant sur les clichés des « vraies » trahisons. Le même type de scène revient ainsi régulièrement, dans lequel un des amis fait quelque chose de relativement anodin (aller du shopping avec la nouvelle petite amie de Ross, mettons), qui est accueilli par un autre ami comme la pire des déloyautés ; le dialogue qui suit systématiquement la découverte de l’infamie en question est métaphoriquement celui de la tromperie conjugale, sauf qu’ici cela se passe entre un couple d’amis, et non d’amants. Cette scène, quasiment à l’identique, est répétée à plusieurs reprises avec très peu de variations (découverte de la bavure ; accusations de tromperie ; révélations complémentaires sur l’ampleur de l’infidélité), qui ne peut relever du hasard… Tout l’humour de ce type de gag repose sur le parallèle, qui sous-entend donc que l’amitié des Friends se veut exclusive, radicale, fusionnelle. Une amitié enfantine, donc.

Mais si seulement c’était le seul problème de ces amis…

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Celui avec les faux amis

Vous vous attendiez sûrement à ce qu’on aborde cette question à un moment ou à un autre : Friends est idéologiquement très dérangeante, en dépit de ses apparentes tentatives pour n’avoir aucune idéologie.
Ce n’est pas simplement que Friends a des idées très rigides sur les rôles genrés (et associe à son sexisme l’homophobie, parce qu’adopter un comportement « féminin » et être gay c’est exactement pareil, bien-sûr) qui se glissent dans les dialogues de temps à autres. C’est qu’il ne se passe pas un épisode sans que la série ne remette en place l’un ou l’autre de ses personnages masculins à ce sujet.

Chandler est particulièrement visé, « bien-sûr », parce que fils d’une femme transgenre (misgenrée en permanence, mais au point où on en est). Et parce qu’apparemment l’homosexualité est génétique ? Faut croire. Mais il n’est pas le seul à être concerné pour autant. Joey est aussi terrifié en permanence de n’être pas perçu comme suprêmement viril, ce qui explique probablement son besoin de surcompenser en permanence. Quant à Ross, d’un épisode à l’autre, cela oscille : il est soit moqué comme Chandler, soit il est dépeint comme Joey, c’est-à-dire sous les traits d’un homme qui a quelque chose à prouver sur sa virilité. De nombreuses allusions (toujours supposément honteuses) sont également faites à propos du penchant que Ross avait, enfant, pour le travestissement. C’est incroyable comme j’avais oublié ce gag récurrent, d’ailleurs.

Les trois hommes se rappellent à l’ordre mutuellement à longueur de temps, mais même les femmes ont tendance à les sermonner ou à se moquer d’eux sur ce sujet, quand bien même elles semblent aussi, par ailleurs, lancer de réguliers appels du pied à leurs amis masculins pour accepter certaines choses féminines (vêtement, bain moussant, etc.). Cela participe à une ambiance de constante réprimande sur les comportements voire même les simples idées.
Quand bien même il arrive à Monica, Rachel et/ou Phoebe d’exhorter leurs compagnons à se décoincer un peu sur leur virilité crispée, c’est toujours dans une certaine limite. Il ne s’agirait pas d’être « trop » féminin, hein ? Non, la fenêtre est très petite, et si Chandler, Joey et Ross la ratent, ils se feront vite reprendre aussi.
L’épisode avec le « manny« , tardivement dans la série, est le plus explicite exemple de ce type de dynamique, pendant lequel Rachel passe son temps à louer le comportement « sensible » de l’homme engagé comme nourrice, s’irritant de la réponse épidermique de Ross qui le trouve TROP sensible… mais lorsque Ross finit par exprimer une sensibilité similaire à celle du manny, Rachel « traite » Ross de fille (une « insulte » régulière dans Friends) : tout l’épisode semble avoir été écrit pour aboutir à cette « blague » que Ross s’est féminisé hors du cadre autorisé.  Toute la chute est contenue là-dedans.
Le procédé prédate cet épisode, mais on peut dire que c’est là le sport préféré de Friends : chercher à prendre à défaut ses personnages masculins quant à leur masculinité. Toujours pour faire rire, jamais pour faire compatir.

