Othering

22 mars 2017 à 8:51

La raison pour laquelle la petite ville de Bellevue a encore des habitants échappe un peu à l’entendement. Pour commencer, il n’y a plus de travail depuis la fermeture des mines, et même si l’ouverture future d’une brasserie va peut-être arranger un peu les choses, les perspectives d’avenir sont rares, et limitées. En outre, voilà 20 ans, la ville a été le théâtre d’un meurtre sadique horrible, celui de l’adolescence Sandy Driver ; à ce jour, il reste irrésolu, ce pousserait n’importe qui à mettre ses affaires dans un pick-up et rouler sans plus tarder. Mais non. Des familles continuent de vivre à Bellevue, malgré tout. Peut-être un peu par la force de l’habitude. Peut-être parce qu’il n’y a nulle part pour aller.
Ou peut-être parce qu’elles tentent à tout crin de rendre Bellevue « normale ». D’en faire une ville canadienne comme tant d’autres, qui se passionne pour ses rencontres locales de hockey le vendredi soir, et ses dimanches à l’Église.

Annie Ryder n’est pas de ces gens-là. Bellevue a perdu toute normalité pour elle lorsque son père, un flic du commissariat local, est mort pendant l’affaire Sandy Driver. La route a été longue et chaotique pendant les deux dernières décennies, mais elle est aujourd’hui l’un des agents les plus proactifs de la police de Bellevue.
Toutefois, alors que le temps a fait son oeuvre, voilà que les vieilles souffrances ressurgissent, et rappellent Bellevue à son anormalité…

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Bien des éléments semblent persister à faire de Bellevue une série policière comme tant d’autres, surtout à l’ère de la Scandinavisation galopante du genre. Son héroïne policière mais atypique, pleinement introduite comme telle pour bien nous faire comprendre qu’Annie est différente des autres flics (…comme tous les autres flics de télévision), semble répondre aux clichés du genre, quitte à en rajouter. La mystérieuse disparition d’une nouvelle victime, dont certains détails commencent à évoquer une vieille affaire, est également de l’ordre de l’apparente redite. Le décor de ville pauvre gangrénée par la drogue, l’alcoolisme, le chômage, mais qu’un projet économique pourrait sauver, du moins l’espère-t-on, n’est pas non plus très nouvelle.

En donnant un peu de temps à ce premier épisode, pourtant, des choses émergent, lentement. Très. Il faudra sûrement un deuxième épisode pour le confirmer, mais Bellevue a quelque chose à dire sur le sentiment d’appartenance… et ceux qui ne le ressentent pas.

La disparition du premier épisode de Bellevue, celle qui rappelle à Annie Ryder l’enquête qui a mené son père à sa perte 20 ans plus tôt, porte en effet sur un joueur de hockey, Jesse. Lequel était semble-t-il, peu avant sa disparition, en plein questionnement sur son identité de genre. La disparition de l’adolescent a-t-elle un lien avec ce fait, qui n’est de notoriété publique que par accident ? Les réactions plus ou moins subtiles, plus ou moins nuancées, plus ou moins informées, sur la transidentité présumée de Jesse (après tout personne n’a trop osé lui poser de questions de crainte d’entendre la réponse) indiqueraient que ce joueur de hockey n’a pas forcément trouvé la bourgade la plus ouverte d’esprit pour vivre ses questionnements. Cela a-t-il fait de Jesse une cible ?
Au-delà de Jesse, Bellevue admet difficilement la différence. C’est ce qu’indique clairement le rapport qu’entretient Annie avec la nouvelle maire de la ville, qui personnifie la normalité. Une normalité affichée, revendiquée, quasiment aggressive… Annie Ryder se sent plus proche, paradoxalement, du père de Sandy Driver, l’une des rares autres personnes de la ville dont l’existence ait été changée à jamais voilà 20 ans, et qui y a perdu sa santé mentale ; elle aussi, après tout, a bien failli ne jamais se relever des traumatismes vécus deux décennies plus tôt.

Bellevue pourrait bien choisir d’explorer ce que signifie d’être changé à jamais par la ville-même qui tente à tout crin d’avoir l’air normale. Mais pour réussir cette ambitieuse (et louable) entreprise, il faudra que la série propose quelque chose d’un peu plus copieux que ce que son premier épisode tente d’offrir, c’est-à-dire trop de clichés, et trop peu de scènes réellement intimistes. Derrière les éléments religieux autour de la disparition de Jesse, qui incitent Annie à faire le rapprochement avec l’affaire Sandy Driver, il faudra faire plus que brandir quelques symboles, et insister sur les échanges comme celui que l’enquêtrice a brièvement avec le pasteur de Bellevue. Bref, il faudra ne pas s’arrêter au superficiel, et avoir le courage d’explorer les thèmes soulevés.

C’est faisable, sûrement; mais pour y parvenir en 8 épisodes, il faudra que la série se concentre sur l’essentiel, et donc cesser de nous servir des scènes longues alors qu’elles sont vues et revues. Ne serait-ce que pour permettre à Anna Paquin de faire autre chose que respirer fort pendant des scènes supposément fortes en adrénaline, et embrasser l’aspect dramatique…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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