Plus largement, toute référence au corps masculin et/ou à la sexualité masculine est systématiquement traitée de façon honteuse ; toute mention de la sexualité des personnages masculins principaux ou secondaires, allant plus loin que l’énonciation du fait que Joey a de nombreuses conquêtes, s’accompagne systématiquement d’un recadrage similaire.
Par-dessus le marché, cette masculinité est particulièrement toxique ; dans sa relation aux femmes, Joey est un Barney Stinson avant la lettre, et sans l’intellect, toujours prêt à tout pourvu de mettre une femme dans son lit… puis la jeter sans ménagement. A ce stade c’est de la prédation. Plusieurs épisodes suggèrent que traiter les femmes ainsi est la preuve de sa masculinité, et que ne pas le faire serait pour lui, pour une raison qui échappe à l’entendement, s’abaisser.
A côté de ça, Chandler et Ross apparaissent quasi-perpétuellement comme des losers dans le domaine amoureux, précisément lorsqu’ils n’adoptent pas ce comportement de prédateur. Chandler a peu de conquêtes féminines ; je n’ai pas calculé exactement mais des six amis, il passe sûrement le plus de temps dans le célibat total. Ross, lui aussi, est traité en déception (et ça devient pire à chaque divorce), sauf lorsqu’il est avec Rachel auquel cas il est tellement en demande qu’il en devient pitoyable quand même. Leur vie amoureuse n’est jamais assez glamour. Ils mendient tout le temps de l’affection, sont très souvent rejetés, généralement lamentables, y compris de leur propre aveu (le cheminement de pensée de Chandler dans l’épisode du blackout est évocateur dans le genre).
Mais comment vous voulez avoir une vie amoureuse et une sexualité saines quand vous vous censurez en permanence, et vous interdisez toute expression émotionnelle et/ou corporelle ?

rossisgayParce que Friends confond « féminité » et « homosexualité », cela explique la bizarre obsession de Friends pour les comportements « gay », qui sont forcément à éviter à tout crin.
En fait, si une série au monde personnifie la désagréable expression « no homo« , c’est bien Friends ! Dés que les garçons (généralement par tandem… parce que la « blague » ne fonctionne plus s’ils sont trois dans la dynamique, je suppose) opèrent un rapprochement quelconque, celui-ci est sanctionné par des rires. Les scénaristes sont sans pitié dans leur systématisme ! Qu’importe que ce rapprochement ne soit absolument pas sexualisé, le problème vient du fait que deux hommes sont impliqués. Cela signifie que la moindre accolade, la moindre discussion à cœur ouvert, la moindre confidence, et ne parlons même pas d’une petite sieste, est systématiquement objet de ridicule. Supposément ces messieurs sont amis, mais ils doivent en permanence se tenir à une distance « respectable » de leur pote, sans quoi quelqu’un, on ne sait pas qui, pourrait imaginer des choses. C’est vrai même quand il n’existe aucun témoin à leurs échanges ; le sous-entendu est que même le public doit toujours partir du principe qu’une interaction entre deux hommes renvoie d’abord à l’homosexualité, ensuite éventuellement, si cette possibilité à été écartée, à l’amitié.
Le présupposé est un véritable poison présent à longueur de temps, alors que les trois gaillards font déjà des efforts monstrueux pour prouver leur masculinité, et quand bien même qu’on peut difficilement douter de l’hétérosexualité des protagonistes à mesure qu’avance la série. Mais rien à faire.

Bizarrement on n’a jamais le problème inverse pour Monica, Rachel ou Phoebe : personne ne remet jamais en cause leur féminité si elles adoptent un comportement dit « masculin ». A l’occasion Monica est parfois dépeinte par des traits plus « masculins » (son esprit de compétition, en particulier, et parfois son autorité), mais s’il s’agit bien de construire des gags dessus, il ne s’agit jamais de corriger son comportement comme cela peut être le cas pour les garçons. D’ailleurs, contrairement à la féminité sévèrement corrigée des garçons, les traits les moins « féminins » de Monica ont toujours une utilité, surtout quand quelqu’un a besoin d’un bon dîner ou d’un coup de ménage… donc au final pour la renvoyer à des tâches « féminines », quand bien même ses intentions sont elles, de l’ordre du « masculin ».
Dans un même ordre d’idée, tout comportement évoquant même de loin le lesbianisme est encouragé au moins par Joey, ainsi que généralement par la série. Tout un foin est fait d’un épisode de la saison 7 dans lequel est révélé que Rachel a embrassé une amie à l’époque de la fac ; l’épisode inclut deux baisers entre personnages féminins (l’un d’entre eux se retrouvera même au générique de la saison suivante alors qu’il n’a strictement aucune conséquence). A côté de ça, Joey a échangé un baiser avec Chandler en saison 1 et Ross en saison 2, et que cela a systématiquement été traité comme honteux, sale et/ou risible. Et ça n’a certainement pas fait l’objet d’un titre d’épisode ! Deux faces d’une même pièce homophobe, n’en doutons pas.
Ne me lancez même pas sur Carol et sa partenaire Susan, cette review est assez longue comme ça.

Je peux comprendre que certaines séries vieillissent mal ; l’an dernier, j’en ai fait la brutale et, je dois dire, très morose, expérience pendant un marathon d’Une Nounou d’Enfer. Mais au moins cette dernière semblait-elle le faire par accident, comme malgré de bonnes intentions, et quoi qu’il en soit, même sans lui trouver ces excuses : seulement occasionnellement. Friends en fait une part essentielle de ses ressorts humoristiques et de ses conversations. Pas un épisode sans un ressort de ce type. Les scénaristes semblent parfois se lancer dans des contorsions incroyables pour réussir à caser LE gag viriliste et/ou homophobe qui semblait manquer à une scène n’ayant pourtant RIEN pour s’y prêter.
Cette insistance prouve que ce n’est pas l’âge, le problème de Friends, mais sa philosophie.

Et c’est sans parler du caractère éminemment possessif de Ross lors de sa relation avec Rachel (où quand bien même Rachel essaie de tenir un discours d’autonomie, certainement ce que Friends propose de monologue le plus féministe de toute son existence, le spectateur est quand même invité à prendre Ross en pitié plutôt que compatir avec elle). C’est sans parler de l’objectification de tout personnage féminin n’apparaissant pas au générique (à l’exception des rares femmes de plus de 30 ans apparaissant dans la série, comme la belle-soeur de Phoebe). C’est sans parler des attaques systématiques d’ordre grossophobe, contexte dans lequel en plus, Courtney Cox modifie son jeu chaque fois qu’elle enfile la combinaison grossissante (même dans l’épisode où elle est supposée être grosse à l’âge adulte), de façon à infantiliser Monica, et à la désexualiser totalement.
Punaise que cette série peut être épuisante si on n’est pas à l’image exacte des Friends et de leurs idées rigides sur ce qu’il est autorisé d’être.

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Celui avec les ex-amis

Avec le recul, revoir ces épisodes de Friends que je pensais connaître par cœur mais n’avais jamais pris le temps de regarder comme je regarde les séries aujourd’hui, m’a glacé le sang.

Rendez-vous compte que, adolescente, Friends était pour moi (ensuite en parallèle avec Sex & the City) LA série m’éduquant au monde et au passage à l’âge adulte. C’est elle qui m’a appris l’existence du concept de date, ainsi que les « règles du jeu » en la matière, et plus largement à quoi la vie amoureuse d’adultes était « supposée » ressembler. Pour moi, et pour d’autres de ma génération sans nul doute, Friends s’était posée comme la référence sur la norme de ce à quoi la vie devait ressembler. Sa popularité ne lui donnait que plus de poids à mes yeux. Si la série était si regardée et appréciée, c’est qu’elle devait dire quelque chose de vrai sur la façon dont il me faudrait envisager l’âge adulte.

Alors on peut passer des heures à décortiquer pourquoi ce sont des séries qui m’ont familiarisée avec ces « codes », et surtout à discuter du bien-fondé de ce phénomène, je vous l’accorde. Mais il reste que pas mal de dommage a été fait, et je le comprends d’autant mieux maintenant, par les messages véhiculés par Friends. (on réglera le compte de Sex & the City un autre jour ; non, la douleur n’est pas exquise).
Friends, à l’époque, m’apparaissait comme un idéal. Aujourd’hui je glapis d’horreur devant son propos, justement parce qu’elle m’apparaissait comme un idéal. VOUS AVEZ VU A QUOI RESSEMBLE CET IDÉAL ?!
La longue balade de Ross et Rachel, les amours chaotiques de Joey, l’évolution du couple Monica/Chandler, (la, euh… unique intrigue de Phoebe), ne sont pas toujours des buts à atteindre. Pourtant, en partie à cause de notre affection pour eux, en partie à cause des outils de la série évoqués plus haut, nous voulions être eux.

Pas de méprise : je n’aurais pas fini ce marathon, et certainement pas en deux semaines (ouiiiii, mais j’avais des jours de congés…), si Friends était totalement, absolument, irréparablement répugnante. Enfin je ne crois pas. Je n’espère pas. La nostalgie peut parfois s’accrocher, quoiqu’on en dise. Mais je n’ai pas autant ri que jadis j’ai pu le faire sur le canapé de cuir vert assise à côté de ma frangine, ça c’est sûr. En fait je n’ai quasiment pas ri pendant ce marathon, et ce n’est pas franchement bon signe.
Si je suis toujours capable de considérer que Friends est un must see, pour culture téléphagique (comment pourrait-on recommander de faire l’impasse sur la dernière série humoristique à avoir tenu la place de la série la plus regardée des Etats-Unis ?!), il m’est à présent physiquement impossible de la recommander sans un nombre très, très conséquent de mises en garde quant à son propos. Ses méthodes. Ses ressorts. On n’a pas toujours le patrimoine télévisuel qu’on aimerait.

Je quitte Friends après ce marathon en me disant : c’était à faire. Mais je ne le ferai plus jamais. J’ai regardé la série pour de bien piètres raisons à l’époque, et maintenant que je la regarde dans les yeux, j’ai compris ma leçon : Friends et moi, on n’est en réalité pas faites pour s’entendre.
Si pour vous c’est toujours la franche amitié, évidemment, faites comme si je n’avais rien dit.

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. akito dit :

    Je me demandais quelle était ton opinion sur cette série méga culte… Merci de m’avoir éclairé 🙂 Je me repasse intégralement certaines séries anciennes aussi, comme en ce moment Ugly Betty (qui pour le coup est à mon sens une vraie série gay friendly mais tellement trop courte…), mais Friends… Plus envie. Il y a quelques années j’en regardais encore des bouts de saisons ou des saisons, mais je pense que là ça y est, je les ai assez vus. Même si la série était une quasi drogue pendant ma vie étudiante, et même si encore maintenant les événements du quotidien me rappellent régulièrement des répliques de Friends. Et effectivement comme tu le dis, dans la série il y a des homos, mais il y a une vraie séparation, ce sont toujours « les autres » : l’ex de Ross, le mari secret de Phoebe (qui finalement devient hétéro d’ailleurs, occasionnant une « scène de rejet inversé » que j’ai toujours trouvée ridicule et d’un humour éculé), mais surtout pas les 3 héros (non, pas ceux du Club Do) ! Je n’aurais pas parlé d’homophobie, au contraire j’aurais cherché à excuser les auteurs : l’homosexualité n’étant plus un tabou, la série étant une comédie mettant en scène une bande d’amis hétéros, forcément les gays (et les gros aussi, oui ! Monica plus jeune, le gros tout nu…) en prendraient pour leur grade au nom de l’humour superficiel…
    Pour moi les héros de Friends restent attachants parce qu’à leur âge ou un peu plus jeunes, on aurait aimé vivre dans l’appartement gigantesque de Monica ou se retrouver sur la banquette kitsch mais ô combien conviviale du Central Perk ! 🙂

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